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res.

X.

cour de Rome pleine de ces évêques in partibus, dans des emplois peu convenables à leur dignité

Aprés le clergé confidérons les ordres militaires, nouvelle espece Ordres militai- de religieux inconnue à l'antiquité. Jufques au douzième fiécle on s'étoit contenté de croire la profeffion des armes permife aux Chrétiens & compatible avec le falut: mais on ne s'étoit pas encore avifé d'en faire un état de perfection, & d'y joindre les trois vœux effentiels à la vie religieufe. En effet l'obfervation de ces voeux demande de grandes précautions contre les tentations ordinaires de la vie; la folitude, ou du moins la retraite, pour éloigner les occafions du peché : le recueillement, la méditation des veritez éternelles, & la priere frequente pour arriver à la tranquilité de l'ame & à la pureté de cœur. Or, il femble bien difficile d'allier ces pratiques avec la vie militaire, toute d'action & de mouvement, où l'on eft continuellement expofé aux tentations les plus dangereufes, ou du moins aux paffions les plus violentes.

V.Platon.Repub. 1.2. p. 375. edit.

Serr.

C'est

les

que

que

les

cela pour que guerriers auroient plus befoin autres hommes de cultiver leur efprit par la lecture, la converfation & les fages reflexions. Comme je les fuppofe naturellement hardis & courageux, le bon ufage de leur raifon leur eft plus neceffaire qu'aux autres pour bien employer leur courage, & le conLa valeur feule ne fait des brutenir dans de juftes bornes. taux; la raifon feule ne fait pas de braves: elles ont befoin l'une de l'autre. Or nos anciens chevaliers étoient fans aucune étu le, & ne fçavoient pas lire pour la plupart: d'où vient que la priere commune des Templiers ne confiftoit qu'à affifter à l'office chanté par leurs clercs. Je doute que d'ailleurs ils fuffent affez en garde contre les tentations inféparables de l'exercice des armes; & que dans les conbats mêmes ils confervaffent affez de fang froid, pour ne fe laiffer emporter à aucun mouvement de colere ou de haine, à aucun defir de vengeance, aucun fentiment qui ne fut conforme à T'humanité & à la juftice. Selon l'ancienne difcipline de l'eglife on confeilloit quelque efpece de penitence à ceux qui avoient tué, S. Bafil. 1. ad même dans les guerres les plus juftes ; & nous voïons un refte de Hift. XVII. Cette difcipline après la bataille de Fontenai en 840.

Reg. to.X.Conc.

p. 923. 1.

Hift. l. LXVIII.

n. ss.

Amphil. c. 13.

4. XLVIII. n.9.

Je veux croire que les Templiers & les autres chevaliers des ordres militaires ont donné de grands exemples de vertu dans leur premiere ferveur : mais il faut convenir qu'elle fe ralentit bien-tôt, & qu'on voit de grandes plaintes contre eux dès le douziéme fiecle peu après leur inftitution. Ils abufoient de leurs priviléges, les étendant à l'infini, méprifanr les évêques dont ils étoient exemts; & n'oHtl LXX111.7. béïffant au pape même qu'autant qu'il leur plaifoit. Ils ne gardoient point les traitez avec les infideles, & quelquefois ils s'entendoient avec eux pour trahir les Chrétiens : plufieurs menoient une vie corrompûë & fcandaleufe. Enfin les crimes des Templiers vinrent à un

21.LXXXIII.n.18.

tel excès, qu'on fut obligé de les abolir au concile general de Vici ne avant les deux cens ans accompls depuis leur inftitution ; & les faits dont ils furent accufez font fi atroces, qu'on ne peut les lire fans horreur, & qu'on a peine à les croire, quoique prouvez par des procedures autentiques.

