pour cette expedition. Rocandolph informé de l'approche de l'armée des Turcs refferra la fienne & fe fortifia fur le mont faint Gerard, où il fit.. placer toute fon artillerie du côté qu'il jugeoit que les Turcs devoient l'attaquer. Ses meilleurs Officiers lui confeilloïent de lever le fiege, & de repaffer le Danube tandis qu'il étoit le maître du pont ; mais il répondit, qu'il ne devoit point faire cette démarche fans les ordres de Ferdinand; qu'ayant une puiffante armée, & étant le maître du deffus du cours du Danube, il pouvoit faire une glorieuse refiftance & qu'il feroit toûjours à temps pour faire fa retraite en fûreté; mais ce General fit une: faute effentielle ; il négligea de fortifier l'ifle de Chep, où il auroit pû mettre une baterie, qui rafant la plaine par où les Turcs.

devoient paffer pour aller l'ataquer, il les auroit fort incommodez. Le Vifir vint reconnoître fon camp, & posa le fien à un quart de lieue dans la plaine; le Bacha de Burde eut ordre d'occuper le hauteur derriere le mont faint Gerard; enfuite ces deux Generaux envoyerent complimenter la Reine & le Regent, & leur firent conduire un gros troupeau de Bœufs & de moutons; ils en reçûrent des remerciment accompagnez de riches préfens. Le Vifir ayant bien obfervé toutes chofes, reconnut l'importance de l'ifle de Chep; il la fit attaquer par Caflon Baffa, qui commandoit fa flote; elle étoit défenduë par fept cens Allemans, qui n'étoient point même retranchez, ils furent facilement forcez & pafferent tous au fil de l'épée. Les Turcs ne manquerent pas de fortifier ce

pofte, qui refferroit les ennemis dans leur camp. Dans ce temps Rocandolph reçut nouvelles que Soliman étoit arrivé à Bellegrade, encore à la tête de cent mille hommes, & venoit à grandes journées joindre fon Vifir pour le forcer. Ce General prit l'épouvante; il refolut enfin de faire fa retraite par le pont qui communiquoit de fon camp à la ville de Peft, qu'il occupoit: il fit auffi approcher les bâtimens qu'il avoit fur le Danube, qui portoient les munitions dans fon camp, pour y embarquer fon artillerie; & difpofa fa retraite pour la nuit la tête de fon armée étoit déja arrivée fur le bord du fleuve, mais le Vifir fut infor mé de fon deffein par quelques Cavaliers de fes propres troupes; cet avis lui fut encore confirmé par la Reine même; enforte que cette Princeffe, qui peu de temps

auparavant vouloit remettre fa destinée entre les mains de ce General, fut la cause principale de fa perte.

Le Vifir étant donc bien informé du deffein & des mouvemens des ennemis, fait prendre les armes à toutes les troupes, envoye ordre au Bacha de Bellegrade d'attaquer le camp des Allemans, pendant qu'il attaqueroit leur armée en tête. Il donna ordre en même temps à Caffon Bacha, qui commandoit fa flote, d'attaquer le pont de Pest, & de l'emporter, pour couper tous chemins aux ennemis ; les ordres furent donnez & execurez si à propos, que les Allefi mans furent en même temps attaquez de toutes parts & rompus entierément, fans que leur General ni leurs Officiers puffent les raffurer, ni par leur parole, ni par leur exemple. Le camp

fut forcé d'un côté par le Bacha de Bellegrade, tandis que Martinufius à la tête de fes meilleures troupes, alla attaquer le quartier des Bohemes, fortifiez dans Les écuries du Roy du côté de la ville; il mit le feu à leurs grands magazins de foin & de paille, tandis que le Bacha de Bellegrade le mettoit aux tentes & aux hutes, ce qui fit une flamme fr grande, que les eaux du Danube paroiffoient en feu & tous les environs éclairez comme en plein jour. A la faveur de cette lumiere les Generaux n'eurent pas de peine à faire main baffe fur cette armée en déroute ; Casson Bacha emporta le pont & la ville de Peft fans refiftance; la garnifon intimidée avoit pris la fuite, & les Turcs y mirent tout à feu & à fang. Rocandolph bleffé eut bien de la peine à fe fauver dans un Brigantin. Il aborda à l'isle de