Imágenes de páginas
PDF
EPUB

celle d'Alcide contre l'hydre à sept têtes: fa capacité & sa valeur éclatérent par la grandeur de fes fuccès: il fit juger dès lors, quel prodige il feroit en fait de politique.

La premiére démarche détermine le bonheur d'un régne : un fleuve large & profond continuë fon cours par où il a commencé, c'eft une espèce d'impossibilité que de le détourner.

Les Rois trouvent de grands obftacles au commencement de leur régne : toute la prudence, toute l'atention, toute la fagacité sufit à peine pour se foutenir dans ce pas gliffant : c'est à l'entrée des chemins qu'on court risque de s'égarer; quand on s'en est bien affûré, on poursuit avec facilité.

Le Prince qui eft aujourdhui Roy (48) de la Chine donna dans fes premiéres années de grandes espérances: fes fujets atentifs à toutes fes démarches, & prévenus par fes premiéres actions, en atendoient les plus hautes vertus; mais il s'eft laiffé aller à la flaterie, entamer par les vices: les Chinois eux-mêmes ont travaillé à perdre le meilleur Roy que l'histoire eût immortalifé.

Les sujets conçoivent de grandes espérances d'un nouveau Prince: ils fe flatent toujours que celui qui commence fera meilleur que celui qui finit, quelque bon qu'il ait êté. Ferdinand fut défiré (49) avant que d'être reçu; il ne rem

convint que le nom d'Ifabelle feroit toujours joint à celui de Ferdinand dans les Edits:(& c'est ce qui justifie l'expreffion des Hiftoriens, qui en parlant de Ferdinand & d'Ifabelle difent les Rois Catholiques:) que la juftice feroit renduë au nom du Roy & de la Reine, & qu'on ne donneroit qu'à des Caftillans, les charges, les emplois &

les bénéfices.

plit

(48) Du tems de Gracian régnoit à la Chine Xunchin: Le caractére qu'en fait Gracian eft affez éxact.

(49) De cet expofé de Gracian, il réfulte une idée fort confufe: il faut l'éclaircir. Durant la vie d'Ifabelle Ferdinand avoit voulu atirer à lui feul l'adminiftration de Caftille; lesGrands

plit pas feulement les efpérances qu'on avoit conçues de lui, il les surpassa: il prévit que les plus zélés en aparence pour l'élever fur le Trône, ne le faifoient point afin qu'il les commandât; il les flata dans leurs ambitieux deffeins, fe fervit enfuite de leurs mauvaises intentions contr'euxmêmes ; & aïant vaincu les uns & les autres, il fut véritablement (50) Roy.

[ocr errors]

faux, & il fut obligé de fe défifter de fes prétentions. Les Caftillans furent bien-tôt privés de leur jeune Roy; & rebutés des égaremens de leur Reine, ils furent contraints de recourir à Fer

ne penfoit, fut invité à reprendre le Gouvernement de Caftille. En habile homme il ne fe vangea point de ceux qui l'avoient traverse: il prit au contraire un foin tout particulier de fe les acquérir. Un procédé fi rare & fi judicieux eut tout l'éfet que Ferdinand s'en êtoit promis. Les Caftillans perfuadés qu'on leur pardonnoit généreusement, parce que l'on afectoit de feindre de ne fe plus fouvenir de leur faute, ne s'en fouvinrent à leur tour que pour la réparer, & vécurent depuis dans une foumiffion fiéxacte, qu'ils s'abstinrent de demander durant la vie de Ferdinand, comme ils avoient coutume de faire, la convocation des Etats, pour régler le gouvernement de la Monarchie. Par cette expofition historique, on jugera de ce qu'il y a de vrai & de faux dans ce que dit Gracian.

