Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors]

gros temps qui regnent fur la mer. Un poiffon de douze pieds de long, fatigué du gros temps, eft venu aufli fe réfugier dans le port: fon dos & fa tête étoient de la groffeur d'un éléphant; fa peau nous a paru écaillée; il rendoit écumantes les eaux qu'il divifoit. Il fe montroit le matin & alors il dévoroit ce qu'il trouvoit dans fa courfe; quelquefois fa tête s'élevoit au-deffus des eaux-, & il ouvroit une énorme gueule garnie de groffes dents aiguës; nos matelots en ont été étonnés, & les pêcheurs qui ramoient fur des barques légeres, pleins d'effroi fe font retirés promptement fur le rivage. On a donné plufieurs noms à ce poiffon fans s'arrêter à aucun. Nous avions vu des poiffons plus petits fe jouer fur les eaux des Golfes de Tarente & de Meffine, lorfque nous étions en calme ou qu'un vent frais agitoit les ondes. Leurs ébats étoient le préfage d'une tempête; mais que ne devons nous pas craindre lorfque les plus gros cherchent des lieux pour fe mettre à l'abri ? Cependant les vagues que la mer nous en

2

[ocr errors]

voie, agitent violemment notre vaiffeau; on a jetté une troifieme ancre pour l'empêcher de dériver. Nos matelots s'exercent à jetter des cordes pour attraper certains petits poiffons qui ont de longues arêtes fur le dos, & qui font faits comme une gaîne d'écritoire, que les Italiens appellent Calamari. Leur couleur eft brune, & leur chair cartilagineufe. Ici chacun a fon occupation : les uns empêchent que le mouvement des eaux ne faffe croifer les cables; les autres vont fur le rivage chercher des approvifionnemens pour moi je préfere à tout le plaifir de m'entretenir avec vous. Nous ne fommes qu'à fix lieues de l'ancienne Itaque & à fept de la prefqu'île de Morée, poffédée autrefois par les Vénitiens, & maintenant par les Turcs. Elle eft très-fertile en toutes fortes de fruits & de denrées. Les Grecs qui l'habitent ayant récemment favorifé les Ruffes, ont fubi la peine de leur infidélité; ils ont été maffacrés en grande partie; les enfans au berceau n'ont pas même été épargnés. Lesexemples de févérité pro

duifent de bons effets , lorfque la peine ne furpaffe pas le délit ; mais une rigueur exceffive peut avoir des inconvéniens. La liberté & l'indépendance, dont les Grecs furent de tout temps jaloux, font les caufes de la légéreté qu'on remarque dans leur caractere. Difperfés comme les Juifs dans les différentes parties du monde, vivant fous les loix des Souverains n'ayant d'autre reffource que celle d'un commerce fubordonné aux variations du gouvernement, ils ont fouvent recours, pour maintenir leurs privile ges, à des moyens bas & ferviles, & ne mettent de différence dans le choix qu'à raifon de l'avantage qu'ils peuvent en retirer. Un examen plus approfondi des mœurs de ces peuples hous meneroit à conclure que la perte de leur liberté a entraîné celle de leurs anciennes vertus.

[blocks in formation]

ན་

B mj

LETTRE VIII.

Vis-à-vis d'Antivari, en Décembre 2776.

M.

VOUS

OUS feriez étonné des efforts pénibles de nos matelots; ils ont été plus d'une heure occupés à tourner en ligne circulaire autour du cabeftan, ayant chacun une groffe piece de bois qu'ils pouffoient de toutes leurs forces pour amener les cables qui tiennent aux ancres. Durant cet exercice ils chantoient des airs d'un ton grave; c'est ainfi qu'ils diffipoient l'ennui du travail, & qu'ils célébroient le départ prochain du bâtiment. Parvenus à détacher l'ancre, leur chant eft devenu plus vif, plus preffé; il fe reffentoit de la joie commune. Ce même sentiment a acquis un nouveau degré d'activité lorfque la voile a été tendue, & que les belles apparences

du temps nous ont engagés à fortir du port; enfin leurs cris fe font faits entendre lorfque nous fommes partis. Nous avons laiffé derriere nous l'ile de Sainte-More; nous avancions vers Corfou, l'un des boulevards de la République de Venife, lorfque le vent d'oueft a porté des vagues jufques fur nos mâts. L'on eft toujours expofé à ces fâcheux contre-temps aux approches des détroits : c'eft-là que Télément indocile fe livre à tous fes caprices, comme pour fe venger de la gêne qu'éprouvent fes flots refferrés. Les îles de Paxos & d'Anti-Paxos, appartenantes à la République de Venife, fe font offertes à notre vue. La premiere, qui eft la plus grande, lui paye un tribut de deux cent mille ducats. On y voir des plaines bien cultivées, & dans l'autre une grande forêt d'oliviers. Corfou n'étoit pas loin de la proue; mais les montagnes qui l'entourent nous ont privé de la vue de l'intérieur. Cette île eft depuis trois fiecles fous la domination Vénitienne; il y a une citadelle munie de cinq fortifications; chaque Provéditeur y

« AnteriorContinuar »