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dans la plus preffante extrémité, tenant affiégée une Ville prefqu'imprenable, clef de fes Etats, porte de fes chrétiennes conquêtes. L'invincible Pierre fon fils lui fuccéda, Prince d'ocafion qui fit plus que fupléer à fa perte ; il prit pour feptre une épée teinte de fang infidéle, & vengea la mort du Roy fon pére par celle de plufieurs Rois.

Les Empires ont leur acroiffement & leur période : ils croiffent par une valeur héroïque, fe confervent par une valeur modérée, sufifante pour les empêcher de décroître: plus d'Etats ont péri par défaut que par excès de valeur.

Il y a des Nations à qui il faut un Roy guerrier, com`me aux François ; & d'autres à qui il faut un Roy pacifique, comme aux Anglois : ce qui néanmoins peut varier dans de certaines conjonctures.

Il y a des Roïaumes où un Prince doit maintenir à la rigueur l'observation des Loix, & d'autres où il doit user de clémence. Dans un même Etat on a vu avec plaisir fuccéder un extrême à fon contraire: après un Jean II & (119) un Henri prodigues, a fuccédé à propos un Ferdinand économe, rachetant deux fois la Couronne; premiérement de ses propres vaffaux, & enfuite de fes énemis. Emanuel (120) Roy de Portugal fe rendit recommendable

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mendable par fa bonté, après les rigueurs du Roy Jean son prédécesseur (1 2 1 ). Cette alternative & cette variété, ce Aux & ce reflux de circonftances & d'inclinations, ne fert qu'à maintenir & affûrer davantage la durée des Empires.

Quand les Princes d'un même fiécle font valeureux & guerriers, un Roy enfeveli dans les voluptés & amoli par les délices de la paix, est méprisé; il eft dangereux & funeste : sa foiblesse augmente l'orgueil de fes voisins, lui fait perdre la confiance de fes fujets qui envient aux autres Nations leurs Rois: fâcheufes extrémités! triftes fituations!

Si l'on manque d'expérience militaire, il faut y supléer par politique, difcernement, favoir. C'eft de cette maniére que Louis XI, Roy de France, réfifta à la valeur de Charles Duc de Bourgogne : il fit voir de combien l'art est supérieur à la force.

Ferdinand concourut avec des Princes de fon génie, prudens, atentifs & politiques : il y a des époques de Rois,

dinairement fiécle d'or, le tems du ré-| gne d'Emanuel; mais c'eft moins à caufe de fa bonté & de fa douceur, qu'à caufe des heureuses découvertes qui fe firent de fon tems. Il traita affez févérement les Mores & les Juifs, chaffant les uns, & obligeant les autres de fe faire batifer. Il n'eut point lieu d'éxercer aucune rigueur contre fes fujets, & l'hiftoire ne marque rien de particulier fur fa bonté: il fufit souvent pour paroître bon, de fuccéder à un Prince févére. Vafco de Gama, Améric Vefpuce, Alvares Cabral, & quelques autres découvrirent fous fes aufpices plufieurs pays inconnus, s'avancérent fur les côtes d'Ethiopie, dans le Royaume de Congo & ailleurs, & firent con

des

noître fon nom dans l'Afrique, dans l'Afie, & dans cette partie du monde, qu'on a apellé depuis Amérique, du nom de ce même Améric Vespuce. Les profpérités de fon régne, le bonheur de fes entreprises, & l'avantage qu'il eut d'étendre le nom Chrétien dans des Royaumes barbares, lui ont fait donner avec juftice le furnom de Prince très fortuné.

(121) C'eft Jean II, dit le Sévére. L'éxactitude qu'il eut à faire obferver la justice, lui fit donner ce furnom. Quelques Seigneurs de fon Etat lui donnérent beaucoup de peine au commencement de fon régne; mais il diffipa leurs deffeins, punit févérement les chefs, Ferdinand Duc de Bragance,

des fiécles où ils font tous guerriers, émules en valeur & en réputation. Tandis que l'invincible Charlequint gouvernoit l'Espagne, François I belliqueux régnoit en France, Soliman courageux en Turquie (122), tous trois grands Capitaines qui auroient affujéti le monde entier, s'ils n'euffent point êté rivaux ; ils rompirent réciproquement leurs éforts, & arrêtérent les progrès de leurs armes.

Quelquefois ils font juftes, pieux, remplis des idées de la Religion & de Dieu : Henri en Allemagne, Robert (123) en France, Canut (124) en Angleterre, & Boleflas (125) en Pologne : & quelquefois ils font voluptueux, fainéans; Childéric en France, Rodéric en Espagne, & dans l'Empire

qui en êtoit un, eut la tête coupée.