Quant aux ordres militaires qui fubfiftent, je refpe&te l'autorité de l'églife qui les a approuvez, & la vertu de plufieurs particuliers de chaque corps: nous avons vû de nôtre tems des chevaliers de Malte pratiquer une haute perfection. Mais je laiffe à la confcience de chacun à examiner s'il vit en vrai religieux, & s'il obferve fidelement for regle. Je prie fur tout ceux qui embraffent ce genre de vie, & les parens qui y engagent leurs enfans, de le faire avec grande connoillance de cause, fans fe laiffer entraîner à l'exemple des autres. De confiderer attentivement devant Dieu quelles font les obligations de cet état, fuivant l'intention de l'églife, non fuivant le relâchement qu'elle tollere; & fur tout quels font les motifs de l'engagement: fi c'eft d'affûrer fon falut éternel, & de tendre à la perfection chrétienne, ou de participer aux biens temporels de l'ordie & d'obtenir des commanderies: car c'eft un étrarge renverfement de faire vœu de pauvreté comme un moïen d'acquérir un jour des richeffes.

X I.

De toutes les fuites des Croifades la plus importante à la reli- Chûte de la pe gion a été la ceffation des penitences canoniques. Je dis la ceffation nitence. & non pas l'abrogation: car elles n'ont jamais été abolies expreffément par conftitution d'aucun pape: ni d'aucun concile : jamais que je fçache on n'a déliberé fur ce point, jamais on n'a dit : Nous avons examiné fo gneufement les raifons de cette ancienne difcipline, & les effets qu'elle a produits tant qu'elle a été pratiquée : nous en avons trouvé les inconveniens plus grands que l'utilité; & tout bien confideré nous avons jugé plus à propos de laiffer deformais les penitences à la difcretion des confeffeurs. Je n'ai rien vû de femblable dans toute la fuite de l'hiftoire. Les penitences canoniques' font tombées infenfiblement par la foibleffe des évêques & la dureté des pecheurs, par négligence, par ignoranee : mais elles ont reçû le coup mortel, pour ainfi dire, par l'indulgence de la Croifade.

Je fçai que ce n'étoit pas l'intention du pape Urbain & du concile hift. liv. Lx1x. de Clermont. Ils croioient au contraire faire deux biens à la fois: n. 14. délivrer les lieux faints, & faciliter la penitence à une infinité de pecheurs qui ne l'auroient jamais faite autrement. C'est ce que dit expreffement S. Bernard : c'est ce que dit le pape Innocent III. & ils relevent pathetiquement la bonté de Dieu, qui dans leur tems a donné aux hommes cette occafion de fe convertir, & ce nouveau moien de fatisfaire à fa juftice. Mais il eft à craindre qu'on n'eût pas affez confideré les folides raifons des anciens canons, qui avoient

Fp.365. al. 222.
Innoc.¡II. IxvI.

ep. 28.

.2.v. difc.n 8. reglé le tems & les exercices de la penitence. Les faints qui les avoient établis n'avoient pas feulement en vûë de punir les pecheurs, ils cherchoient principalement à s'affurer de leur converfion, & vouloient encore les precautionner contre les rechûtes. On commençoit donc par les feparer du refte des fideles, & on les tenoit enfermez pendant tout le tems de leur penitence, excepté lorfqu'ils devoient affifter dans l'églife aux prieres communes & aux inftructions. Ainfi on éloignoit les occafions de peché, & le recueillement de cette retraite donnoit aux penitens le loifir & la commodité de faire de ferieufes reflexions fur l'énormité du peché, la rigueur de la juftice de Dieu, les peines éternelles, & les autres yeritez terribles, que les prêtres qui prenoient foin ne manquoient pas de leur reprefenter, pour exciter en eux l'efprit de compontion. Enfuite on les confoloit, on les encourageoit, & on les affermiffoit peu à peu dans la resolution de renoncer pour toûjours au péché & mener une vie nouvelle.

Morin. lib. VII. c. IS.

Ce ne fut que dans le huitiéme fiécle que l'on introduifit les pelerinages, pour tenir lieu de fatisfaction; & ils commencerent à ruiner la penitence, par les diftractions & les occafions de rechûtes, Encore ces pelerinages particuliers étoient-ils bien moins dangereux que les Croifades. Un penitent marchant feul, ou avec un autre penitent pouvoit obferver une certaine regle; jeûner, ou du moins vivre fobrement, avoir des heures de recueillement & de Glence, chanter des pfeaumes, s'occuper de bonnes pensées, avoir des converfations édifiantes: mais toutes ces pratiques de pieté ne convenoient plus à des troupes affemblées en corps d'armée. Au contraire les Croifés, du moins quelques-uns, cherchoient à fe divertir, & menoient des chiens & des oifeaux pour chaffer en chehift. liv. LxIx. min faifant: comme il paroît par la défenfe qui en fut faite à la feconde Croifade.

n. II.

