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hommes, pénétrés de refpect pour cette grande nature, ont posé une barriere entre les choses du ciel & celles de la terre; dès que l'homme a ofé croire qu'il avoit en lui & autour de lui la mesure & l'exemple de tout ce qui existe, il a tout rapporté, tout comparé à lui-même, & il a pu tout connoître. C'est avec la coudée, avec la longueur de fon bras, qu'il a mefuré le globe & l'univers; c'est par les petits faits de son existence, par les propriétés des êtres foibles qui l'entourent, qu'il a développé les phénomènes généraux de la nature.

S. XXV I I I.

KÉPLER étoit très-favant, c'eft ce qui forma en lui l'efprit philofophique par lequel il est distingué. Ses premiers ouvrages ne furent que les amusemens de fes loisirs, il étoit destiné à de plus grandes choses. L'union de l'optique & de l'astronomie avoit préparé celle de la physique générale à cette derniere fcience. Cette application eft la marque de fon génie & l'origine de fes fuccès.

Képler, physicien autant qu'astronôme, considéra la nature comme un tout dont l'ensemble & les détails ont la même fource, & dans lequel les petites chofes s'operent par le même mécanisme que les plus grandes. Cette premiere pensée eft une découverte & une vérité très-féconde : de là des applications fans nombre, des comparaisons multipliées, d'où fortent des rapports & des vérités. Cette pensée fut la regle de ses travaux, elle est devenué la base de la physique & de l'astronomie; & fi Képler, en voyant beaucoup, n'a pas tout vu, nous fommes aujourd'hui guidés par fa pensée, & nous voyons encore par fes yeux.

Emporté prefque invinciblement vers la connoiffance des causes, Képler ne rencontra pas un fait dont il ne cherchât l'explication. Tycho modéra quelque tems cette ardeur, en le

rappelant aux faits & aux obfervations, en lui fermant même les dépôts où ils étoient contenus. Mais lorsque la mort de Tycho fit paffer ces dépôts à fon fucceffeur, il y vit un immense recueil de vérités, il les confidéra comme les matériaux de l'édifice du monde; peut-être y voyoit-il déjà l'ordre de l'univers, les caufes du mouvement, & les loix de la nature, comme un statuaire habile apperçoit dans la masse d'un bloc de marbre une belle figure, dont l'attitude & les proportions existent dans fa tête. Il médita ces obfervations pendant fept

avec une fagacité égale à fa perfévérance; & ces fept années produifirent le commentaire fur les mouvemens de Mars, l'un des plus beaux ouvrages qui ait jamais été exécuté par l'homme, armé de la patience & du génie.

S. XXIX.

UN heureux hafard porta fes méditations fur les mouvemens de cette planete, qui offroit en même tems plus de difficultés & plus de moyens pour les réfoudre. Après Mercure, qu'on ne peut obferver que rarement, c'est la plus excentrique de toutes les planetes ; quelle que foit la caufe qui les écarte d'une orbite circulaire, il eft évident que les effets doivent être ici plus marqués & plus multipliés; voilà les difficultés ; une course plus rapide, une révolution plus fouvent recommencée multiplie les observations; voilà les moyens de solution. Képler raconte (a) que Rheticus, difciple distingué de Copernic, avoit defiré de réformer l'astronomie, mais qu'étonné du mouvement de Mars, il n'avoit jamais pu l'expliquer. Rheticus invoqua fon génie familier, qui apparemment fâché d'être interrompu, le saisit par les cheveux, l'éleva au plafond,

(a) Comment. in ftellam Martis, Epift, dedic, ad Rodolph. II.

& le laiffa tomber fur le plancher, en lui difant: voilà le mouvement de Mars. C'est le defir d'une imagination échauffée, & le défespoir d'un efprit perdu dans la complication des effets. Képler ne raconte cette vision prétendue que pour montrer la difficulté du labyrinthe où il avoit ofé entrer, & d'où son génie l'avoit fait fortir avec gloire.

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S. X X X.

KÉPLER commence par pofer des principes phyfiques, il développe l'idée de la gravité, que les anciens ont eue, & qui lui avoit été transmise par Copernic. Mais on va voir combien cette idée s'étoit aggrandie en passant par sa tête.

