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le féjour des glaces : la mer en eft couverte la plus grande
partie de l'année; & lorfque l'été de ces climats brise ce fol
glacé, ou lorsque l'hiver fe prépare à le former, les montagnes
de glace se dispersent ou fe rassemblent, & femblables à des
écueils flottans, menacent les vaiffeaux qui ofent tenter le
paffage. Si le paffage existe, il est donc un intervalle de tems
qu'il ne faut ni prévenir, ni manquer. Barentz,
furpris par la
mauvaise saison, fut enveloppé de toutes parts, la mer se
ferma autour de fon vaiffeau, & le livra, ainfi que fes com-
pagnons d'infortune, à toutes les rigueurs du froid. Ils étoient
près de la nouvelle Zemble, ifle fituée vers 76o de latitude
c'est là qu'ils pafferent quelques mois avec les ressources du
courage & de l'industrie, au milieu d'une atmosphere glacée,
s'enterrant pour moins fentir fa rigueur, craignant chaque jour
de périr par le froid ou par la famine, & obligés de défendre
leur vie contre des ours encore plus affamés qu'eux. Ils fem-
blent avoir échappé à ces dangers pour nous inftruire d'un
phénomene astronomique. Le 3 Novembre ils virent pour la
derniere fois le foleil. Cet aftre, qui est l'image de la vie, qui
donne au moins l'espérance de la chaleur, les laissa fans conso-
lation dans une nuit entiere, ou du moins dans la foible lueur
des crépuscules, réfléchie fur la neige, & peut-être plus trifte
encore que
la nuit profonde. Cependant le foleil auroit dû les
abandonner plutôt fans la réfraction: à 76° de latitude l'équa-
teur est élevé sur l'horizon de 14°, le foleil doit difparoître
lorsqu'il defcend à cet abaissement au - deffous de l'équateur.
Mais le 3 Novembre il fe montroit encore un inftant, quoiqu'il
fût abaissé de 15°: la réfraction l'élevoit donc de 1o; &
quand même les malheureux voyageurs fe feroient trompés
fur l'eftimation de la latitude d'un lieu où ils attendoient la
mort, ayant perdu le foleil quarante-huit jours avant le solstice,
Tome II,
C

ils ne devoient l'attendre que quarante-huit jours après, c'està-dire, le 7 Février : il reparut inopinément le 24 Janvier & vint rompre les chaînes dont la nature les avoit liés dans cet exil. Si l'on peut s'en rapporter au récit des Hollandois, la réfraction de ces zônes froides paroît donc beaucoup plus grande que celle de nos régions tempérées. Le froid, en condenfant l'air, y contribue fans doute; mais Képler vit dans le phénomène une vérité que M. Bouguer a prouvée depuis par des obfervations délicates; c'eft que cette différence tient à la hauteur où l'on eft dans l'atmosphere (a). Sur notre terre raboteuse, creufée en vallons, hériffée de montagnes, & pai tout couverte de pentes inégales, il n'y a de véritable niveau la furface des eaux les lieux qu'elles occupent font en même tems les plus abaiffées; toutes les terres font nécessairement & inégalement élevées au-deffus d'elles. Les Hollandois n'avoient pas choisi un afile éloigné de leur vaisseau, ils habitoient les bords de la mer. Dans cet endroit bas le rayon de lumiere qui y parvient, rafe de plus près la furface de la terre, il rencontre dans fon trajet un air plus épais, & il éprouve une réfraction plus grande. Lorsqu'on s'éleve dans l'atmosphere avec les inégalités du globe, le rayon traverle des couchess d'air plus hautes, plus pures, moins denses, & la réfraction est plus petite. Képler annonça même qu'à une certaine hauteur il n'y auroit plus de réfraction sensible (b).

que

§. XIII

KÉPLER, en méditant fur la marche de la lumiere, créa une nouvelle science, qu'il intitula Aftronomie optique; science compofée & du mouvement des aftres, & des phénomènes de