Foinv. p. 22.

Eug.Ill.ep. I.to. C'étoit pour ainfi dire, des pecheurs tout crus, qui fans converX.conc.p.1047• fion de cœur, & fans préparation précédente, finon peut-être une confeffion telle quelle, alloient pour l'expiation de leurs pechez s'expofer aux occafions les plus dangerufes d'en commettre de nouveaux: des hommes choifis entre ceux de la vertu la plus éprouvée auroient eu peine à fe conferver en de tels voïages. Ileft vrai que quelques-un sy préparoient ferieufement à la mort, en païant leurs dettes, reftituant le bien mal acquis, & fatisfaisant à tous ceux à qui ils avoient fait quelque tort: mais il faut avoüer auffi que la Croifade fervoit de prétexte aux gens oberez pour ne point païer leurs dettes, aux malfecteurs pour éviter la punition de leurs crimes, aux moines indociles pour quitter leurs cloîtres, aux femmes perdues pour continuer plus librement leurs defordres; car il s'en trouvoit à la fuite de ces armées, & quelques-unes déguifées en hommes. Vous avez vû que dans l'armée même de faint

Joinu p. 23.

Louis,

Louis, dans fon quartier & prés de fes tentes on trouvoit des lieux de débauche; & qu'il fut obligé d'en faire une punition exemplaire. Un poëte du tems décrivit l'hiftoire du châtelain de Couci qui partit pour la Croifade paffionnement amoureux de la femme d'un gentil

homme fon voifin, c'est-à-dire emportant l'adultere dans le cœur; Fauchet Poëtes & mourant dans le voïage chargea un de fes amis de faire embaumer Fr. liv. 2. c. 17. fon cœur & le porter a fa dame, comme il fit. N'étoit-ce pas là de

dignes fruits de penitence?

Les Croifés qui s'établirent en Orient après la conquefte, loin de Le convertir, fe corrompirent de plus en plus. La chaleur du climat & l'exemple des naturels du païs les amollit, & les excita à ne se refufer aucun plaifir, principalement dans les quartiers les plus fertiles, comme la vallée de Damas fi delicieufe: leurs enfans dégenererent

fac. Vitr. hift.

Or. lib. 1. c.72.
Cang-gloß. Pul-

encore, & formerent une nouvelle nation nommée les Poulains,
qui n'eft fameuse que par fes vices. Et voilà l'honneur qui revint à lani.
J. C. de ces entreprises formées à fi grands frais.

Enfin Jerufalem & la terre fainte font retombées au pouvoir des Infideles, & les Croisades ont ceffé depuis quatre cens ans; mais les penitences canoniques ne font point revenues. Tant que les Croifades durerent, elles tinrent lieu de penitence, non seulement à ceux qui fe croifoient volontairement, mais à tous les grands pecheurs, à qui les évêques ne donnoient l'abfolution qu'à la charge de faire en perfonne le fervice de la terre fainte pendant un certain 'tems, ou d'y entretenir un nombre d'hommes armez. Il fembloit donc qu'après la fin des Croisades on dût revenir aux anciennes penitences; mais l'ufage en étoit interrompu depuis deux cens ans au moirs, & les penitences étoient devenuës arbitraires. Les évêques n'cntroient plus gueres dans le détail de l'adminiftration des facremens: Morin. X pænit, les freres Mandians en étoient les miniftres les plus ordinaires, & ces 6.25. 26. miffionnaires paffagers ne pouvoient fuivre pendant un long-tems la conduite d'un penitent, pour examiner le progrez & la folidité de fa converfion, comme faifoient autrefois les propres pafteurs: ces religieux étoient obligez d'expedier promptement les pécheurs pour paffer à d'autres,

