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expreffifs de leur douleur une partie de ce qui qui la caufoit; je l'attribuai aux befoins de premiere néceffité, & leur donnai une poignée de paras (a), qu'elles reçurent avec empreffement & reconnoiffance; elles donnerent quelques-unes de ces pièces à un matelot qui vint à bord, & qui repartit auffi-tôt.

J'attendois dans le filence le dé nouement de ce que je venois de voir, me félicitant d'avo irtrouvé le moyen de fufpendre leur douleur lorfque je vis arriver le même matelot chargé de pain cuit fous la cendre, qu'il mit entre leurs mains; cet aliment tarit la fource de leurs larmes la vivacité avec laquelle elles mangeoient n'étoit interrompue que par les remercîmens qu'elles m'adreffoient tour-à-tour en fignes & en paroles; la joie étoit peinte fur leur vifage, dont l'expreffion n'étoit point équivoque; il étoit difficile à diftinguer dans nos fentimens quel étoit

(a) Monnoie Egyptienne, qui vaut environ fix liards de France.

Tome II.

B

le plus doux du bienfait ou de la reconnoiffance. Ces infortunées m'apprirent qu'elles étoient victimes du malheureux fort d'un Prince, leur maître, qui avoit été affaffiné le matin dans fon palais par un Bey fon ennemi; qu'elles avoient échappé à la fureur des foldats, qui avoient investi le Harem des femmes dans l'intention de les maffacrer, & qu'elles n'avoient fongé qu'à fe jetter dans le premier afyle que le hafard leur offriroit, fans avoir pu emporter d'autres vêtements que ceux qui les couvroient. Le Patron touché de leur fort, les plaça dans un coin du vaiffeau féparé du logement des hom. mes. On mit à la voile; le cours rapide du Nil qui croiffoit nous éloigna en peu de temps du fauxbourg de la Capitale; bientôt nous vimes des plaines immenfes inondées par les eaux bienfaifantes de ce fleuve, & couronnées de fuperbes dattiers, qui paroiffoient vouloir en arrêter le cours : cependant la terre fur laquelle ils s'élevoient fembloit s'abaiffer pour en recevoir les influences. On voyoit les

fommets des petites îles fe laiffer do miner fans réfiftance, & s'enfevelir dans le courant; mais la nuit tombant fur l'horifon qui domine le bourg d'Ytalap, vint nous cacher ce fpectacle, & nous en préparer dans le filence un nouveau pour le lende

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LETTRE LVIII.

Sur le Nil, le 12 Août 1777•

M.

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Nos yeux pour un temps privés de la lumiere, avoient befoin du fpectacle riant qu'offrent dès les premiers rayons du foleil les contrées fertiles qui bordent ce fleuve. Qu'il eft doux ce moment où l'aftre du jour venant interrompre les fonctions paifibles de la nature, réveille les différens êtres placés fur ces hémispheres, les montre comblés des bienfaits de la nuit, & difpofés à recevoir les nouvelles beautés que fa lumiere va leur prodiguer!

Le Nil devenu plus rapide annonce fon accroiffement par le bruit de fon cours les arbriffeaux reffentant de loin les douces vapeurs de ce fleuve, s'emprefent d'étendre leurs feuilles &

leurs branches chargées de fruits comme pour étaler les effets de fa bienfaifance. La verdure même ranime fa couleur par une teinte d'un rouge pâle, qui femble défigner l'action du feu nourricier de la terre. C'est ainsi que la nature déploie fes dons & fes graces. Mais tandis que cette grande œuvre s'opére avec for ce, le fpectacle devient plus intéresfant des bourgs confidérables fe montrent dans le lointain & fe rappro chent de nous à mefure que la navigation devient plus rapide; des rameurs traverfent le fleuve, & conduifent d'un bord à l'autre, l'ouvrier que le travail appelle; d'autres fe croifent en le côtoyant, & tranfportent des denrées de différentes efpeces; les oifeaux amphibies animés par cette variété, nagent & volent fur les eaux à peu de diftance des bâtimens, & font tour-à-tour l'office de guides & de gardes. Mais l'admira→ tions augmente lorfqu'on jette les yeux fur les belles plaines qui bordent ces rives on y voit une multitude d'oifeaux étaler leurs plumages

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