(a) Paralip. p. 134 & 1.39,

(b) Ibid. p. 135

la lumiere qui nous les fait appercevoir. Une inspection attentive ne voyoit plus de limites pour féparer les fciences. La nature, divifée par les premieres vues, fe recompofoit, devenoit unique & indivifible par des vues plus grandes. Dans les opérations de l'économie animale, la nature entiere confpire pour l'entretien ou pour la deftruction de la vie : les alimens se décomposent, les liqueurs fe forment par les affinités chimiques; elles coulent, elles s'élevent, & se distribuent par les loix de la mécanique; leurs routes tortueuses décrivent des courbes qui appartiennent à une géométrie profonde & inacceffible; & tandis que le fuc le plus fubtil, tranfmis par les nerfs, s'en va nourrir l'organe de la pensée & faire éclorre les germes du génie, des fucs plus groffiers font végéter d'autres parties : nous portons des plantes comme la terre qui nous porte. Mais ces végétaux mêmes ne s'élevent point à la furface du globe, fans que la physique générale ait préparé & le fol qui les fait naître, & l'air qui les nourrit; leur développement est à la fois un problême de chimie, de mécanique & de géométrie il faut que le foleil monte à une certaine hauteur pour amener leur maturité, & que les forces des aftres s'unissent pour faire fouffler des vents favorables, ou pour écarter les vents contraires. L'astronomie, la fcience des objets qui font fi loin de nous, n'eft pas plus féparée, ni plus folitaire que les autres elle est inféparablement unie à la mécanique par le calcul des forces & des vîteffes, à la géométrie par la defcription des routes parcourues dans l'espace; elle tient à l'optique par la lumiere; elle tient à tout le refte de la nature par notre. atmosphere, qui eft le voile à travers lequel paffent les images. des chofes, par l'organe de la vue, par l'homme lui - même qui dépend de tout. Qui fait même fi l'astronomie n'a pas d'autres rapports avec la phyfique ? L'attraction des globes

céleftes eft femblable à celle de l'aimant ; il eft poffible que la matiere-magnétique ait quelque analogie avec le fluide électrique, avec le fluide nerveux; & ces fluides ne font peut-être que les modifications d'un fluide univerfel, qui eft dans la nature le grand reffort du mouvement.

S. XIV.

CETTE application de l'optique à l'astronomie perfectionna la théorie des éclipfes, & fervit à expliquer quelques-uns de leurs phénomènes. Les anciens, en reconnoiffant qu'elles étoient caufées par le paffage de la lune dans l'ombre de la terre, avoientcru que cette ombre étoit pure & fans mélange, comme celle qui eft produite par les corps opaques, dans un lieu à l'abri de tout réflet. Mais la terre fe trouve dans une circonftance particuliere, qui la diftingue des autres corps opaques, c'est l'atmosphere qui l'enveloppe. Les rayons passent dans cette atmosphere, s'y plient, & portés par ce détour dans le cône d'ombre, y répandent en quelques endroits de la clarté (a); c'est ce qu'on appelle l'ombre claire. Il en résulte que la lune quand elle y eft plongée, est très-diftinctement visible, ainsi que fes différentes parties : quelquefois le centre de la lune eft obfcur, parce qu'il eft dans l'ombre vraie, les bords qui font dans l'ombre claire, fe laiffent appercevoir : dans d'autres tems, qui font affez rares, la lune étant plus éloignée de la terre, au-delà du terme où tombent les rayons réfractés, elle est dans une obscurité totale, & elle difparoît tout-à-fait. Ces bizarreries avoient long-tems intrigué les anciens; cette lumiere confervée par la lune dans un lieu qu'ils croyoient totalement

(a) Dans ce cône d'ombre les rayons fe croifent & éclairent foiblement un espace

qui a la figure d'une croix de St. Andrés voy, la fig. I.

privé de clarté, leur avoit paru propre à la planete. Képler, qui avoit des idées de physique très-faines, ramena ce phéncmène à sa véritable explication (a). Il ajouta encore à la théorie des éclipfes la pénombre que les anciens n'avoient pas connue (b). La pénombre est une ombre foible, un commencement d'obscurité. Repréfentons-nous le foleil comme un large flambeau, projetant derriere la terre une ombre conique; lorfque la partie antérieure de la lune s'y plonge, cette partie ne voit plus le soleil, & abstraction faite des rayons réfractés, elle doit être dans une obscurité totale. Mais l'obscurité n'arrive pas subitement; le soleil a une grandeur considérable, cette partie ne le perd pas de vue en un inftant, elle ceffe de le voir par degrés d'abord une portion, puis la moitié, enfin la totalité difparoît. La lumiere qu'elle reçoit, ainsi que les autres parties fucceffives de la lune, diminue en proportion; le paffage de la lumiere à l'obfcurité fe fait par des nuances graduées, & ces nuances d'une lumiere affoiblie font ce que nous appelons la pénombre. Elle précede toujours fur le difque de la lune, l'entrée de la véritable ombre qui fait le commencement de l'éclipfe.

S. X V.

La lune, dans fes éclipfes totales, eft fouvent teinte d'un rouge fombre, où les anciens voyoient une couleur de fang. Képler qui favoit qu'elle eft alors éclairée par la lumiere du foleil détournée & pliée dans l'atmosphere, annonça avec confiance que cette lumiere étoit ainfi colorée par la réfraction (c). Il fut conduit fans doute à cette idée par la vue de ces nuages pourprés, qui le jour recoivent un vif éclat d'une lumiere

(a) Képler, Paralip, ad Vitellionem, pag. 268.

(b) Ibid. p. 23-
(c) Ibid. p. 27

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