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gouvernante, voici cette sage dame Marcelle à qui vous souhaitez de parler, la veuve du feu seigneur Martin Rosette, votre ami. » A ces paroles, le vieillard, soulevant un peu la tête, salua la duègne, lui fit signe de s'approcher, et lorsqu'elle fut près de son lit, lui dit d'une voix faible: «Ma chère madame Marcelle, je rends grâce au ciel de m'avoir laissé vivre jusqu'à ce moment; c'était l'unique chose que je désirais; je craignais de mourir sans avoir la satisfaction de vous voir, et de vous remettre en main propre cent ducats que feu votre époux, mon intime ami, me prêta pour me tirer d'une affaire d'honneur que j'eus autrefois à Bruges. Ne vous a-t-il jamais entretenu de cette aventure?

Hélas! non, répondit la dame Marcelle, il ne m'en a point parlé; devant Dieu soit son âme! il était si généreux, qu'il oubliait les services qu'il avait rendus à ses amis; et bien loin de ressembler à ces fanfarons qui se vantent du bien qu'ils n'ont point fait, il ne m'a jamais dit qu'il eût obligé personne.

Il avait l'âme belle, assurément, répliqua le vieillard, j'en dois être plus persuadé qu'un autre; et, pour vous le prouver, il faut que je vous raconte l'affaire dont je suis heureusement sorti par son secours; mais, comme j'ai des choses à dire qui sont de la dernière importance pour la mémoire du défunt, je serais bien aise de ne les révéler qu'à sa discrète veuve.

Eh bien dit alors la Chichona, vous n'avez qu'à lui faire ce récit en particulier; pendant ce temps-là nous allons passer dans mon cabinet, cette jeune dame et moi. » En achevant ces paroles, elle laissa la duègne avec le malade, et entraîna Léonor dans une autre chambre, où, sans chercher de détours, elle lui dit : « Belle Léonor, les moments sont trop précieux pour les mal employer. Vous connaissez de vue le comte de Belflor : il y a longtemps qu'il vous aime, et qu'il meurt d'envie de vous le dire; mais la vigilance et la sévérité de votre gouvernante ne lui ont pas permis jusqu'ici d'avoir ce plaisir. Dans son désespoir, il a eu recours à mon industrie; je l'ai mise en usage pour lui. Ce vieillard que vous venez de voir est un jeune valet de chambre du comte; et tout ce que j'af fait n'est qu'une ruse, que nous avons concertée pour tromper votre gouvernante et vous attirer ici. » Comme elle achevait ces mots, le comte, qui était caché derrière une tapisserie, se montra; et courant se jeter aux pieds de Léonor : « Madame, lui dit-il, pardonnez ce stratagème à un amant qui ne pouvait plus vivre sans vous parler. Si cette obligeante personne n'eût pas trouvé moyen de me procurer cet avantage, j'allais m'abandonner à mon désespoir. » Ces paroles, prononcées d'un air touchant, par un homme qui ne déplaisait pas, troublèrent Léo

nor. Elle demeura quelque temps incertaine de la réponse qu'elle y devait faire; mais enfin, s'étant remise de son trouble, elle regarda fièrement le comte, et lui dit : « Vous croyez peut-être avoir beaucoup d'obligation à cette officieuse dame, qui vous a si bien servi; mais apprenez que vous tirerez peu de fruit du ser vice qu'elle vous a rendu. » En parlant ainsi, elle fit quelques pas pour rentrer dans la salle. Le comte l'arrêta : « Demeurez, dit-il, adorable Léonor; daignez un moment m'entendre. Ma passion est si pure qu'elle ne doit point vous alarmer. Vous avez sujet, je vous l'avoue, de vous révolter contre l'artifice dont je me sers pour vous entretenir; mais, n'ai-je pas jusqu'à ce jour inutilement essayé de vous parler? Il y a six mois que je vous suis aux églises, à la promenade, aux spectacles. Je cherche en vain partout l'occasion de vous dire que vous m'avez charmé. Votre cruelle, votre impitoyable gouvernante a toujours su tromper mes désirs. Hélas! au lieu de me faire un crime d'un stratagème que j'ai été forcé d'employer, plaignez-moi, belle Léonor, d'avoir souffert tous les tourments d'une si longue attente, et jugez par vos charmes des peines mortelles qu'elle a dû me causer. »

Belflor ne manqua pas d'assaisonner ce discours de tous les airs de persuasion que les jolis hommes savent si heureusement mettre en pratique: il laissa couler quelques larmes.

Léonor en fut émue; il commença malgré elle à s'élever dans son cœur des mouvements de tendresse et de pitié; mais, loin de céder à sa faiblesse, plus elle se sentait attendrir, plus elle marquait d'empressement à vouloir se retirer : « Comte, s'écria-t-elle, tous vos discours sont inutiles, je ne veux point vous écouter; ne me retenez pas davantage; laissezmoi sortir d'une maison où ma vertu est alarmée, ou bien je vais, parines cris, attirer ici tout le voisinage, et rendre votre audace publique.» Elle dit cela d'un ton si ferme que la Chichona, qui avait de grandes mesures à garder avec la justice, pria le comte de ne pas pousser les choses plus loin. Il cessa de s'opposer au dessein de Léonor. Elle se débarrassa de ses mains, et ce qui jusqu'alors n'était arrivé à aucune fille, elle sortit de ce cabinet comme elle y était entrée. Elle rejoignit promptement sa gouvernante. « Venez, ma bonne, lui dit-elle, quittez ce frivole entretien; on nous trompe; sortons de cette dangereuse maison.

Qu'y a-t-il, ma fille? répondit avec étonnement la dame Marcelle. Quelle raison vous oblige à vouloir vous retirer si brusquement? Je vous en instruirai, répartit Léonor. Fuyons chaque instant que je m'arrête ici me cause une nouvelle peine. » Quelque envie qu'eût la duègne de savoir le sujet d'une si brusque sortie, elle ne put s'en éclaircir

sur-le-champ, il lui fallut céder aux instances de Léonor. Elles sortirent toutes deux avec précipitation, laissant la Chichona, le comte et son valet de chambre, aussi déconcertés tous trois que des comédiens qui viennent de représenter une pièce que le parterre a mal reçue. Dès que Léonor se vit dans la rue, elle se mit à raconter avec beaucoup d'agitation à sa gouvernante tout ce qui s'était passé dans le cabinet de la Chichona. La dame Marcelle l'écouta fort attentivement; et lorsqu'elles furent arrivées au logis: «Je vous avoue, ma fille, lui dit-elle, que je suis extrêmement mortifiée de ce que vous venez de m'apprendre. Comment ai-je pu être la dupe de cette vieille femme? J'ai fait d'abord difficulté de la suivre. Que n'ai-je continué! Je devais me défier de son air doux et honnête; j'ai fait une sottise qui n'est pas pardonnable à une personne de mon expérience. Ah! que ne m'avez-vous découvert chez elle cet artifice, je l'aurais dévisagée, j'aurais accablé d'injures le comte de Belflor, et arraché la barbe au faux vieillard qui me contait des fables. Mais je vais retourner sur mes pas porter l'argent que j'ai reçu comme une véritable restitution; et si je les retrouve ensemble, ils ne perdront rien pour avoir attendu. » En achevant ces mots, elle reprit sa mante qu'elle avait quittée, et sortit pour aller chez la Chichona. Le comte y était encore ; il se désespé

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