s'y êtoient opofés, & avoient dans une afflemblée des Etats folennellement confervé Isabelle dans la poffeffion de fon droit. Ferdinand, en partie pour se vanger de la Nobleffe, & d'ailleurs par mille bonnes raisons, avoit de l'auto-dinand. Ce Prince plus heureux qu'il rité du Pape, réuni dans fa perfonne les grandes Maitrifes des Ordres, qui auparavant rendoient les fujets qui en êtoient revêtus, redoutables à leurs Rois, foit par les priviléges, ou par les revenus qui y êtoient atachés. Il ne laiffoit échaper aucune ocafion d'humilier la Nobleffe, & Ximénès, moins par envie de plaire à ce Prince, que par cet amour pour la grandeur de la Monarchie, naturel à tous les Efpagnols, & dont le plus grand obftacle etoit la trop grande puiffance de la Nobleffe, l'avoit parfaitement bien fecondé. Ce Cardinal avoit toute la confiance de la Reine Isabelle qui n'agiffoit que par lui. Ximénès êtoit un homme d'un génie, & d'un caractére semblable à celui du Cardinal de Richelieu. Après la mort d'Ifabelle, les Caftillans voulurent être gouvernés par leur Roy légitime, Philippe, Archiduc d'Autriche, qui avoit époufé Jeanne la Folle, fille d'Ifabelle, & par conféquent héritiére du Royaume de Caftille,qui avoit apartenu à fa mére. Ferdinand effuya dans cette ocafion de grandes mortifications. Le teftament qu'il produifit de la Reine Ifabelle, fut rejetté comme

(50) M. Amelot de la Houffaye en rapellant ce trait dans fon Epitre de L'HOMME DE COUR, le traduit par Roy, Roy: c'est la traduction littérale. Il remarque que Clément Marot s'eft fervi d'une expreffion femblable dans l'Epitre qu'il adreffe à François I, à la fin de laquelle il lui parle ainfi :.

Il fe fit gloire de fuivre les préceptes ( 51 ) du Roy Jean fon pére: fa prudence prévalut à l'inclination ordinaire.

Les Princes font naturellement portés à fe conduire par des maximes opofées à celles de leurs prédéceffeurs; ce que même un fils doit à son pére, n'est pas capable de détruire en lui ce penchant bizarre : cette paffion régne, soit amour de la nouveauté, foit émulation; la nature qui peut unir le sang, ne peut unir deux jugemens : on hérite quelquefois d'un gefte, mais jamais du goût.

Si cette répugnance n'ataquoit que des actions blamables, ce feroit une louable inclination; mais qu'aveuglément, fans mettre de diférence entre les objets, elle ataque avec une fureur égale les plus belles actions, c'est une passion détestable.

Que Vefpafien (52) abhorre les éxemples de Vitellius, & ceux de ses monftrueux prédéceffeurs, c'eft rétablir l'Empire, c'est vanger la vertu.

Mais

de femblables fujets de fe plaindre de fon pére. Voyez les Notes 36 & 37.

(52) Vefpafien fut forcé par les foldats d'accepter l'Empire qu'ils lui ofroient & qu'il refufoit. Cet Empereur remplit les efpérances que concurent les Romains de voir renaitre le bonheur public fous le gouvernement d'un Prin

Roy plus que Mars d'honneur environné Roy le plus Roy qui fut one couronné. Exemple, ajoûte-t'il, qui fervira de réponfe à quelques Critiques, à qui ce feroit un grand honneur de pouvoir être comparés à Marot. Cette note de M. Amelot n'a point empêché que le P. Bouhours n'ait critiqué fon expreffion ; & en éfet, comme ce Pére le remarque judicieu-ce auffi fage que vaillant. Depuis longfement, il y a une grande diférence entre Roy Roy, ou Roy le plus Roy qui fut

onc couronné.

(51) Ces préceptes font peu, ou point connus. Gracian auroit-il fait cet éloge de Ferdinand, parce qu'il n'imita point l'éxemple de fon frère Charles de Viane qui fit la guerre à fon pére? Il faudroit convenir en même tems que Ferdinand ne fe trouva point dans de Lemblables circonftances,& n'eut point

tems Rome n'avoit eu pour Empereurs que des Tirans. Vitellius devenu en horreur par fes débauches continuelles & fes cruautés avoit êté déchiré par les foldats, & trainé dans le Tibre par le peuple.Othon avoit acquis le Trône par trahifon, & l'avoit perdu par désespoir. Galba avoit commencé d'être cruel en commençant à régner: fon avarice, les excès de fes favoris & fon extrême vieilleffe l'avoient rendu odieux, & il

Mais qu'Adrien (53) condanne les actions éclatantes de Trajan, le meilleur Empereur que Rome ait adoré; qu'il fe porte à de telles extrémités ; qu'afin de refferrer les bornes de fa réputation, il retrécisse celle de fon Empire; que pour détruire fa mémoire, il détruise le fameux pont du Danube, ce n'eft point émulation, c'est plus qu'envie,

c'eft atrocité.

