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CELLULES SIMULANT DES AMIBES
ET CANCER A ÉVOLUTION ANORMALE

PAR

H. Rubens DUVAL et R. LEMARCHAL.

Nous avons observé récemment, dans le pus retiré par ponction aspiratrice d'adénopathies sous-maxillaires dont la nature était cliniquement impossible à diagnostiquer, des formes cellulaires qui ressemblaient à s'y méprendre à des Amibes. En cette région, la présence de ces parasites n'avait rien d'invraisemblable. Des Amibes incontestables ont été trouvées dans le tartre dentaire par Prowazek (Amoeba gingivalis). Une autre Amibe a été rencontrée par Verdun et Bruyant dans un abcès du maxillaire. L'Amaba Kartulisi a été isolée par Kartulis, en Egypte, d'une semblable suppuration et retrouvée à Baltimore par Flexner dans le pus d'un abcès du maxillaire inférieur (1).

Les formes cellulaires contenues dans le pus de notre malade ressemblaient à des Amibes, au point que le Dr Brumpt considéra tout d'abord l'interprétation, que nous lui soumettions hypothétiquement, comme admissible, et ce ne fut qu'après un examen prolongé de nos préparations et de celles qu'il voulut bien faire lui-même qu'il reconnut qu'il ne s'agissait pas d'Amibes.

Nous prélevâmes alors, chirurgicalement, une des adénopathies; l'examen histologique nous révéla qu'elle résultait de l'envahissement du ganglion par un épithélioma malpighien pavimenteux, lobulé corné.

Nous relaterons successivement l'observation clinique de notre malade, dont le cancer évolua de manière anormale; puis la description des éléments cellulaires rencontrés dans le pus et leurs caractères différentiels d'avec des Amibes; enfin, l'examen histologique qui permit le diagnostic exact et explique certaines des singularités observées.

(1) Nous devons ces renseignements au D' BRUMPT, dont nous avons mis à contribution la grande compétence. Nous sommes heureux de le remercier ici de son extrême obligeance.

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Observation clinique. Le malade, âgé de 67 ans, a été autrefois soigné pour adénopathies tuberculeuses. C'est parce que récemment les adénopathies ont reparu, augmentant de nombre et de volume et que certaines se sont ramollies, quelques-unes même ouvertes à la peau par des trajets fistuleux, que le malade est adressé au Dr Ricard. Il entre dans son service de l'hôpital SaintAntoine, le 12 mars 1910.

Les adénopathies occupent la région sous-maxillaire droite et s'étagent de là le long du bord postérieur du sternocleidomastoïdien jusque vers la clavicule. Celles de la chaîne du sternocleidomastoïdien sont de consistance variable: la plus petite, qui est la plus bas située, est dure, roule sous la peau et est nettement arrondie; la plus volumineuse, qui confine au groupe des adénopathies sousmaxillaires, est ramollie et rénitente; la peau rougit à son niveau et ses limites imprécises se fondent dans un empâtement diffus qui s'étend aux adénopathies sous-maxillaires.

Celles-ci sont molles et fluctuantes; deux d'entre elles se sont ouvertes à la peau et le stylet s'engage dans les trajets fistuleux à 30 et 50mm de profondeur, en se dirigeant vers le pharynx. Les fistules laissent s'écouler un liquide fluide séropurulent, grumeleux, gris jaunâtre, non fétide.

L'empâtement qui entoure les adenopathies sous-maxillaires se continue avec une masse qui entoure le maxillaire inférieur et limite les mouvements d'ouverture de la bouche. On peut néanmoins pratiquer la palpation intrabuccale,qui permet de constater que cette masse se prolonge sous la moitié droite de la muqueuse du plancher de la bouche, qui est normale et glisse aisément sur les plans sous-jacents. Là se trouve une tuméfaction dure qui s'effile en avant et se poursuit en arrière sous l'amygdale et jusque dans la paroi pharyngée. Le maxillaire inférieur paraît être simplement englobé par cette masse et indépendant d'elle.

Les manœuvres que nécessite cette exploration ne déterminent aucune douleur. Le malade n'accuse d'ailleurs qu'une sensation d'engourdissement de la joue droite et de la moitié droite de la lèvre inférieure, et ne se plaint que de la limitation des mouvements d'écartement des mâchoires, ce qui l'empêche de s'alimenter autant qu'il le désirerait.

L'affection actuelle aurait débuté il y a cinq mois par un gonfle;

ment de la région sous-maxillaire qui, seul, attira tout d'abord l'attention du malade. La fistulisation des adénopathies sous-maxillaires se fit insidieusement sans déterminer de douleurs, puis, insidieusement de même, apparurent les adénopathies étagées le long du sterno-cleïdo-mastoïdien.

La tuberculose est probable dans les antécédents du malade, car il perdit deux enfants de méningite et un de broncho-pneumonie à une époque où il était lui-même soigné pour une bronchite traînante, accompagnée d'amaigrissement et de sueurs nocturnes. D'autre part, il y a dix ans, il a été opéré pour une synovite fongueuse de la gaine palmaire gauche.