Toute substance corporelle en tant que matiere, est de nature à refter en repos, lorsqu'elle est isolée, & hors de la sphere d'activité des corps qui ont de l'affinité avec elle. La gravité eft l'affection que les corps doués de ce rapport ont pour s'unir ensemble; la force magnétique en est un exemple. Cette faculté eft générale; mais le globe de la terre tire plus un caillou que le caillou ne tire la terre. Les corps ne font point portés à fon centre, comme au centre du monde, mais comme au centre des chofes, qui font de la même efpece & de la même famille. En quelque lieu que vous tranfportiez la terre, vous y transporterez le centre de cette tendance. Si la terre n'étoit pas ronde, les corps ne feroient point portés en ligne droite au point milieu, mais ils tendroient à différens points. La feule erreur qu'on mêloit à ces vérités, c'est qu'on regardoit cette force comme animale. Tout est nuancé dans les progrès des hommes; entre l'ame que les anciens accordoient aux planetes, & la force inhérente à la matiere que Newton a découverte, eft placée la nuance, l'idée intermé

diaire d'une force animale, que l'on croit le principe du mouvement (a).

Si la terre & la lune, continue Kepler, n'étoient pas retenues chacune dans leurs orbites par une force animale, la terre monteroit vers la lune de la cinquante-quatrieme partie de leur distance, & la lune feroit, en defcendant, le refte du cheminpour s'unir à elle. La sphere d'activité, dont la lune est le centre s'étend jufqu'à la terre, & attire les eaux dans la zône torride. La lune paffe au zenith, les eaux fuivent fon cours, & montent avec elle, plus fenfiblement dans les mers ouvertes & profondes, avec moins de liberté dans les mers méditerranées & dans les golfes. L'air suit le même cours & de là naît le vent d'eft, qui fouffle entre les tropiques. Nous nous arrêtons avec plaifir fur les idées philofophiques de Képler, & fur les endroits où il femble avoir deviné les pensées des grands hommes qui l'ont fuivi. Il remarque que ce flux des eaux eft la caufe des fyrtes & des amas de fable. Les îles font formées ou détruites dans les paffages refferrés où s'établissent des tournans d'eau; la terre légere & fertile des Indes femble avoir été plus creufée, plus travaillée par ce flux & ce déluge fucceffif, aidé de quelque mouvement général de la terre. Les Moluques, qui appartenoient autrefois à la Cherfonese d'or, & tenoient par elle à la terre ferme ; les Maldives, qui font les restes de l'île Taprobane, font les produits de ces grandes & longues opérations, & les preuves que le globe fillonné par la mer, est alternativement figuré & défiguré par

elle (b).

De cette action de la lune, étendue jufqu'à la terre, il fuit

(a) Képler nous paroît cependant en douter; car il dit : par une force ani

male, ou par quelque chofe d'équivalent. (b)Comment. in ftellam Martis, in introd.

qu'à bien plus forte raison l'action de la terre s'étend jufqu'à la lune. Combien Képler est ici proche de Newton! Aucune portion de la matiere qui exifte fur la terre, qui la compose, ne peut s'élever & échapper à ce lien puissant. Il n'y a rien de: leger, tous les corps font matériels : la légereté n'est qu'une moindre pesanteur (a).

S. X X X I.

KEPLER fe propofa d'examiner les différentes hypothèses qui l'avoient précédé; les phénomènes du mouvement n'avoient été ni approfondis, ni médités; il est le premier qui ait tenté de les éclairer par des principes métaphyfiques. Tycho ayant détruit fans retour les cieux folides que Purbach avoit rétablis, il falloit bien concevoir que le mouvement s'exécute dans l'espace vide & libre. Alors le moteur a deux fonctions, l'une de transporter le corps de la planete; l'autre, qui est une espece de fcience, confiste à lui faire trouver la ligne circulaire dont il ne doit pas s'écarter. Képler, avec fon œil d'aigle, pénetre l'effence du mouvement; il s'éleve contre Aristote, contre toute l'antiquité, qui avoit admis des mouvemens primitivement & réellement circulaires: il connoît déjà trop bien la nature pour y appercevoir ce mouvement. Tout mouvement s'exécute en ligne droite, c'est la loi du créateur, c'est la nature des chofes qui le veut ainsi. Nous pouvons retrouver l'enchaî-, nement des idées de Képler. Quelle que foit la cause qui tranfporte un corps d'un lieu à un autre, c'eft l'effet d'une impulfion, c'eft la fuite d'un effort intérieur ou extérieur; mais une impulfion, un effort agit dans une direction; tat que la cause refte la même, la direction ne change pas. Une caufe premiere,

(a) Comment. in ftellam Martis, in introduc.]

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