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reconnu les Suiffes à la forme de leurs chauffes, & ne l'eût fait remarquer 1515.

à fon Maître.

L'Avant-Garde des François s'étant avancée jufqu'à un Village voifin de Marignan, y trouva deux Compagnies fuiffes, qu'elle fomma de fe rendre, & qui répondirent que les Suiffes avoient toujours préféré la mort à la prison; il fallut forcer ces braves & opiniâtres Guerriers dans les maisons où ils ofoient encore se défendre. Fruits affreux de la guerre ! ils y furent miférablement brûlés juf qu'au dernier, & quelques François Mém. de qui avoient pénétré dans ces maifons, liv. 1. l'épée à la main, fubirent le même fort. De ce nombre fut le Seigneur 15.n. 19. de la Meilleraye qui portoit l'étendart du Roi. François ne put que gé– mir de ce défaftre: il n'en fut pas averti affez-tôt pour le prévenir.

Cette bataille de Marignan (1), fi

(1) Pierre Martyr d'Anghiera fit fur cette ba taille des vers dans lefquels il demande au Roi quel fera le fruit de cette victoire ; s'il en fera mieux vétu,, mieux couché, s'il en fera meilleure chere, s'il en boira de meilleur vin?

Gutturne tuum fuevioribus efcis

Du Bellay,

Belcar. liv

glorieufe aux vainqueurs & même 1515. aux vaincus, coûta aux Suiffes plus de quinze mille hommes, & n'en coûta guère moins de fix mille aux François. Ainfi le Cardinal de Sion refta chargé envers l'humanité, du crime d'avoir fait égorger plus de vingt mille hommes, pour les feuls intérêts de fa haine.

L'Hiftoire fournit peu d'exemples & de tant d'acharnement, & de tant de valeur; d'un Prêtre animant ainfi au carnage & à la perfidie une Nation effrénée, pour des objets étrangers à la Religion; d'un jeune Roi, dont le premier exploit ait été fi bril lant; de tant de Souverains (1) raffemblés fous fes drapeaux,

com

battans fous fes ordres comme de fimples Capitaines; de tant de têtes fi précieufes, expofées à des périls fi

Proptereà implebis? pretio mijore parabis
Proh dolor loptatas veftes, con recumbes
Conftrato melius, meliorave pocula sumes?
Il appelle cela emboucher la trompette héroïque :
Heroo exorfus pede fum... venerunt in buccam re-
pentè. Petr. de Angler. Epift. 553.

(1) Le Duc de Savoye, le Duc de Lorraine, le Duc de Gueldres.

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grands; de deux Armées paffant deux jours & une nuit entiere fous les ar- 1515. mes, dans l'action, dans la fatigue, dans le danger, fans boire, manger,

ni dormir. Le Maréchal de Trivulce, Guicciard, qui avoit combattu dans dix-fept ba- liv. 12. tailles, difoit que celle de Marignan étoit un combat de Géants, & toutes les autres des jeux d'enfans ; il y courut un grand danger, il s'étoit précipité au milieu des lances & des hallebardes, pour défendre fon PorteEnfeigne, qu'un gros de Suiffes enveloppoit; il fut enveloppé lui-même, fon cheval fut percé de coups, fon cafque dépouillé de plumes, & il alloit être accablé,fi un Corps de Troupe détaché des aîles n'eût accouru à fon fecours.

Le Roi eut fon cheval bleffé de deux coups de pique, & reçut de vio-lentes contufions, fes armes ayant été enfoncées en plufieurs endroits : il combattit en Soldat, non en Roi; il n'avoit recherché ce jour-là d'autres diftinctions, que celles qui pouvoient attirer plus particuliérement für lui les regards & les coups, des

P. Jov. 1. Is

Ennemis; fa cote d'armes d'azur 1515. étoit femée de fleurs de lis d'or; une rose d'efcarboucles brilloit fur fon cafque.

Le Connétable de Bourbon, qui, fuivant le témoignage que le Roi lui rend (1), ainfi qu'au Comte de St. Pol, ne s'épargnoit non plus qu'un fanglier échauffé, (2) fe vit dans un certain moment expofé à une grêle de coups, fous laquelle il eût infailliblement fuccombé, fans dix ou douze Cavaliers de la Marche & du Bourbonnois, qui, accourant à tou te bride & fe ferrant autour de lui, lę garantirent à leurs dépens; car ce

(1) Dans fa lettre à la Ducheffe d'Angoulême sa mere après la bataille.

(2) Comment donc le Roi peut-il avoir dit à Paul Jove, comme celui-ci le raconte (hiftoriar. fui temporis, lib. 15.) que le Connétable voyant fon frere entouré d'ennemis, n'avoit ofé le fecourir, & s'étoit mis prudemment à l'abri de tout danger? Qui reconnoîtroit-là le Connétable de Bourbon? Plus on lit Paul Jove & plus on fent avec combien de précaution il faut le lire Beaucaire dit dans fa Préface qu'étant à Rome avec le Cardinal de Lorraine, Paul Jove lui communiqua fon manuferit, qu'il trouva plein d'exaggérations, d'erreurs & de menfonges formels, reconnus pour tels par l'Auteur même.

ap

zèle, dont la haute Nobleffe étoit enflammée pour fon Roi, ce mé- 1515. pris de la vie, cet amour de la gloire, paffoient dans les ordres inférieurs, & l'Armée entiere n'avoit qu'un efprit. Le Duc de Gueldres, pendant les négociations avec les Suiffes, prit que les Brabançons avoient fait une irruption dans fes Etats, il quitta l'Armée, & courut les défendre : la paix avec les Suiffes paroiffoit alors certaine. Mais à peine fut-il arrivé Mém. de à Lyon, qu'il reçut la nouvelle de Du Bellay, la bataille de Marignan, il tomba malade de douleur de n'avoir pû s'y

trouver.

Le Bâtard de Savoye, Lautrec & Lefcun fon frere, eurent auffi la même douleur, & y furent également fenfibles; manquer une bataille, étoit le plus grand des malheurs pour tous ces jeunes Seigneurs, pleins de feu & de courage. Le Roi qui fçavoit que fon fervice les avoit occupés ailleurs, infulte à leur chagrin d'un ton badin & flatteur pour eux: Madame, dit-il à fa mere, vous vous moquerez de Meffieurs de Lautrec & de Lefcun

liv. I.

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