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une famille étrangère par l'adoption. De cette forte le fage Nerva adopta le valeureux Trajan: les deux ne faifoient qu'un corps; l'un êtoit la tête qui gouvernoit, l'autre le bras qui éxécutoit: les facultés êtoient partagées; au vieux la prudence, au jeune la valeur. La confiance pourroit-elle plus à l'égard des étrangers, que la nature dans un pére enfans (37) ? pour fes propres

La tendreffe ou la méfiance des péres est un écueil fatal contre lequel plufieurs Princes ont fait naufrage. Charles le Simple en fit une funefte expérience: enféveli dans les plaisirs, même avant que de naître; mort à son Etat, il ne fçut point ce que c'êtoit que la vie d'un Roy. L'afection ou la méfiance a fait aux Princes Ottomans, des doux charmes des plaisirs, les fers qui les lient, d'autant plus dificiles à rompre, qu'ils paroiffent plus aimables: Denis II (38), Roy de Sicile, ainfi que plufieurs autres Princes dont on craignit qu'ils n'afpiraffent de bonne heure à commander, furent élevés de maniére qu'ils n'en furent jamais capables, ou qu'ils ne le devinrent que fort tard.

(37) Par cette pensée Gracian a voulu faire entendre, que Jean pére de Ferdinand eut êté blamable de ne point initier fon fils dans le Gouvernement. Si onaplique la même pensée à la conduite de Jean envers fon autre fils le Prince de Viane aîné de Ferdinand elle ne fera point à l'avantage de ce Roy, que Gracian a loué dans d'autres endroits de cet Ouvrage.

Tous

res. Denis II fe fit d'abord aimer ; mais fes vices le rendirent bien-tôt indigne de régner, & il mourut miférable, réduit à gagner fa vie, en faisant le métier de Maître d'Ecole. Charles VIII eutà peu-près la même éducation, ou plûtôt n'en eut, comme lui, aucune. 11 fortit du Château d'Amboife, où la défiance de Louis XI l'avoit tenu renfermé, pour monter fur le Trône, & (38) Denis II, fils de Denis Tyran c'eft au peu d'ufage qu'il avoit des de Syracufe, fut élevé dans l'éloigne- afaires que l'on doit atribuer le peu de ment des afaires, & c'êtoit bien le difcrétion avec laquelle il rendit à Fermoins que l'on dût atendre de la mé-dinand les Comtés de Rouffillon & de fiance d'un pére, dont la cruauté n'a- Cerdaigne. voit refpecté ni fa mére, ni fes fré

Tous les arts s'aprennent, & même le plus facile des arts mécaniques a fon tems d'aprentissage. Le seul art de régner, le plus épineux de tous, n'en a point : rien néanmoins de plus dificile que de bien commander.

On fe rend capable de régner, ou par l'étude, ou par l'expérience. Plufieurs deviennent Rois fans avoir ni l'un ni l'autre. Ninus II (39), fils de Sémiramis, fe trouva d'abord engagé dans le dificile maniment du feptre. Childéric (40) Roy de France se trouva à fon avénement à la couronne, au milieu d'un océan politique, agité, rempli de fang & de fiel.

De grands dangers, point d'expérience : cette afreuse perspective fit concevoir à Sanche II (41), Roy de Portugal, une fi grande horreur pour fon devoir, qu'il négligea entiérement le travail, fe livra aux plaifirs, & n'eut de Roy que le titre, que même il ne fçut point conferver. Ferdinand s'apliqua dans fa jeunesse particuliérement à l'art

(39) Ninias, ou Ninus II monta | paifible dans fon ufurpation; le pére & fur le Trône d'Affirie après la mort de le fils furent punis de leurs crimes. Sémiramis fa mére. Il abandonna le foin Childéric fecond fils de Clovis fut mis de fes Etats à fes Miniftres, & fe reti- fur le Trône. Il monta dans des conjonra dans le fond de fon Palais, pour y ctures prefque auffi facheufes fur celui mener une vie voluptueufe. La plupart de Neuftrie & de Bourgogne. Il moude fes defcendans jufqu'à Sardanapale,rut à l'âge de 24 ans. C'étoit un Prince fuivirent fon éxemple: tous vécurent (dit le P. Daniel) fans conduite, fans dans cette infame retraite, & fe rendi- courage, incapable de gouverner, & de fe rent fi peu dignes d'être connus, que laiffer gouverner par ceux dont la prudenl'Hiftoire tranfmet à peine leurs noms. ce auroit pu fupléer à fes défauts. (40) L'ambition & l'infolence des (41) Les Portugais mécontens de Maires du Palais, n'avoit pas de moin- la lâcheté de Sanche II, & encore plus dre objet que le Trône & l'extinc- de l'humeur hautaine de la Reine. tion de la famille Royale. Grimoald apellérent en Portugal Alfonfe frére venoit de faire publier la mort du fils de Sanche, qui êtoit alors en France où de Sigebert Roy d'Auftrafie, & ayant il avoit époufé Mahaud Comteffe de fait tranfporter fecrétement ce jeune Boulogne. Il continua la poftérité, & Prince en Ecoffe, avoit fait couronner le malheureux Sanche chaffé de fes fon fils. Il ne demeura pas long-tems | Etats, mourut à Toléde en 1248.

l'art militaire, & dans fa vieilleffe à la politique : il emploïa fes derniéres années à gouverner ce qu'il avoit conquis (42) dans fes premiéres.

