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Cette interprétation eft d'autant plus naturelle, qu'il ne doit pas dépendre d'un débiteur de faire la condition de quelques-uns de fes créanciers pire ou meilleure que celle des autres, ou qu'un événement fortuit & paffager ne doit pas régler différemment leur fort. Que le débiteur puiffe changer effectivement leur fort en changeant de domicile, à la bonne heure; mais auffi alors fes créanciers actuels peuvent prendre leurs précautions avant la tranflation du domicile effectuée, ou ceux qui contractent avec lui dans la fuite doivent favoir ce qu'ils font; mais que fubitement il ait la faculté d'augmenter le droit des uns, & de diminuer celui des autres, c'eft ce qui ne peut être admis.

Il y a même fur cela une décifion, qui influe naturellement fur notre queftion. C'est au fujet des rentes conftituées, qui fuivent comme les meubles le domicile du créancier; de maniere que d'immeuble qu'étoit une rente de cette nature fur la tête, tant qu'il a eu fon domicile dans une coutume qui déclare ces rentes immeubles, elle devient meuble par l'acquifition d'un nouveau domicile dans une coutume où elles font meubles.

Or il est décidé que ce changement de qualité de la rente, ne peut fe faire au préjudice des créanciers qui avoient une hypotheque formée fur cette rente. Arrêt du 19 Août 1687, au journal du Palais, fol. 683 & fuiv. V. le Commentaire fur la Coutume de la Rochelle, art. 44, n. 199, & les auteurs qui y font cités.

Et cette décision eft d'autant plus applicable à l'efpece d'un navire de Bourdeaux vendu par décret en cette ville, qu'il ne s'agit pas même là d'un changement de domicile; mais d'un fimple événement, qui fait trouver le navire dans ce port; ainfi fi par cet événement les créanciers ne peuvent être privés de l'exercice de l'hypotheque qu'ils avoient acquife fur le navire, il s'enfuit par la raifon des corrélatifs, que les créanciers chirographaires, ne feront pas de pire condition, dans le cas d'un navire Rochellois vendu à Bourdeaux, que s'il eût été effectivement vendu à la Rochelle ; c'est-à-dire, qu'alors les créanciers hypothécaires n'auront fur eux aucun avantage, par la raison que ces mêmes créanciers hypothécaires conferveroient la préférence de leurs hypotheques s'il étoit queftion d'un navire Bourdelois vendu ici.

Je reviens aux prêteurs à la groffe fur le corps du navire. Leur privilege fur le navire eft le même, & il ne faut pas le faire dépendre du plus ou du moins de précautions qu'ils auront prifes en faisant le prêt; cela feroit trop dangereux.

Je m'explique & j'entends, non-feulement qu'il n'y aura aucune différence entr'eux, que les prêts ayent été faits avant le départ ou depuis, & qu'ils foient pardevant Notaires ou fous fignature privée; mais encore que fi entre les prêteurs, quelques-uns ont ftipulé que les deniers feront employés au payement de partie des ouvriers qui ont travaillé au radoub, ou des fourniffeurs de cordages, vituailles, &c. qu'il y ait preuve de l'emploi ou non, ils ne feront nullement préférés aux autres qui y auront manqué, parce que de telles précautions font des fubtilités qui ne s'accommodent pas avec la conduite unie & fimple qu'exige le commerce. Dès qu'il s'agit d'un prêt à la groffe fur le navire, la préfomption eft de droit que les deniers ont fervi à la mife hors, ou à payer ce qui étoit dû à ce fujet. C'eft pourquoi on ne voit point dans les fentences d'ordre que les ouvriers & les fourniffeurs foient

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colloqués avant les prêteurs à la groffe, ni qu'entre eux, la collocation se faffe autrement que par concurrence, fans diftinction des prêts faits avant le départ du navire, de ceux faits depuis, & fans qu'il foit queftion de vérifier l'emploi. Arrêt de Provence du 30 Mars 1672, dans Boniface, tom. 4, liv. 8, tit. 7, chap. premier. Ce que je crois indubitable, à moins que par les circonftances, le prêt à la grofle ne fût juftement fufpect de fimulation & de fraude, comme dans l'efpece rapportée par Loccenius de jure maritimo lib. 2, cap. 6, n. 12, fol. 201, où il fut ordonné au Confeil Royal de Suede, que les demandeurs en payement du contrat de groffe, feroient preuve que la fomme avoit été réellement comptée au maître du navire; faute de quoi, ils demeureroient déchus. L'affaire étoit finguliere.

