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de lui, il partit, il y a quinze jours, à cheval, sans que personne l'accompagnât, et il se rendit au lieu de sa naissance.

Il était environ dix heures du soir, et la bon savetier dormait auprès de son épouse, lorsqu'ils se réveillèrent en sursaut, au bruit que fit le banquier en frappant à la porte de leur petite maison. Ils demandèrent qui frappait. « Ouvrez, ouvrcz, leur dit-il, c'est votre fils Francillo. A d'autres, répondit le bonhomme; passez votre chemin, voleurs, il n'y a rien à faire ici pour vous: Francillo est présentement aux Indes, s'il n'est pas mort.Votre fils n'est plus aux Indes, répliqua le banquier, il est revenu du Pérou : c'est lui qui vous parle; ne lui refusez pas l'entrée de votre maison. - Levons-nous, Jacques, dit alors la femme. Je crois effectivement que c'est Francillo; il me semble le reconnaître à sa voix. » Ils se levèrent aussitôt tous deux : le père alluma une chandelle, et la mère, après s'être habillée à la hâte, alla ouvrir la porte; elle envisagea Francillo, et, ne pouvant le méconnaître, elle se jette à son cou et le serre étroitement entre ses bras. Maître Jaques, agité des mêmes mouvements que sa femme, embrasse à son tour son fils; et ces trois personnes, charmées de se voir réunies après une si longue absence, ne peuvent se rassasier du plaisir de s'en donner des marques. Après des transports si doux, le ban

quier débrida son cheval, et le mit dans une étable où gîtait une vache, mère nourrice de la maison; ensuite il rendit compte à ses parents de son voyage, et des biens qu'il avait apportés du Pérou. Le détail fut un peu long, et aurait pu ennuyer des auditeurs désintéressés; mais un fils qui s'épanche en racontant ses aventures ne saurait lasser l'attention d'un père et d'une mère: il n'y a pas pour eux de circonstance indifférente; ils l'écoutaient avec avidité, et les moindres choses qu'il disait faisaient sur eux une vive impression de douleur ou de joie. Dès qu'il eut achevé sa relation, il leur dit qu'il venait leur offrir une partie de ses biens, et il pria son père de ne plus travailler. « Non, mon fils, lui dit maître Jacques, j'aime mon métier, je ne le quitterai pas. Quoi donc! répliqua le banquier, n'est-il pas temps que vous vous reposiez? Je ne vous propose point de venir demeurer à Madrid avec moi; je sais bien que le séjour de la ville n'aurait pas de charmes pour vous: je ne prétends pas troubler votre vie tranquille; mais, du moins, épargnez-vous un travail pénible, et vivez ici commodément, puisque vous le pouvez. » La mère appuya le sentiment du fils, et maître Jacques se rendit. «Eh bien! Francillo, ditil, pour te satisfaire, je ne travaillerai plus pour tous les habitants du village, je raccommoderai seulement mes souliers et ceux de

monsieur le curé, notre bon ami. » Après cette convention, le banquier avala deux œufs frais qu'on lui fit cuire, puis se coucha près de son père, et s'endormit avec un plaisir que les enfants d'un bon naturel sont seuls capables de s'imaginer. Le lendemain matin Francillo leur laissa une bourse de trois cents pistoles, et revint à Madrid. Mais il a été bien étonné ce matin de voir tout à coup paraître chez lui maître Jacques. « Quel sujet vous amène ici, mon père? lui a-t-il dit. - Mon fils, a répondu le vieillard, je te rapporte ta bourse: reprends ton argent; je veux vivre de mon métier; je meurs d'ennui depuis que je ne travaille plus. Eh bien, mon père, a répliqué Francillo, retournez au village, continuez d'exercer votre profession, mais que ce soit seulement pour vous désennuyer. Remportez votre bourse et n'épargnez pas la mienne. Eh! que veux-tu que je fasse de tant d'argent? a repris maître Jacques. — Soulagez-en les pauvres, a reparti le banquier, faites-en l'usage que votre curé vous conseillera. » Le savetier, content de cette réponse, s'en est retourné à Médiana.

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Don Cléophas n'écouta pas sans plaisir l'histoire de Francillo, et il allait donner toutes les louanges dues au bon cœur de ce banquier, si dans ce moment même des cris perçants n'eussent attire on attention.

Seigneur Asmodée, s'écria-t-il, quel bruit éclatant se fait entendre?

-Ces cris qui frappent les airs, répondit le Diable, partent d'une maison où il y a des fous enfermés : ils s'égosilient à force de crier et de chanter.

Nous ne sommes pas bien éloignés de cette maison; allons voir ces fous tout à l'heure, répliqua Leandro.

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- J'y consens, repartit le démon : Je vais vous donner ce divertissement, et vous apprendre pourquoi ils ont perdu la raison. Il n'eut pas achevé ces paroles, qu'il emporta l'écolier sur la casa de los locos.

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Zambullo parcourut d'un air curieux toutes les loges, et après qu'il eut observé les folles et les fous qu'elles renfermaient, le Diable lui dit :

Vous en voyez de toutes les façons; en voilà de l'un et de l'autre sexe, en voilà de tristes et de gais, de jeunes et de vieux; il faut à présent que je vous dise pourquoi la tête leur a tourné; allons de loge en loge, et commençons par les hommes. Le premier qui se présente, et qui paraît furieux, est un un nouvelliste castillan, né dans le sein de Madrid, un bourgeois fier et plus sensible à l'honneur de sa patrie qu'un ancien citoyen

de Rome. Il est devenu fou de chagrin d'avoir lu dans la gazette que vingt-cinq Espagnols s'étaient laissé battre par un parti de cinquante Portugais. Il a pour voisin un licencié qui avait tant d'envie d'attraper un bénéfice, qu'il a fait l'hypocrite à la cour pendant dix ans, et le désespoir de se voir toujours oublié dans les promotions lui a brouillé la cervelle; mais ce qu'il y a d'avantageux pour lui, c'est qu'il se croit archevêque de Tolède. S'il ne l'est pas effectivement, il a du moins le plaisir de s'imaginer qu'il l'est; et je le trouve d'autant plus heureux, que je regarde sa folie comme un beau songe qui ne finira qu'avec sa vie, et qu'il n'aura point de compte à rendre, en l'autre monde, de l'usage de ses revenus. Le fou qui suit est un pupille; son tuteur l'a fait passer pour insensé, dans le dessein de s'emparer pour toujours de son bien; le pauvre garçon a véritablement perdu l'esprit, de rage d'être enfermé. Après le mineur est un maître d'école qui est venu là pour s'être obstiné à vouloir trouver le paulo post-futurum du verbe grec; et le quatrième, un marchand dont la raison n'a pu soutenir la nouvelle d'un naufrage, après avoir eu la force de résister à deux banqueroutes qu'il a faites. La personnage qui gît dans la loge suivante est le vieux capitaine Zanubio, cavalier napolitain qui s'est venu établir à Madrid. La jalousie l'a mis dans l'état où vous

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