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des glands, et une petite galette de blé d'Inde, cuite sous la cendre; enfin, le troisième service, qui formoit le dessert, consistoit en un épi de blé d'Inde grillé devant le feu, avec quelques grains du même blé cuits sous la cendre. Comme je leur demandois pourquoi ils m'avoient fait si bonne chère. «< Hé quoi? » notre père, me répondirent-ils, il y a deux jours » que tu n'as rien mangé, pouvions-nous faire moins? » Eh! plût à Dieu que nous pussions bien souvent te » régaler de la sorte » !

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Tandis que je songeois à me remettre de mes fatigues, un des Sauvages qui étoient cabanés sur le bord de la mer, et qui ignoroit mon retour au village, causa une nouvelle alarme. Étant venu dans mon quartier et ne m'y trouvant point, non plus que ceux qui étoient cabanés avec moi, il ne douta point que nous n'eussions été enlevés par un parti anglais, et suivant son chemin pour en aller donner avis à ceux de son quartier, il arriva sur le bord d'une rivière; là, il lève l'écorce d'un arbre, sur laquelle il peint avec du charbon les Anglais autour de moi, et l'un d'eux qui me coupoit la tête (C'est là toute l'écriture des Sauvages, et ils s'entendent aussi bien entre eux par ces sortes de figures, que nous nous entendons par nos lettres). Il met aussitôt cette espèce de lettre autour d'un bâton, qu'il plante sur le bord de la rivière, afin d'instruire les passans de ce qui m'étoit arrivé. Peu de temps après, quelques Sauvages qui passoient par là, dans six canots, pour venir an village, apercurent cette écorce: «Voilà une écriture, dirent-ils, voyons ce

eux,

» qu'elle apprend. Hélas! s'écrièrent-ils en la li»sant, les Anglais ont tué ceux du quartier de » notre père; et lui, ils lui ont coupé la tête ». Ils ôtèrent aussitôt la tresse de leurs cheveux, , qu'ils laissèrent négligemment éparpillés sur leurs épaules, et s'assirent auprès du bâton jusqu'au lendemain sans dire un seul mot : cette cérémonie est, parmi la marque de la plus grande affliction. Le lendemain ils continuèrent leur route jusqu'à une demilieue du village, où ils s'arrêtèrent; puis ils envoyèrent l'un d'eux dans les bois jusqu'auprès du village, afin de voir si les Anglais n'étoient pas venus brûler le fort et les cabanes. Je récitois mon bréviaire en me promenant le long du fort et de la rivière, lorsque ce Sauvage arriva, vis-à-vis de moi, à l'autre bord; aussitôt qu'il m'aperçut : « Ah, mon père! s'écria» t-il, que je suis aise de te voir! mon cœur étoit mort, » et il revit en te voyant : nous avons vu l'écriture >> qui disoit que les Anglais t'avoient coupé la tête ; » que je suis aise qu'elle ait menti »>! Comme je lui proposois de lui envoyer un canot pour passer la rivière : « Non, répondit-il, c'est assez que je t'aye » vu; je retourne sur mes pas pour porter cette agréa» ble nouvelle à ceux qui m'attendent, et nous vien>> drons bientôt te rejoindre». En effet, ils arrivèrent ce jour-là même.

Je crois, mon très-cher frère, avoir satisfait à ce que vous souhaitiez de moi, par le précis que je viens de vous faire de la nature de ce pays, du caractère de nos Sauvages, de mes occupations, de mes travaux, et des dangers auxquels je suis exposé. Vous jugerez,

sans doute, que c'est de la part de messieurs les Anglais de notre voisinage, que j'ai le plus à craindre: il est vrai que, depuis long-temps, ils ont conjuré ma perte; mais ni leur mauvaise volonté pour moi, ni la mort dont ils me menacent (1), ne pourront jamais me séparer de mon ancien troupeau; je le recommande à vos saintes prières, et je suis, avec le plus tendre attachement, etc.

RIVIÈRE DES ILLINOIS.