En effet ce feroit envain que les prêteurs antérieurement au départ, prétendroient la préférence fur les autres, à la faveur de la préfomption que leurs deniers ont fervi à la mife hors du navire, attendu que les autres pourroient leur oppofer auffi la préfomption que leurs deniers ont été employés au payement des dettes contractées pour la même mise hors. Et d'un autre côté les prêteurs durant le voyage prétendroient inutilement tout de même devoir être préférés, comme ayant prêté pour les néceffités du navire durant le voyage, dès qu'ils ne juftifieroient pas l'emploi des deniers pour cette caufe, qui feule a befoin de preuve; mais la preuve fera fuffifamment établie par la reconnoiffance du capitaine, pourvu qu'il ait fait l'emprunt de l'avis des princicipaux de l'équipage aux termes de l'art. 19, tit. premier, liv. 2.

Une obfervation qui convient à toutes les collocations, eft que tout créancier qui eft colloqué, l'eft tant pour fon principal que pour fes intérêts & frais; c'est-à-dire , que fes intérêts & frais comme étant l'acceffoire du principal, doivent lui être payés avec le même privilege, ou avec la même hypotheque lorfqu'elle a lieu comme il arrive dans les Jugemens d'ordre & de diftribution du prix d'un décret d'un immeuble. Commentaire fur la Coutume de la Rochelle article 19, n. 120.

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Ainfi quoique le profit maritime du prêt à la groffe, foit beaucoup plus confidérable que l'intérêt ordinaire, le prêteur à la groffe entre néceffairement en collocation pour fon profit maritime, avec pareil droit & privilege que pour le principal & les frais. Cela réfulte au refte de l'article 7, tit. du prêt à la groffe.

ARTICLE XVII.

Si

I le navire vendu n'a point encore fait de voyage, le vendeur, les charpentiers, calfateurs & autres ouvriers employés à la construction, ensemble les créanciers pour les bois, cordages & autres chofes fournies pour le bâtiment, feront payés par préférence à tous créanciers, & par concurrence entr'eux.

L

E raisonnement du Commentateur fur cet article eft tout-à-fait fingulier. Sans prendre garde qu'il y eft queftion uniquement d'un navire qui n'a encore pas fait de voyage depuis qu'il a été vendu, il dit fur ces mots

Par préférence à tous créanciers même aux loyers des matelots, & aux » créanciers oppofans pour deniers prêtés pour les néceffités du navire pen»dant le voyage, ou pour radoub, vituailles & équipement avant le » départ du navire & même aux marchands chargeurs ; » comme s'il s'agiffoit d'un navire faifi au retour d'un voyage, ce qui d'ailleurs rendroit fon raifonnement encore plus abfurde. Ces fortes de méprifes lui font fi ordinaires que la furprise diminue à mesure qu'on les rencontre.

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Il étoit de la regle étroite que le vendeur entrât effectivement en concurrence avec les autres créanciers dont parle l'article puifqu'en point de droit ceux qui n'ont fait que des réparations ou améliorations à une maison ou à quelque autre héritage, n'ont de préférence fur le vendeur, qu'au cas fans leurs travaux, l'héritage auroit péri, fur quoi. V. le Comment. de la Cout. de la Rochelle, art. 19, n. 107 & 108. Or on ne peut pas dire que le navire eût péri abfolument fans le radoub qui lui a été donné; ainfi c'est le cas de la concurrence des privileges entre tous les dénommés dans cet article.

que

Il faut fuppofer néanmoins que ces ouvriers & fourniffeurs n'ont pas laiffé acquérir contre-eux la prefcription ou fin de non-recevoir portée par l'article 3, titre 12 ci-deffus; autrement le vendeur feroit payé à leur exclufion en vertu de fon privilege qui ne peut fe prescrire comme fa créance que par trente ans. Et cela arriveroit quoique le débiteur commun auroit reconnu leurs créances, dès qu'il n'auroit fait cette reconnoiffance qu'après la prescription accomplie ; à caufe qu'une pareille reconnoiffance ne peut faire revivre le privilege & ne peut former qu'une dette nouvelle & ordinaire comme il a été obfervé fur l'article io du même tit. 12.