La tuberculose ne pouvait guère expliquer l'apparition en cinq mois, chez un homme de 67 ans, d'adénopathies multiples suppurées, ni surtout la formation de cette masse dure qui englobait le maxillaire inférieur et limitait l'ouverture de la bouche. En présence de ce vieillard robuste, qui ne souffrait pas, dont l'état général paraissait bon et dont le teint était rose et frais, dont la peau et les muqueuses semblaient saines, l'idée de cancer ne se posait que pour être rejetée. L'actinomycose semblait aussi improbable. Pour éclairer le diagnostic, du pus fut prélevé par ponction exploratrice, puis, dans l'incertitude où laissait l'examen du pus, un ganglion fut extirpé chirurgicalement. L'examen histologique venait d'en être terminé, démontrant la nature cancéreuse de l'affection et une exploration du pharynx avec le miroir laryngoscopique allait être pratiquée lorsque, le 14 avril, la température s'éleva brusquement à 40°; le malade mourait la nuit suivante.

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A l'autopsie, nous ne pùmes pratiquer qu'une incision sternopubienne et, par cette incision, il ne nous fut possible d'extraire que la portion laryngienne du pharynx qui était saine. Le siège précis du cancer primitif nous est donc demeuré inconnu ; il est probable qu'il s'agissait d'un néoplasme de la portion moyenne du pharynx. Examen du pus. Différentes hypothèses avaient été émises sur la nature de l'affection, entr'autres celle d'une mycose autre que l'actinomycose, dont la symptomatologie ne se trouvait pas réalisée par le cas présent. Du pus, prélevé aseptiquement par ponction aspiratrice, fut donc ensemencé sur les milieux glycosés. et maltosés (formule de Sabouraud) Les tubes de culture restèrent tous complètement stériles.

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D'autre part, le pus fut examiné soit à l'état frais sans coloration, soit pendant la coloration vitale au brillant crésyl-blau, soit encore après fixation et coloration, suivant les techniques usuelles. Il ne montra aucune Bactérie (notamment pas de Bacilles de Koch) ni aucune forme pouvant être attribuée à un Champignon. Par contre, l'attention était immédiatement attirée, quelle que fût la technique suivie, par la présence, au milieu des polynucléaires neutrophiles, peu ou pas altérés, qui constituaient essentiellement le pus, de nombreuses cellules de grandes dimensions à protoplasme globuleux semé de granulations et à noyau arrondi. (fig. 1, 1).

Nous pensâmes qu'il s'agissait peut-être d'Amibes et, en raison de notre incompétence relativement à ces parasites, du pus frais et des préparations microscopiques furent portés au Dr Brumpt.

Il fut tout d'abord frappé des analogies que présentaient ces cellules avec des Amibes véritables; il reconnut ensuite qu'elles ne pouvaient être considérées comme telles en raison: 1o de leur immobilité à l'état frais; 2° de la coloration facile de leur noyau, après fixation, par l'hématéine; 3° de l'affinité acidophile de leur protoplasme; 4° de la présence dans quelques cellules de noyaux multiples; 5° de l'observation dans quelques éléments d'enclaves intraprotoplasmiques volumineuses ne ressemblant pas à celles des Amibes; 6o des dimensions considérables de certaines de ces cellules.

Après la réponse du Dr Brumpt, nous eûmes l'impression, en rencontrant quelques éléments allongés et aplatis (fig. 1, 3), qu'il pouvait s'agir de débris d'un épithéliome corné, mais les cellules les plus nombreuses étaient régulièrement globuleuses et libres; nulle part, nous ne trouvions de globes épidermiques ni même le moindre groupe de cellules imbriquées ou engrenées entre elles et nous ne nous arrêtâmes pas à cette impression, qui était pourtant exacte, ainsi que le montra l'examen histologique des ganglions prélevés chirurgicalement d'abord, à l'autopsie ensuite.

Examen histologique des adénopathies. Dans l'incertitude où nous avait laissés l'examen du pus, deux petits ganglions furent enlevés chirurgicalement pour être examinés au microscope.

Ces petits ganglions, très adhérents aux tissus voisins et d'une extirpation laborieuse, se présentaient sous la forme de petits

nodules fibreux très denses. A la coupe, on constatait qu'ils étaient creusés d'une cavité renfermant une gouttelette de pus ou plutôt d'une matière pulvérulente en suspension dans un peu de liquide.

Fig. 1.-Pus fixé sans dessiccation au liquide de Dominici et coloré à l'hématéine et à l'éosine-orange. Au milieu des polynucléaires neutrophiles, peu ou pas altérés, qui constituent essentiellement le pus, sont représentées des cellules volumineuses, que l'on a rassemblées ici en un espace restreint, mais qui étaient disséminées çà et là dans la préparation.

Certaines cellules (1) simulent assez bien des Amibes. Elles en ont la conformation générale, le noyau arrondi et le protoplasme finement granuleux. De telles cellules étaient les plus nombreuses. Par contre, une cellule multinucléée (2) ne saurait être confondue avec une Amibe. Il en est de même de la cellule allongée, pourvue d'un noyau pycnotique (3).

L'examen histologique montre qu'il s'agit d'épithéliome pavimenteux malpighien typique avec abondantes formations cornées. Le tissu propre du ganglion a complètement disparu et est

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