Il y a des vertus d'âge : la valeur est la vertu de la jeuneffe, la prudence celle de la vieilleffe: l'illuftre Marquis de Marignane difoit que les (43) armes s'exercent dans le feu de l'âge, avec facilité & avec fuccès.

Trajan (44) envioit à Aléxandre le bonheur d'avoir commencé jeune. C'êtoit moins l'ambition de commander, qu'une noble envie contre le fort qui le faisoit ainsi parler. Souvent les heureux succès finissent avec le bel âge. Pompée perdit dans fes vieux ans, ce qu'il avoit acquis dans la jeunesse.

Les armes demandent un grain de témérité. Le succès ne s'en peut fixer: la maturité, fruit d'un grand âge, ra

lentit

(42) La vertu de Ferdinand n'êtoit | tre Majefté n'a peut-être jamais fait répoint la bravoure; mais il fçavoit faifir fléxion que la fortune eft du genre féminin, l'ocafion d'une afaire,& il fut affez heu-qu'elle a non-feulement l'inconftance de reux pour avoir un Gonfalve de Cor-fon fexe, mais qu'elle prend encore fur douë, dit le grand Capitaine, à qui il nous l'efprit de nos premiéres années, où dut les Royaumes de Grénade & de nous nous plaifons avec de jeunes gens Naples, & dont la valeur redoutable à comme nous. tous les énemis de l'Espagne, le devint enfin à l'efprit défiant de Ferdinand, qui le laiffa fans emploi & fans récompenfe. Il ne lui donna d'autre marque de fa reconnoiffance que les magnifiques obféques qu'il lui fit faire après fa mort.

(43) Gracian raporte la même penfée d'une maniére plus étendue dans le HEROS. Charlequint contraint de lever le fiége de Metz, place dépourvuë de tout,& qu'il comptoit au nombre de fes conquêtes les plus aisées, ne put fur cela diffimuler fon chagrin à Marignane. Celui-ci, pour le diftraire de fa peine par quelque bon mot, lui dit, Seigneur, Vo

(44) Trajan régna dix-neuf ans fix mois & quinze jours; & il me paroît que le fouhait que Gracian lui fait faire, auroit bien mieux convenu à Nerva fon prédéceffeur, qui ne parvint à l'Empire que dans un âge très avancé, qui ne régna qu'un an, trois mois & onze jours, qui n'oublia rien dans ce peu de tems de ce qui pouvoit rendre à l'Empire fon premier luftre, & qui adopta Trajan au préjudice de tous les parens, parce qu'il le croyoit plus digne de l'Empire qu'aucun autre. Ce raifonement ne prouve point le fait : l'Hiftoire, je crois, ne parle guéres plus de l'un que de l'autre.

D

lentit l'activité, retient la hardieffe. La prudence ne fut jamais la vertu des grands conquérans.