Tout aprouver eft ignorance, tout réprouver eft envie: croire qu'il faille être absolument pacifique, parce qu'on a succédé à un Prince guerrier, fans autre raison que celle de fon penchant à la contrariété, c'est se tromper fur les régles de la véritable politique. ·

Plufieurs s'imaginent (mais leur imagination les trompe) que toute imitation déroge à la perfection : les mauvais Princes fe fuivent; il semble qu'ils aïent fait un défi à qui fera le plus vicieux. Au voluptueux Tibére, succéde le détestable Caligula ; à celui-ci, Claude hébété ; à Claude, le pervers Néron : ils vont en troupe, s'enchainant les uns avec les autres. Les héros au contraire font rares & finguliers; un Augufte, un Trajan, un Théodofe : on les perd d'abord de vuë, il ne leur fuccéde personne qui les imite.

Ferdinand eut une augufte Monarchie; la félicité du Monarque & celle de la Monarchie fut réciproque. Ce

Prince

avoit êté maffacré. Néron, Claude, Ca- | du Danube, & d'un autre côté en ligula, Tibére, tous Princes qui fe fui- faifoit conftruire de nouveaux. Il faivirent, font plus connus, parce qu'ils foit des vers, & il fit ce qu'il put pour furent encore pires que les autres. abolir la mémoire d'Homére & de fes (53) Adrien fut un de ces Princes poëfies. Il êtoit curieux de voir, & les qui font fâchés, qu'il y en ait de plus ocafions de faire la guerre lui fournigrands qu'eux. A fon avénement à l'Em-rent celles de voir tout fon Empire, pire, il fit la paix avec les Parthes, & prefque auffi grand alors que le monde leur rendit les conquêtes de fon prédéconnu. Il mourut d'un flux de fang cauceffeur. Il fit détruire le fameux pont fé par les fatigues de fes voyages.

fa

Prince eut une Monarchie égale à sa capacité & à sa valeur; cette Monarchie eut un Prince égal à sa grandeur & à sa puiffance.

A une petite plante, un petit vase est un champ spacieux : un arbre géant, un haut palmier, un cédre orgueilleux s'y trouveroit géné; il ne fauroit s'y étendre, il ne fauroit y prendre racine.

Si Charles Emanuel (54) de Savoye eût eu un Empire proportioné à son grand génie, il eût surpassé Célar même:(55) Quel tourment pour une ame héroïque, que les forces de fon Etat ne puiffent foutenir celles de fa valeur ! C'est un grand bonheur de n'avoir point à envier une autre Monarchie.

Par les mêmes raisons, c'est un grand malheur pour une Monarchie d'être gouvernée par un Prince dont les vertus & les talens ne répondent ni à la grandeur, ni à la puissance de l'Etat. Un Ladislas II (56) Roy de Pologne, méprifé

(54) Charles Emanuel êtoit un Prince dont l'ambition n'avoit point de bornes. Ses principales pensées n'êtoient que pour la guerre, où il acquit tant d'eftime qu'il a paffé pour un des plus braves Capitaines de fon fiécle. Son humeur entreprenante lui atira plufieurs fois dans fes Etats les armes des François & des Espagnols. Les François ataquoient, les Efpagnols défendoient, & les Etats de Charles Emanuel êtoient le téatre de la guerre entre deux Puiffances, dont il avoit également à se méfier. Voici un trait de la valeurde ce Duc, raporté par Gracian dans LE HEROS: Charles Emanuel fut digne du nom d'Achille que lui donnerent fes troupes : ce Prince acompagné feulement de quatre des fiens, s'ouvrit un paffage au milieu de soo cuirals qui vouloient l'envelo

|

per. Au fortir de ce triomphe, il fe contenta de dire froidement à fes foldats alarmés de fon danger: En ces rencontres périlleuses, le courage eft une bonne escorte.

(55) J'ai fuprimé dans cet endroit une phrafe; en voici la traduction : Cet aftre refferré dans l'étroite Sphere de fon état ; d'un foleil qu'il pouvoit étre, dégé néra dans une petite étoile. Je crois qu'on peut fuprimer de femblables phrafes, fans qu'on puiffe être acufé de manquer à la fidélité de la traduction.

(56) Ladiflas II fuccéda à fon pére Boleflas III, l'an 1139. Il fut vaincu en diférentes rencontres, & enfin il fut obligé de fuir en Allemagne vers l'Empereur Conrad III. Boleflas l'un de fes fréres fut mis fur le Trone, & l'Empereur Frédéric Barberouffe, fucceffeur de Conrad, obtint de Boleflas qu'il

« AnteriorContinuar »