(122) Du même tems régnoit en Suéde Gustave Eric-Son. Il s'éleva de particulier à la condition de Roy, par fa valeur & fon habileté. Du même tems encore régnoit en Pologne Sigifmond I, un des plus grands Rois de cette Monarchie.

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(123) Voici le caractére que le Pére Daniel fait du Roy Robert: Il préféra toujours les avantages de fes fujets à fa propre gloire. Ce fut un très bon Prince, plein de piété. Les bonnes œuvres dont il s'ocupoit, fans négliger fes devoirs, & fur-tout fa grande charité envers les pauvres, lui firent donner le furnom de Dé&fa modération celui de Saint. (124) Canut I, Roy de Danemarc, puis d'Angleterre, vivoit vers le commencement du xie fiécle. Ses grandes actions lui méritérent le furnom de Grand : Il êtoit naturellement vaillant, ambitieux; mais il modéra ces deux paffions par les loix du Chriftianifme: fa piété lui fit entreprendre le voyage de Rome. Il partagea entre les trois fils, l'Angleterre, la Norvége & le Da

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nemarc.

(125) BoleflasI, fut Duc & enfuite Roy de Pologne: il reçut le premier le titre de Roy du Pape Sylveftre II, & l'Empereur Othon II afranchit, l'an 1001, fon pays de la dépendance de l'Empire. Ce Prince travailla avec beaucoup de zéle pour le bien de la Religion & pour celui de fes Etats. Gracian en fait ci-après un grand éloge. I eft certain qu'il fe rendit plufieurs Nations tributaires, qu'il rétablit Stopocus Duc de Ruffie, que fon frére Jaroflas avoit détrôné; mais l'hiftoire ne dit point qu'il ait élevé deux colonnes de bronze fur les bords du fleuve Boristéne. Gracian le dit peut-être dans un fens métapho rique, pour exprimer jufqu'où il pouffa fes conquêtes, & dans ce fens l'éloge qu'il en feroit feroit fort équivoque; car le fleuve Borifténe, autrement Niéper, prend fa fource vers Mofcou, & enfuite paffe fur les frontiéres de Pologne, jufqu'où ce Prince auroit pû aller, fans mériter que Gracian en fit le récit par un difcours fi pompeux.

l'Empire Philippique Bardanés (126) dont le furnom exprime la pefanteur & la groffiéreté. Les Rois s'éveillent les uns & les autres, & femblablement s'affoupiffent, ainfi que les oiseaux qui s'excitent au chant ou au filence. Les trois Pierres (127) qui régnérent en même tems en Aragon, en Caftille, & en Portugal, fe reffemblérent par le nom & la

cruauté.

Ferdinand eut à fe préferver de la politique de (128) Louis

(126) Philippique Bardanés Empereur d'Orient dans le vie fiécle, fit mourir Juftinien Rhinotmet fon prédéceffeur, & fe fit proclamer Empereur par les Soldats. L'histoire dit qu'il ne s'êtoit jamais vû dans aucun Prince, tant d'impiété & fi peu d'efprit. Quelques Patrices indignés lui crevérent les yeux, & l'envoyérent en éxil.

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(127) Pierre IV, Roy d'Aragon, dit le cérémonieux, fut ainfi furnommé, parce qu'il étoit fcrupuleux obfervateur des cérémonies: il fut extrémement ambitieux & fanguinaire ; il n'épargna pas fon propre fang, & fit mourir Ferdinand fon frére. Pierre le Cruel, Roy de Castille régna après Alfonfe XI fon pére. C'êtoit un Prince d'un efprit farouche, qui n'aimoit que le fang,& le défordre. L'injuftice de fon procédé enversBlanche de Bourbon qu'il avoit épousée, & fes cruautés portérent les Grands du Royaume à former un parti, dont Henri de Transtamare fon frére naturel fut le Chef. Pierre ou tré de cette revolte fit empoifonner la Reine Blanche en prifon, & fe défiant de quelques Seigneurs, il les fit mourir de fang froid, & envelopa dans leur perte deux Infants d'Aragon, & Frédéric fon frére. Réduit au point de perdre fon Etat, le défefpoir l'avoit fait réfoudre à fe faire Mahometan, & à demander du fecours aux Mores; mais

XI,

il fut tué de la main d'Henri de Tranftamare qui êtoit déja maître de prefque toute la Caftille, que les François fous le commandement de Bertrand du Guefclin lui avoient aidé à conquérir. Pierre I, Roy de Portugal, dit le Jufticier & le Cruel, ne mérita point tant ce nom odieux que les Rois d'Aragon & de Caftille. Il gouverna fes sujets en paix, aima la justice, & ne témoigna de la haine que contre ceux qui avoient fait mourir fa maîtreffe Agnés de Caftro, par les ordres du Roy fon prédéceffeur.