La rivière des Illinois se décharge dans le Mississipi, vers le cinquante-neuvième degré de latitude; elle a environ cent cinquante lieues de longueur, et ce n'est guères que vers le printemps qu'elle est bien navigable: elle court au sud-ouest, et vient du nordest ou est-nord-est. Les campagnes et les prairies sont toutes couvertes de bœufs, de chevreuils, de biches, de cerfs, et d'autres bêtes fauves; le gibier y est encore en plus grande abondance: on y trouve surtout quantité de cygnes, de grues, d'outardes et de canards; les folles avoines, qui croissent naturellement dans les campagnes, les engraissent de telle sorte, qu'il en meurt très-souvent que la graisse étouffe. Les poules d'Inde y sont pareillement en grand nombre, et elles sont aussi bonnes qu'en France.

Ce pays ne se borne pas à la rivière des Illinois, il s'étend encore le long du Mississipi, de l'un et de

(1) Il fut massacré l'année suivante,

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l'autre côté, et a environ deux cents lieues de longueur, et plus de cent de largeur. Le Mississipi est un des plus beaux fleuves du monde : une chaloupe le monta, ces dernières années, jusqu'à huit cents lieues; des chutes d'eau l'empêchèrent d'aller plus loin.

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Sept lieues au-dessous de l'embouchure du fleuve des Illinois, se trouve une grande rivière nommée Missouri (1), ou plus communément Pékitanoui c'est-à-dire, eau bourbeuse, qui se décharge dans le Mississipi, du côté de l'ouest; elle est extrêmement rapide, et elle salit les belles eaux du Mississipi, qui coulent de là jusqu'à la mer; elle vient du nord-ouest, assez près des mines que les Espagnols ont dans le Mexique, et est fort commode aux Français qui voyagent en ce pays-là.

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Environ quatre-vingts lieues au-dessous, du côté de la rivière des Illinois, c'est-à-dire, du côté de l'est (car le Mississipi court ordinairement du nord au sud), se décharge encore une autre belle rivière appelée Ouabache; elle vient de l'est-nord-est : elle a trois bras, dont l'un va jusqu'aux Iroquois, l'autre s'étend vers la Virginie et la Caroline, et le troisième jusqu'aux Miamis. On prétend qu'il s'y trouve des mines d'argent : ce qu'il y a de certain, c'est qu'il y a, dans ce pays-ci des mines de plomb et d'étain, et que si des mineurs de profession venoient à creuser cette terre, ils y trouveroient, peut-être, des mines de cuivre et d'autre métal.

(1) D'autres missionnaires prétendent que les eaux du Missouri sont plus claires et meilleures que celles du Mississipi.

Nous sommes par le trente - huitième degré. On voit quantité de boeufs et d'ours qui paissent sur les bords du fleuve Ouabache; la chair des jeunes ours est un mets très-délicat.

Les marais sont remplis de racines, dont quelquesunes sont excellentes, telles que les pommes de terre, et d'autres dont il est inutile de marquer ici les noms barbares; les arbres y sont fort haut et fort beaux : il y en a un auquel on a donné le nom de cèdre du Liban; c'est un grand arbre fort droit, qui ne pousse ses branches qu'en haut, où elles forment une espèce de couronne: le copal est un autre arbre dont il sort de la gomme, qui répand une odeur aussi agréable que celle de l'encens.

Les arbres fruitiers ne sont pas ici en grande quantité: on y trouve des pommiers et des pruniers sauvages, qui produiroient, peut-être, de bons fruits s'ils étoient greffés; beaucoup de mûriers dont le fruit n'est pas si gros qu'en France, et différentes espèces de noyers: les pacanes (c'est ainsi qu'on appelle le fruit d'un de ces noyers) sont de meilleur goût que nos noix de France. On nous a apporté des pêchers du Mississipi, qui viennent fort bien; mais parmi les fruits du pays, ceux qui me paroissent les meilleurs, et qui seroient certainement estimés en France ce sont les piakimina et les racemina: ceux-ci sont longs deux fois, à peu près, comme le doigt, et gros environ comme le bras d'un enfant ceux-là ressemblent assez aux nefflcs, à la réserve que la couronne en est plus petite. Nous avons aussi du raisin, mais il n'est que médiocrement bon; c'est au haut des arbres qu'il

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