D'ailleurs on traitoit la morale dans les écoles comme le refte de la theologie, par raisonnement plus que par autorité, & problematiquement mettant tout en queftion, jufques aux veritez les plus claires : d'où font venues avec le tems tant de décifions des cafuites éloignées non feulement de la pureté de l'évangile, mais de la droite raifon. Car où ne va-t-on point en ces matieres quand on fe donne toute liberte de raifonner? Or les cafuites fe font plus appliquez à faire connoître les pechez qu'à en montrer les remedes. Ils fe font principalement occupez à décider ce qui eft peché mortel, & à diftinguer à quelle vertu eft contraire chique peché; fi c'est la justice, la prudence, ou la temperance: ils fe font étudiez Tome XVIII

с

à mettre pour, ainfi dire, les pechez au rabais, & à justifier plufieurs actions, que les anciens moins fubtils mais plus finceres jugeoient

criminelles.

L'ancienne difcipline à force d'être negligée & hors d'ufage eft tombée dans l'oubli en forte qu'on n'ofe plus parler de la rétablir. S. Charles étoit néanmoins bon catholique, & dans fes inftructions pour les confefleurs il a mis un extrait des anciens canons pour les guider dans l'impofition des penitences, & faire qu'autant qu'il fe peut elles foient proportionnées aux pechez. Enfin le concile de Seß. xxiv. Ref. Trente a ordonné de mettre en penitence publique pour les pechez fcandaleux; permettant feulement aux évêques d'en difpenfer quand ils jugeront à propos.

c. 8.

XII.

Crofades du

Nord.

J'ai marqué en paffant qu'un des objets des Croifades fut la converfion des Païens de Livonic, de Pruffe & des autres païs du Nort; ce qui merite des reflexions particulieres. Ces converfions commenHift. l.xxxiv. n. cerent par le zele de quelques moines de Cîteaux, & furent conti6.LXXV11.7.19. nuées par des freres prêcheurs ; & jufques-là rien n'étoit plus conforme à l'efprit de l'évangile. Mais comme ces peuples étoient très-farouches, ceux qui demeuroient Païens, & qui étoient le plus grand nombre infultoient fouvent les nouveaux Chrétiens qui fe défendoient à main armée, ufant du droit naturel de repouffer la force par la force; & imploroient le fecours des Allemans, des Polonois & des autres anciens Chrétiens du voifinage. Tout cela étoit encore dans les bornes de la juftice fuivant la doctrine de faint

2.2. q 10. a. 8. in corp. fup. n. 1.

Hit. LXXVI. n.

30.

Ibid.

Hift. I. XLIV. n.

45.

Ibid.

Thomas que j'ai déja rapportée. Cette caufe de guerre parut fi legitime, que pour la micux foûtenir on inftitua les ordres militairesde chevaliers de Chrift & des freres de l'épée, réunis depuis auxchevaliers Teutoniques: les papes étendirent la Croifade à cette guerre de religion, & y attribuerent la même indulgence qu'au fecours de la terre fainte.

Mais ces Croifez ne demeurerent pas long-tems fur la fimple défenfive, ils attaquoient fouvent les Infideles; & quand ils avoient l'avantage, la premiere condition de la paix étoit qu'ils recevroient des prêtres pour les inftruire, fe feroient baptifer & bâtiroient des églifes: après quoi s'ils rompoient la paix, comme il arrivoit fouvent, on les traitoit de rebelles & d'apoftats; & comme tels on croyoit être en droit de les contraindre par la force à tenir ce qu'ils avoient une fois promis : en quoi on fuivoit encore la doctrine de S. Thomas. Telle étoit en ces grandes provinces la propagation de la foi; & il faut avouer qu'elle n'étoit pas nouvelle, dès le tems de Charlemagne il étoit entré de la contrainte dans la converfion des Saxons, & pendant leurs revoltes fi frequentes le moyen le plus ordinaire d'obtenir le pardon étoit de recevoir le baptême.

Toutefois S. Thomas établit fort bien aprés toute l'antiquité qu'on ne doit pas contraindre les Infideles à embraffer la foi, &

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