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à tout cela, c'est renoncer à foi-même. Eh qu'on ne se plaigne point de cette foibleffe humaine! elle est utile au monde. Si l'on ne regardoit pas fon ouvrage comme fon enfant, fi on n'y imprimoit pas l'amour de foi, quel attrait auroit le travail? qui dévoueroit sa vie à des recherches pénibles pour des résultats incertains, & pour des contemporains ingrats? L'efprit produit, comme l'homme lui-même, par un penchant invincible; il aime fon ouvrage & fon enfant, parce que c'eft une portion de son être ; il le préfere à tout, & il le défend par le même penchant, par le même amour propre qui le lui fit produire.

S. X X.

ON n'eut point cet embarras & ces regrets en France, on n'eut point à facrifier les anciens inftrumens, on n'en avoit pas. Sire difoit Auzout à Louis XIV en 1664, c'est un malheur qu'il n'y ait pas un inftrument à Paris, ni que je fache dans tout votre royaume, auquel je voululle m'assurer, pour prendre précisément la hauteur du pôle (a). L'Italie & l'Angleterre n'en étoient pas mieux fournies (b); Flamsteed commença fes obfervations en 1670 avec un fextant que lui procurerent le zele pour les fciences & l'amitié du chevalier Moor (c). Mais cette difette ne nuifit point à l'invention. Ce qu'il y a de fingulier, c'est qu'on perfectionna les inftrumens lorfqu'on n'en avoit pas ; on rectifia l'idée de leur construction avant de les fabriquer, L'industrie n'est pas dans l'abondance, elle eft dans le befoin. Lorfque Louis XIV donna à son académie naiffante les fecours des dépenfes royales, le génie avoit déjà fes vues pour en faire l'emploi. Les premiers inftrumens ont été un sextant de fix pieds, & un quart de cercle de neuf pieds & demi de rayon, rayon, ils furent

(a) Auzout, Ephem. Epit. dédic. au Roi. (b) M. de la Lande, Aftron. art. 2309.

(c) Flamsteed, Hift. cél. Tom. III, Prol. p. 102 & 103.

garnis de lunettes (a). Louis XIV & Charles II, qui fonderent ensemble leurs académies, éleverent presque en même tems des obfervatoires; l'un à Paris, à l'extrémité du fauxbourg SaintJacques, commencé en 1667, fut achevé en 1671; l'autre à deux lieues de Londres, à Gréenwich, fut conftruit vers 1676 (b). L'Académie jugea à propos d'orienter le bâtiment de l'observatoire de Paris; elle ne favoit peut-être pas que cette difpofition fi naturelle dans cette occafion, avoit été jadis un usage général & presque auffi ancien que le monde. En conféquence le 21 Juin 1667, les obfervations néceffaires fe firent, dit M. de Fontenelle, avec une forte de pompe & de cérémonie. On tira une méridienne & huit azimuths; on y mit tout le foin que pouvoient inspirer des conjectures fi particulieres; on obferva la hauteur du pôle, la déclinaison de l'aiguille aimantée, & toutes ces obfervations furent la confécration du lieu; on en frappa une médaille avec ces mots : fic itur ad aftra (c).

Le bâtiment de l'observatoire royal a 26 toises de face du levant au couchant, & 19 du nord au fud, 14 toises de hauteur, & les fondemens, qu'il a été néceffaire de rendre infiniment folides, ont une profondeur égale à son élévation (d). L'édifice eft flanqué de deux tours octogones, destinées particulierement aux obfervations, & il est surmonté d'une terraffe, où l'on peut faire celles qui demandent plus d'espace & de liberté. L'édifice est percé dans fa hauteur jufqu'au fond des caves, fans doute dans le deffein de voir plus facilement & en plein jour les étoiles qui paffent par le zenith. C'est dans ce lieu, c'eft à Gréenwich que se développerent toutes les reffources de l'art d'observer & les méthodes que nous allons décrire dans le livre fuivant.

(a) M. le Monnier, Hift. célefte, p. 11.
(6) Flamsteed, Hift. cél. T. III, p. 103.
(c) Hift. Acad. Scien. Tom. I, p. 29.
(d) Il eft remarquable que cette égalité entre

la hauteur de l'édifice & la profondeur des fondemens, fe trouvoit également dans l'obélifque élevé & placé à Rome par Augufte. pour fervir de gnomon; Suprà, T. I, p. 499.