(128) Louis XI mourut peu d'années après que Ferdinand eut commencé à régner. Si les François eussent toujours continué d'avoir des Louis XI pour Rois, Ferdinand ne les auroit pas fi fouvent trompés, & il ne fe feroit pas tant agrandi, en profitant de la foibleffe de Charles VIII, & de la bonne foy de Louis XII. Il y a peu de Princes dont on puiffe faire un paralléle plus femblable que celui de Ferdinand & de Louis XI. On auroit de la peine à décider qui de ces deux Princes fut le plus grand politique.Je crois cependant que le paralléle feroit à l'avantage de Louis XI. Il eut plus d'habileté,& n'abufa pas fi fouvent que Ferdinand de la religion & de la bonne foi. Ferdinand lui-même fut trompé dans la perfonne d'undefes Miniftres par Louis XI. Voici comme ce

XI, de la prudence de Maximilien I (129), du discerne

trait eft raporté par Vicquefort. Ferdinand le Catholique qui trompoit plus fouvent les autres qu'il n'étoit trompé, le fut pourtant vilainement par un nommé Lucena, qu'il envoya Ambaffadeur en Angleterre en l'an 1475. Louis XI,qui ne manquoit jamais de profiter des ocasions qui fe préfentoient, fe le fit amener, & ayant reconnu la vanité & l'avarice du perfonnage, lui fit tant de chére, tant de préfens &tant de promeffes, jufqu'à l'aßûrer d'un chapeau de Cardinal, qu'il n'en tira pas feulement tout le fecret de fon inftruction, mais auffi tout le fuccès de fa négociation, lorfqu'il repaßa par la France au retour de fon voyage.

ment

te fucceffion, fans en faire aucune part à fes trois cadettes. Ferdinand vouloit bien que les Etats des Maifons de Bourgogne & d'Autriche entraffent dans la fienne, mais il ne vouloit pas que fes Royaumes & ceux de fa femme paffaffent dans une Maison Etrangére,de maniére qu'il n'ofrit à Maximilien que fa feconde fille pour l'Archiduc; parce que fuivant les aparences, il y avoit lieu de préfumer que le mariage de l'Infant d'Efpagne avec l'Archiducheffe ne feroit pas ftérile ; & quand il arriveroit qu'il le fut, Ferdinand fe flatoit que celui de l'aînée des Infantes d'Espagne destinée à épouser Emanuel (129) Jamais la prudence n'a fait le Roy de Portugal ne le feroit pas, & caractére de Maximilien. Ce Prince in- par conféquent fi fa fucceffion & celle conftant & prodigue êtoit infatiable d'Ifabelle fortoit de la Maison d'Arad'argent, & le défir d'en avoir êtoit le gon, elle ne fortiroit pas de l'Espagne, reffort de toutes ses actions. Son bon- qui feroit par-là réunie fous un feul heur lui fit acquérir par des mariages Monarque. Ferdinand fit donc parler de puiffans Etats. Ce bonheur n'aban- à l'Empereur d'une double aliance donna point fes enfans; éxaminons avec cette difproportion, que fon fils quelles furent les fuites de leurs maria- unique épousât la fille unique de l'Emges. Nous verrons en même tems compereur, & que néanmoins le fils unibien Maximilien en les mariant, fuivit que de Maximilien n'épousât que la peu les régles de la prudence. Maxi- feconde de fes filles. La propofition milien avoit deux enfans, l'Archiduc êtoit ridicule d'elle-même, puisqu'elPhilippe & l'Archiducheffe Margueri-le alloit directement contre la biente. Voici le plan que forma Ferdinand: on y reconnoîtra un politique très habile & très intéreffé. Il avoit un fils & quatre filles. Le fils fe nommoit Jean comme fon ayeul paternel, l'aînée des filles s'apelloit Ifabelle ; la feconde, Jeanne; la troifiéme, Marie, & la derniere Catherine. La Loy fondamentale d'Espagne donnoit au fils le Royau-va ce fils qui en avoit fait tout l'objet. me d'Aragon que fon pére poffédoit & le Royaume de Castille que fa mére avoit aporté en mariage, fans que fes quatre fours y pullent rien prétendre; & s'il mouroit fans enfans, l'aînée defes fœurs devoit entiérement recueillir cet

féance, l'avantage n'êtant point égal des deux côtés, & rien ne preffant encore Maximilien de marier ses enfans: cependant elle fut acceptée par une difpofition extraordinaire de la Providence divine qui veilloit au bonheur de la Maifon d'Autriche. Dieu pour punir l'ambition de Ferdinand, lui enle

Il mourut à l'âge de 19 ans, fans laiffer de poftérité: Ifabelle fa fœur, mariée deux fois en Portugal n'en laiffa point non plus, & toute la riche fucceffion de Ferdinand fut recueillie par Charlequint petit - fils de l'Empereur

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