Philippe le Prudent (45) commença de bonne heure à

manier

(45) Philippe II eft apellé par les févérité, qu'il ne les avança par sa vaEfpagnols Philippe le Prudent, & il y leur. Requesens qui lui fuccéda, voua un Livre Espagnol qui a pour titre, lut éprouver la douceur ; mais elle n'êPhelippo el Prudente. Gracian parle tou- toit plus de saison. Jean d'Autriche gajours avec de grands éloges de ce Roy gna la bataille de Gemblours, & fur& de fes fucceffeurs Philippe III, & prit Namur ; mais il eut le malheur de Philippe IV, Princes quien méritérent donner des foupçons qui le firent moupeu, dont il n'auroit point dû parler; rir avant qu'il eût pu profiter de fa vicmais dont un Espagnol, dans le fiécle toire. Le Duc de Parme eut l'adreffe de où vivoit Gracian ne pouvoit parler, détacher les Provinces Valonnes de l'ufans les louer. Philippe II êtoit d'un nion d'Utrecht ; mais les deux campacaractére faux. Ses Généraux gagnérent gnes qu'on le contraignit de faire en la bataille de Saint Quentin; fon peu France, privérent l'Espagne des avand'habileté, & fon avidité de paffer en tages qu'il auroit remportés. Fuentes le Espagne pour y régner, fit qu'il n'en contenta d'enlever Cambray à Balagny. pourfuivit point les avantages. La crain- Albert & Isabelle employérent près de te qu'il eut lui fit faire le vœu de bâtir quatre ans au fiége d'Oftende: Spinola l'Efcurial, compofé bizarre, d'un Cou- épuifa de Soldats l'Espagne, l'Italie & vent, d'un Collége & d'un Palais, gran- l'Allemagne, & tous ces terribles aprêts de maffe de pierre où le Roy fe trouve fe terminérent à rien. Aytone fut fur le le plus mal logé. Ce Prince êtoit ridicu- point de perdre les Provinces obéiffanlement grave, fe communiquoit peu, tes, par la défection de la haute Nofaifoit confifter la grandeur dans une in- bleffe. Le Cardinal Infant fe trouva fenfibilité afectée;il êtoit foupçonneux, trop foible pour réfifter aux François & fes foupçons n'êtoient pas moins re- d'un côté, & au Prince d'Orange de doutés que la mort même. On voit en- l'autre. Caracene eut tant d'obstacles à . core dans le Palais à Madrid, proche furmonter dans le Gouvernement de la fale où fe tenoit autrefois le Confeil, Flandres qu'il demanda d'être rapellé. & qui fert aujourd'hui à la Comédie L'Archiduc Leopold manqua d'expérienune galerie où ce Prince qui fe faifoit ce, & Fuenfaldagne eut plus de fidélidire malade, venoit écouter les dif- té que de bonheur; en forte que les cours de fes plus intimes Confeillers. Provinces Unies fe défendirent avec Ce fut fous fon régne que commença tant de fuccès, que Philippe IV fut réla révolte des Pays-Bas. Elle dura trois duit à les reconnoître Souveraines par régnes; l'Espagne fit tous fes éforts pour la paix de Munfter. Ce qui rendit le les conferver, & n'en put venir à bout. mal incurable dès fon principe, fut l'inOn envoya contre les révoltés des trou- clination à contretems qu'eut Philippe pes choifies dans tous les Etats de la II de demeurer en repos en Espagne. Il Monarchie d'Espagne, fous le com-devoit aller étoufer cette révolte, & mandement du Duc d'Albe; mais ce fuivre l'éxemple de fon pére CharleDuc gâta plus les afaires du Roy par fa quint qui alla en perfonne apaifer la fé,

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manier les armes; mais Aléxandre téméraire fit de plus grandes conquêtes que tous les Rois les plus fages joints enfemble: la réfolution & la hardieffe de (46) Célar triomphérent de toute la prudence du Sénat.

C'est une fage précaution que d'ocuper la jeunesse de l'éxercice des armes : fi cette ocupation ne la garentit point entiérement des vices, au moins l'empêche-t-elle de tomber dans l'oifiveté.

La vieilleffe aime la paix; dans fon repos, elle établit des loix, réforme les abus, arrange l'Etat, affûre l'Empire. Ferdinand commença par être Roy de Sicile : heureux & illuftre augure de toutes les conquêtes qui fuivirent! Il entra ensuite en Castille, entreprise (47) plus dificile que

dition de la feule ville de Gand, & traverfa toute la France, fans être arrêté par la crainte que François I n'abufât de la néceffité où il fe trouvoit. Par cette feule faute, on peut juger que Philippe II n'a point mérité le furnom de Prudent dont il fe piquoit, & que lui donnent les Hiftoriens Efpagnols, & qu'il n'avoit aucune inclination pour les armes. Je crois même qu'il ne s'eft jamais trouvé dans aucun combat: ainfi Gracian fait mal à propos l'honneur à ce Roy, de faire comme entrer en paralléle les éfets de fa prudence, avec ceux de la valeur téméraire d'Aléxandre.

(46) Céfar êtoit hardi, mais il n'y eut jamais de héros qui joignit à plus d'intrépidité plus de prudence.

(47) Henri IV, Roy de Caftille, n'ayant pu avoir d'enfans de l'Infante de Navarre fa premiére femme l'avoit répudiée, & ne pouvant en avoir de la feconde, le bruit courut, qu'il avoit mieux aimé que fon favori la Cuéva fupléât à fon défaut, que de paf

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fer pour impuiffant. La Reine devint groffe, & mit au monde une fille qu'on nomma Jeanne, & que le Roy reconnut toujours pour fa fille. Ifabelle après la mort du Roy Henri IV, fon frére, époufa Ferdinand, quoique ce Prince fut beaucoup plus jeune qu'elle; en forte que foutenue des forces d'Aragon, fon parti prévalut à celui de la Princeffe de Caftille, qui fut obligée de fe retirer en Portugal. Les nobles Caftillans qui avoient fouhaité qu'Ifabelle eût choifi un mari parmi eux, & cette Princeffe qui avoit d'abord femblé fe rendre à leurs fouhaits, en choififfant Pierre Tellez Giron, cadet de la Maifon d'Offone, & Grand-Maitre de l'Ordre de Calatrava, qui mourut à Villa Rubias, lorfqu'il alloit pour l'époufer, (ainfi que le raporte Alfonfe de Haro en parlant de la Maison d'Offone) les Caftillans, dis-je, ne voulurent point fe foumettre à l'autorité de Ferdinand, & n'en voulurent point reconnoître d'autre que celle d'Ifabelle; ce Prince fut obligé de compofer avec eux. L'on

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