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nez-vous dans la rue et ne vous impatientez point; nous allons l'apaiser, et comme il va tous les soirs souper en ville, d'abord qu'il sera sorti, Jacinthe viendra vous en avertir, et vous introduira dans la maison. » Le bourgeois, que cette promesse console, baise avec transport la main de Luisita, qui lui fait quelques caresses, pour le laisser sur la bonne bouche, puis elle entre dans la maisor avec Jacinthe et la servante. Patrice, demeu é dans la rue, prend patience; il s'assied sur une borne, à deux pas de la porte, et passe un temps considérable sans s'imaginer qu'on puisse avoir dessein de se jouer de lui; il s'étonne seulement de ne pas voir sortir don Gaspard, et craint que ce maudit frère n'aille pas souper en ville. Cependant, il entend sonner dix, onze heures, minuit; alors, il commence à perdre une partie de sa confiance et à douter de la bonne foi de sa dame. Il s'ap proche de la porte, il entre et suit à tâtons une allée obscure, au milieu de laquelle il rencontre un escalier. Il n'ose monter; mais il écoute attentivement, et son oreille est frapnée du concert discordant que peuvent faire ensemble un chien qui aboie, un chat qui miaule et un enfant qui crie. Il juge enfin qu'on l'a trompé, et ce qui achève de l'en per suader, c'est qu'ayant voulu pousser jusqu'au fond de l'allée, il s'est trouvé dans une autre rue que celle ou il a si longtemps fait le pied

de grue. Il regrette alors son argent et retourne au logis en maudissant les bas couleur de rose. Il frappe à sa porte; sa femme, le chapelet à la main et les larmes aux yeux, lui vient ouvrir, et lui dit d'un air touchant : « Ah! Patrice, pouvez-vous abandonner ainsi votre maison et vous soucier si peu de votre épouse et de vos enfants? Qu'avez-vous fait depuis six heures du matin que vous êtes sorti? » Le mari, ne sachant que répondre à ce discours, et d'ailleurs tout honteux d'avoir été la dupe de deux friponnes, s'est déshabillé et mis au lit sans dire un mot. Sa femme, qui est en train de moraliser, lui fait un sermon qui l'endort dans ce moment. Jetez la vue, poursuivit Asmodée, sur cette grande maison qui est à côté de celle du cavalier qui écrit à ses amis la rupture de son mariage avec la maîtresse d'Ambroise; n'y remarquez-vous pas une jeune dame couchée dans un lit de satin cramoisi, relevé d'une broderie d'or?

Pardonnez-moi, répondit don Cléophas J'aperçois une personne endormie, et je vois ce me semble, un livre sur son chevet.

- Justement, reprit le boiteux. Cette dame est une jeune comtesse fort spirituelle et d'une humeur très enjouée : elle avait, depuis six jours, une insomnie qui la fatiguait extrêmement; elle s'est avisé aujourd'hui de faire venir un médecin des plus graves de la

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Faculté. Il arrive; elle le consulte: il ordonne un remède marqué, dit-il, dans Hippocrate. La dame se met à plaisanter sur son ordonnance. Le médecin, animal hərgneux, ne s'est nullement prêté à ses plaisanteries, et lui a dit avec la gravité doctorale : « Madame, Hippocrate n'est point un homme à devoir être tourné en ridicule. · Ah! seigneur docteur! a répondu la comtesse d'un air sérieux, je n'ai garde de me moquer d'un auteur si célèbre et si docte; j'en fais un si grand cas, que je suis persuadée qu'en l'ouvrant seulement je me guériral de mon insomnie. J'en ai dans ma bibliothèque une traduction nouvelle du savant Azero; c'est la meilleure; qu'on me l'apporte. » En effet, admirez le charme de cette lecture! dès la troisième page, la dame s'est endormie profondément... Il y a dans les écuries de ce même hôtel un pauvre soldat manchot, que les palefreniers, par charité, laissent la nuit coucher sur la paille. Pendant le jour il demande l'aumône, et il a eu tantôt une plaisante conversation avec un autre gueux qui demeure auprès de Buen-Retiro, sur le passage de la cour. Celui-ci fait fort bien ses affaires; il est à son aige, et il a une fille à marier qui passe chez les mendiants pour une riche héritière.. Le soldat, abordant ce père aux maravédis, lui a dit : « Señor mendigo, j'ai perdu mon bras droit; je ne puis plus servir le roi, et je

me vois réduit pour subsister, à faire comme vous des civilités aux passants. Je sais bien que, de tous les métiers, c'est celui qui nourrit le mieux son homme, et que tout ce qui lui manque c'est d'être un peu plus honorable. -S'il était honorable, a répondu l'autre, il ne vaudrait plus rien, car tout le monde s'en mêlerait. Vous avez raison, a repris le manchot: oh çà, je suis donc un de vos confrères, et je voudrais n'allier avec vous. Donnez-moi votre fille. Vous n'y pensez pas, mon ami, a répliqué le richard; il lui faut un meilleur parti vous n'êtes point assez estropié pour être mon gendre; j'en veux un qui soit dans vn état à faire pitié aux usuriers.

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Eh! ne

suis-je pas, dit le soldat, dans une assez déplorable situation?-Fi donc! a reparti l'autre brusquement, vous n'êtes que manchot, et vous osez prétendre à ma fille! Savez-vous bien que je l'ai refusée à un cul-de-jatte ? »

J'aurais tort, continua le Diable, de passer la maison qui joint l'hôtel de la comtesse, et où demeurent un vieux peintre ivrogne et un poëte caustique. Le peintre est sorti de chez lui ce matin, à sept heures, dans le dessein d'aller chercher un confesseur pour sa femme malade à l'extrémité; mais il a rencontré un de ses amis qui l'a entraînè au cabaret, et il n'est revenu au logis qu'à dix heures du soir. Le poëte, qui a la réputation d'avoir eu quelquefois de tristes salaires pour

ses vers mordants, disait tantôt d'un air fanfaron dans un café, en parlant d'un homme qui n'y était pas : « C'est un faquin à qui je veux donner cent coups de bâton. Vous pouvez, a dit un railleur, les lui donner facilement, car vous êtes bien en fonds. » Je ne dois pas oublier une scène qui s'est passée aujourd'hui chez un banquier de cette rue, nouvellement établi dans cette ville: il n'y a pas trois mois qu'il est revenu du Pérou avec de grandes richesses. Son père est un honnête capareto de Viejo et de Mediana, gros village de la Castille vieille, auprès des montagnes de Sierra d'Avila, où il vit, très content de son état, avec une femme de son âge, c'est-à-dire de soixante ans. Il y avait un temps considérable que leur fils était sorti de chez eux pour aller aux Indes chercher une meilleure fortune que celle qu'ils lui pouvaient faire. Plus de vingt années s'étaient écoulées depuis qu'ils ne l'avaient vu ; ils parlaient souvent de lui; ils priaient le ciel tous les jours de ne le point abandonner, et ils ne manquaient pas, tous les dimanches, de le faire recommander au prône par le curé, qui était de leurs amis. Le banquier, de son côté, ne le mettait pas en oubli. D'abord qu'il eut fixé son établissement, il résolut de s'informer par lui-même de la situation où ils pouvaient être. Pour cet effet, après avoir dit à ses domestiques de n'être pas en peine

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