Mais fous pretexte qu'il n'eft point parlé du vendeur dans l'article précédent, s'enfuit-il que le vendeur au retour du voyage du navire qu'il a vendu, ne doive pas entrer en concurrence, tout de même pour le refte du prix qui lui eft dû avec les créanciers pour caufe de radoub, vituailles & équipement avant le départ?

Je ne le penfe nullement, & c'eft pour cela auffi que fur l'article précédent je l'ai admis à concourir avec eux. En effet où feroit la raifon de différence? dira-t-on qu'il a perdu fon privilege ? mais à ce compte, l'auroient dû perdre tout de même, idée que l'article précédent rejette.

Dira-t-on encore que par argument de l'article 2, tit. 10 du livre fuivant, le vaiffeau n'eft plus affecté aux dettes du vendeur, lorfque le nouvel acquéreur lui a fait faire un voyage à fes rifques? mais cet article n'eft que contre les créanciers du vendeur & non contre le vendeur lui-même, au profit duquel le navire demeure toujours affecté par privilege pour le refte du prix de la vente, quelque voyage que l'acheteur lui faffe faire. · Que cet acquéreur prefcrive contre les créanciers de fon vendeur, il n'y a rien là que de naturel, puifqu'il ne prefcrit que contre des gens à qui il ne doit rien; mais que ce même article lui fervit pour fe mettre à couvert de ce qu'il doit à fon vendeur pour refte du prix de la vente, c'eft ce qui repugneroit abfolument, d'où je conclus que le privilege du vendeur étant le même fur le vaiffeau après comme avant tout voyage; il eft en droit de le faire valoir dans le cas de l'article précédent comme dans l'efpece de celui-ci.

Au reste tout ce qui eft dit ici du vendeur doit s'entendre tout de même de fes créanciers oppofans en fous ordre en exerçant fes droits. Une obfervation importante à faire au fujet du privilege des charpentiers & autres ouvriers employés à la conftruction ou au radoub d'un navire eft, que pour être en état de l'exercer, il faut qu'ils ayent travaillé par l'ordre du propriétaire. S'ils n'ont été employés que par un entrepreneur à qui le propriétaire ait payé le prix convenu entre eux deux; ils n'ont alors aucun privilege à prétendre fur le navire; & il ne leur reste qu'une action fimple contre l'entrepreneur dont ils ont fuivi la foi. Confulat. ch. 52. De même de celui qui a prêté des deniers au conftructeur, s'il l'a fait fans l'aveu du propriétaire du navire. Domat loix civiles, livre 3, titre premier fect. 5, n. 10, fol. 205. Dans le même cas fi le propriétaire n'a pas payé l'entrepreneur en entier, ils n'ont que la voye de faifir entre les mains du propriétaire ce qu'il peut lui devoir pour en demander la délivrance à leur profit. M. le Camus obferv. fur l'article 176 de la Cout. de Paris, pour le cas de la conftruction d'une maifon, ubi eadem ratio. Tout cela s'entend néanmoins fi les ouvriers & fourniffeurs ont fu que l'ouvrage étoit à l'entreprise & qu'ils n'avoient affaire qu'à l'entrepreneur.

L

ARTICLE XV I I I.

en

Es intéreffés au navire dont on faifira quelque portion, lorfqu'il fera prêt à faire voile , pourront le faire naviger donnant caution jufqu'à concurrence de l'estimation qui fera faite de la portion faifie.

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N

:

donc fans difficulté faifir une portion de navire comme un peut navire entier mais parce que les autres intéreffés n'en doivent pas fouffrir, cet article leur permet lorfqu'il fera prêt à faire voile au temps de la faifie, de le faire naviger en donnant toutefois caution, jufqu'à concurrence de l'eftimation qui fera faite par préalable de la portion faifie.