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Le bâtiment de l'obfervatoire eft un monument plutôt de grandeur que d'utilité. L'aftronomie n'a pas befoin de ce luxe, mais il eft utile en ce qu'il marque l'attention & l'encouragement des Rois. Il ne faut à l'astronomie qu'une tour ronde, affez élevée pour découvrir le contour entier de l'horizon, affez fpacieuse pour y placer, pour y faire mouvoir fans gêne les inftrumens néceffaires. On a imaginé de la couvrir d'un toît conique & mobile, il fuffit d'y pratiquer une ouverture longitudinale; le toît tournant conduit cette ouverture à la

volonté de l'obfervateur, & fur la partie du ciel où il a besoin de porter fa vue. Au milieu de la tour eft placé un quart de cercle mobile, destiné à se diriger vers tous les points de la voûte céleste, & à marquer la hauteur des altres qui s'y rencontrent. Dans le fens du méridien le mur eft ouvert; on y place un autre quart de cercle nommé mural, parce qu'il est folidement & invariablement attaché à ce mur. Cet instrument, & fur-tout le fil délié qui traverse verticalement l'ouverture de la lunette est destiné à représenter le méridien; des lunettes de toutes grandeurs, de différentes forces, fimples ou garnies "de micrometres, font dispersées & fufpendues. Près de l'obfervateur font les pendules; il voit de l'œil le mouvement des aiguilles, il entend le bruit de l'échappement à chaque vibration. C'est là que l'astronôme est debout, attentif à tous les phénomènes; il devient le centre du monde, le ciel roule autour de lui, & la nature eft en mouvement pour fe développer à fes regards. Nous allons l'observer lui-même, nous fuivrons, nous peindrons fes opérations; nous fouhaitons que les jeunes gens, qui se destinent à l'aftronomie, trouvent ici le tableau de leurs devoirs & l'emploi de leurs veilles; ceux qui ne s'y destinent pas, mieux inftruits, cefferont de s'étonner, & commenceront à croire aux réponses de la nature, en jugeant eux-mêmes la maniere dont on l'interroge.

S. I I.

CELUI qui entre dans ce fanctuaire, doit être dévoué fans réserve au service d'Uranie. C'est la déesse dont il est le prêtre, & dont il rend les oracles; mais ces oracles font obtenus arrachés par fon affiduité; il n'a de relâche que les jours fombres & tristes, les momens où la nature ajoute à tous fes voiles celui des nuages; fa journée eft interrompue, coupée par

différentes

différentes obfervations; le foleil l'occupe le matin, à midi, le foir; & lorfque cet aftre difparoît, les autres planetes, les étoiles fe découvrent pour amener d'autres travaux. Les astronômes souvent se les partagent, mais celui qui les embrasse tous doit avoir un corps de fer il faut que le zele de la science l'éveille à des momens marqués dans la nuit; il faut que ce zele le défende du fommeil, s'il doit veiller pendant la nuit entiere; il faut que ces veilles foient répétées, s'il fe confacre au travail fuivi & renouvelé toutes les nuits de l'observation des étoiles ; & cela l'œil attaché à la lunette, l'oreille à la pendule, debout, ou le corps plié, souvent couché, regardant le zenith, malgré le froid des nuits & des hivers, malgré la fatigue & les dangers de l'infomnie! Voilà la vie presque nocturne des aftronômes; ce fut la vie de Tycho, d'Hévélius, de Flamsteed; c'eft celle qui a pressé la mort & la perte prématurée de M. l'abbé de la Caille, d'un maître que nous pleurons encore, & que la science, la vertu & l'amitié regrettent avec nous. Ces fatigues font les plus grandes dans la partie de l'Europe, où l'astronomie a été le plus particuliérement cultivée. Coppenhague, Dantzick, Londres, Paris, où ont vécu ces obfervateurs célebres, ont un ciel changeant comme les hommes. Les belles nuits font fouvent ifolées, & ne fe fuivent que dans quelques intervalles assez courts de l'année; le refte des nuits eft couvert d'un crêpe, ou n'a que des momens. Il faut donc épier ces momens, & l'inconstance du ciel, qui devient favorable à l'observateur. La plupart des observations font ainfi dérobées; c'est la constance, le zele, & fur-tout le tems qui les affemble pour fonder un corps de doctrine. Mais l'activité naît peut-être de ces obftacles; l'homme femble n'avoir de fuite dans fa recherche que pour ce qui fe refuse à lui: en tout genre, les efforts fe Tome II. Nn

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