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cendres dans des Urnes; enfin, pour mieux prévenir les coups que la fatalité leur mettoit tous les jours fous les yeux, ils ont imaginé d'embaumer les corps, pour maintenir les parties dans l'union & l'intégrité primitive; mais ces procédés chimiques que l'induftrie employoit avec tant de confiance, étoient moins des fecours donnés aux pâles cadavres, que des preuves d'attachement à la vie dont on les voyoit privés. Le baume précieux n'avoit que la force d'unir les parties entr'elles, & d'arrêter les progrès de la puiffance diffolvante; mais fa vertu ne pouvoit remplacer la feve que les corps avoient perdue, & ne faifoit qu'en augmenter la roideur, fans leur rendre l'élafticité. Sa compofition, qui eft un hiéroglyphe pour la chimie de nos jours, étoit bien digne de la nation Egyp tienne, qui avoit fu honorer mieux que toute autre les miférables reftes de la caducité; auffi le fecret réfervé à cette nation hofpitaliere, s'eft perdu dans fon antiquité, & ne fe laiffe entrevoir dans fes effets que comme une foible Jueur qui difparoît dans les ténébres

Cependant je défirois quelque exemple qui ne me laiffàt pas ignorer la force confervatrice de ce baume, & je ne pouvois le trouver que dans une momie Egyptienne. Le hazard m'ayant placé dans le quartier de la nation Françoise, j'eus la fatisfaction que je pouvois efpérer; un Arabe venant d'en porter une chez un Négociant, je fus invité à la voir, & j'affiftai à fa dépouille.

On prit la précaution de fermer les portes, & de n'admettre aucune perfonne fufpecte, dans la crainte que cette curiofité ne produisît de mauvais effets, fi quelque fanatique de la nation Egyptienne en eût été inftruit.

La caiffe qui renfermoit la momie étoit goudronnée dans toutes fes parties: le bois dont elle étoit faite, étoit de fycomore, & de trois doigts d'épaiffeur; elle préfentoit au premier coup-d'oeil un air d'antiquité qui paroiffoit en impofer à ceux qui vouloient en défunir les parties; cependant des mains avides de toucher le dépôt, l'ouvrirent, & nous vîmes un corps revêtu d'une enveloppe d'écorces d'arbre peintes de diverfes couleurs. On y voyois

des oifeaux fauvages, des Eperviers, des Aigles, des Lions affez bien deffinés, ainsi qu'un écuffon traversé par trois bandes, couleur de citron, fupporté par des ailes d'oifeaux, & furmonté d'un turban noir, au-deffus duquel étoient des bandes jaunes, féparées par des lacs de diverfes couleurs. Cette. premiere enveloppe étant levée, on déCouvroit les bandelettes de toile, qu'on évalua à cent pataques (); le corps étant à découvert, on vit autour du col un collier de pierres dont les grains reffembloient à ceux de jais; un baume de couleur brune couvroit les parties, qui étoient dans leur entier ; on dif tinguoit les cheveux, les ongles des mains & des pieds: les offemens furtout nous parurent avoir confervé leur premiere dureté. Sa ftature étoit de cinq pieds, fes bras étoient allongés fur les cuiffes, pofture differente de celle du fexe qui les tient croisées fur la poitrine. Sa forme nous prouva que ce corps étoit celui d'un jeune homme,

(a) Monnoie Egyptienne, qui vaut en viron fix livres de France.

mais fon origine & le fiecle de fon Ere nous refterent aufli inconnues que les hieroglyphes peints fur l'écorce d'arbre, qui probablement les repréfentoient. Nous ne pûmes tirer de ce corps muet que des conjectures hazardées; il avoit été enlevé des Pyramides de Saccara par des Arabes qui favent les découvrir dans les finuofités de ces vaftes Monumens. Le trafic qu'ils en font fuffiroit pour prouver que le temps a opéré dans les mœurs des Egyptiens un changement peu avantageux, puifque ce qui étoit un objet de refpect & de vénération pour ce peuple antique & religieux, eft devenu un objet de calcul pour les Egyptiens modernes, qui ne rougiffent pas de faire fervir la dépouille des tombeaux de leurs Rois à leur cupidité.

Je fuis, &c.

LETTRE LVI.

Du Caire, au mois d'Août 17774

M.

LES François qui habitent cette

ville font au nombre de vingt. Les Capucins & les Jéfuites y ont un couvent: les premiers font les Curés de la Nation Françoife. Tous vont répandre dans les maifons des Chrétiens catholiques & fchifmatiques les femences de la parole évangélique; les uns & les autres ne fubfiftent que par les charités publiques. L'ar

deur de leur zele leur fait vaincre

fans répugnance les chaleurs du climat, & les dégoûts attachés à une inftruction d'autant plus pénible, qu'elle eft dirigée vers un peuple qui eft dans la plus parfaite ignorance. Celle des Prêtres Grecs, & fur- tout des Copthes, leur donne beaucoup de foins

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