Tout cela fuppofe par conféquent une procédure à faire, puifqu'il s'agit de donner caution & de procéder à l'eftimation de la portion faific. Cependant on ne conçoit pas la raifon de cette eftimation ni du cautionnement pour en répondre ; & certainement l'article eft en défaut à ce fujet. Car enfin le navire étant fuppofé prêt à faire voile, pourquoi ne pas permettre aux autres intéreffés de le faire naviger aux rifques communs, au lieu de les charger de faire eftimer la portion faifie & de donner caution jufqu'à concurrence? les créanciers du faifi doivent-ils être de meilleure condition qu'il ne le feroit lui-même s'il étoit libre?

Cela fe conçoit d'autant moins, qu'il paroît par l'article fuivant, que les profits du retour appartiendront au faifi & à fes créanciers, quoiqu'ils n'ayent couru aucuns rifques aux termes du préfent article, & que les autres intéreffés, toujours garants du prix de l'eftimation, n'ont d'autre reffource que celle de faire affurer cette portion saisie, avec faculté de prendre deniers

à la groffe pour le coût de la prime d'affurance. Mais ils demeurent toujours expofés au péril de l'infolvabilité des affureurs, de même qu'à la perte de la. prime, fi le voyage eft malheureux, puifque le remboursement de cette prime ne leur eft accordé que fur les profits du retour.

Ces deux articles ne peuvent donc être plus mal combinés, & néanmoins le Commentateur n'en a pas eu feulement la moindre idée.

Si l'on vouloit dreffer cet article tel qu'il eft, il falloit décider en mêmetemps, que la portion faifie feroit pour le compte des autres intéreffés à perte ou à profit ; & dire tout fimplement dans l'article fuivant qu'ils pourroient faire affurer pour leur compte la valeur eftimée de cette portion faifie, fans parler des profits du retour à moins que ce ne fût pour les leur attribuer à raifon de leurs rifques.

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Ou fi au contraire on vouloit que cette portion reftât pour le compte du faifi, & de fes créanciers à perte ou à profit; il falloit décharger les autres intéreffés de donner caution de la valeur de la portion saisie, n'en ordonner l'eftimation que pour fixer la fomme jufqu'à concurrence de laquelle l'affurance pourroit être faite, avec faculté de prendre deniers à la groffe pour le coût de l'affurance, précaution qui ne devoit regarder abfolument que les créanciers du faifi: car enfin on le répéte, il eft abfurde que les autres intéreffés répondent de l'eftimation de la portion faifie en cas de perte du navire, ou qu'autrement le voyage foit malheureux, & que les profits du retour s'il y en a, ne foient pas pour eux.

Au refte, quoique le préfent article ne parle que du cas où le navire est prêt à faire voile au temps de la faifie, ce qui ne doit pas même être pris à la lettre, mais doit s'entendre auffi- bien d'un navire en chargement, en conféquence d'un voyage concerté avec le faifi, à l'occafion duquel, les difpofitions auront déjà été faites pour le voyage avant la faifie; il ne s'enfuit nullement que les autres intéreffés ne puiffent pas fe pourvoir en juftice pour se faire autorifer à faire naviger le navire, nonobftant la faifie de la portion de leur affocié, & qu'il n'y eût encore rien de conclu avec lui pour le voyage, s'ils ont à eux tous la plus grande part au vaiffeau, & fi la faifie tire en longueur, par la négligence du faififfant à faire interpofer le décret : car on conçoit que la procédure étant fuivie comme il convient, les autres intéreffés n'auroient pas le temps de concerter un voyage avant que d'avoir un nouvel affocié par le moyen de l'adjudication du navire.

Si donc le faififfant ne faifoit pas les diligences convenables pour mettre à fin la procédure décrétale, les autres intéreffés feroient en droit d'intervenir pour l'y obliger; fi-non pour fe faire autorifer à faire vifiter le navire & eftimer la portion faifie; enfuite à faire faire le radoub & tout ce qui feroit néceffaire pour mettre le vaiffeau en état de naviger à frais communs, fauf à répéter fur la portion faifie, ce qu'elle devroit fupporter de ces frais. Alors le faifi, le faififfant & les créanciers oppofans ne pourroient s'en défendre qu'en abandonnant la portion faifie fur le pied de l'eftimation. Mais cette procédure feroit interdite aux autres intéreffés, fi leurs portions réunies n'excédoient pas celle du faifi; parce qu'alors ils ne feroient pas en état de lui faire la loi, ni à fes créanciers, comme il fera obfervé fur l'article 5,

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