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mirable; je suis enchanté surtout de ces deux représentations qui sont à genoux. Voilà des figures bien travaillées! Que le sculpteur qui les a faites était un habile ouvrier! Mais ap-prenez-moi, de grâce, ce que les personnes qu'elles représentent ont été pendant leur vie. Le boiteux reprit :

- Vous voyez un duc et son épouse. Ce seigneur était grand sommelier du corps; il remplissait sa charge avec honneur, et sæ femme vivait dans une haute dévotion. Il faut que je vous rapporte un trait de cette bonne duchesse; vous le trouverez un peu gaillard pour une dévote. Le voici: Cette dame avait pour directeur, depuis longtemps, un religieux de la Merci, nommé don Jérôme d'Aguilar, homme de bien et fameux prédicateur. Elle en était très satisfaite, lorsqu'il parut à Madrid un dominicain qui se mit à pêcher de façon que tout le peuple en fut enchanté. Ce nouvel orateur s'appelait le frère Placide; on courait à ses sermons comme à ceux du cardinal Ximenès, et, sur sa réputation, la cour ayant voulu l'entendre, en fut encore plus contente que la ville. Notre duchesse se fit d'abord un point d'honneur de tenir bon contre la renommée, et de résister à la curiosité d'aller juger par elle-même de l'éloquence du frère Placide. Elle en usait ainsi pour prouver à son directeur qu'en pénitente délicate et sensible, elle entrait dans les sentiments de dépit et de

Jalousie que ce nouveau venu pouvait lui causer. Il n'y eut pourtant pas moyen de s'en défendre toujours; le dominicain fit tant de bruit, qu'elle céda enfin à la tentation de le voir; elle le vit, l'entendit prêcher, le goûta, le suivit; et la petite inconstante forma le projet de se mettre sous sa direction. Il fallait auparavant se débarrasser du religieux de la Merci; cela n'était pas facile, un guide spirituel ne se quitte pas comme un amant; une dévote ne veut point passer pour volage, ni perdre l'estime d'un directeur qu'elle abandonne. Que fit la duchesse? elle alla trouver don Jérôme, et lui dit d'un air aussi triste que si elle eût été véritablement affligée : « Mon père, je suis au désespoir; vous me voyez dans un étonnement, dans une affliction, dans une perplexité d'esprit inconceva- Qu'avez-vous donc? madame, répondit d'Aguilar. Le croirez-vous? reprit-elle, mon mari, qui a toujours eu une parfaite confiance en ma vertu, après m'avoir vue si longtemps sous votre conduite, sans faire paraître la moindre inquiétude sur la mienne, se livre tout à coup à des soupçons jaloux, Et ne veut plus que vous soyez mon directeur. Avez-vous jamais ouï parler d'un pareil caprice? J'ai eu beau lui reprocher qu'il offensait avec moi un homme d'une piété profonde et délivré de la tyrannie des passions, je n'ai fait qu'augmenter sa dé

bles.

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fiance en prenant votre parti. » Don Jérôme, malgré tout son esprit, donna dans ce rapport; il est vrai qu'elle le lui avait fait avec des démonstrations à tromper toute la terre. Quoique fâché de perdre une pénitente de cette importance, il ne laissa pas de l'exhorter à se conformer aux volontés de son époux; mais sa révérence ouvrit enfin les yeux, et -fut au fait lorsqu'elle apprit que cette dame avait choisi le frère Placide pour directeur.... Après ce grand sommelier du corps et son adroite épouse, continua le Diable, un mausaulée plus modeste recèle depuis peu de temps le bizarre assemblage d'un doyen du conseil des Indes et de sa jeune femme. Ce doyen, dans sa soixante-troisième année, épousa une fille de vingt ans. Il avait d'un premier lit deux enfants, dont il était prêt à signer la ruine, lorsqu'une apoplexie l'emporta : si femme mourut vingt-quatre heures après lui, de regret qu'il ne fùt pas mort trois jours plus tard... Nous voici arrivés au monument de cette église le plus respectable : les Espagnols ont autant de vénération pour ce tombeau que les Romains en avaient pour celui de Romulus.

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De quel grand personnage renferme-t-il donc la cendre? dit Leandro Perez.

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D'un premier ministre de la couronne d'Espagne, répondit Asmodée : jamais la monarchie n'en aura peut-être un pareil. Le roi

se reposa du soin du gouvernement sur ce grand homme, qui sut si bien s'en acquitter, que le monarque et les sujets en furent très contents. L'Etat, sous son ministère, fut toujours florissant, et les peuples heureux; enfin, cet habile ministre eut beaucoup de religion et d'humanité; cependant, quoiqu'il n'eût rien à se reprocher en mourant, la délicatesse de son poste ne laissa pas de le faire trembler... Un peu au delà de ce ministre si digne d'être regretté, démêlez dans un coin une table de marbre noir attachée à un pilier. Voulez-vous que j'ouvre le sépulcre qui est dessous pour vous montrer ce qui reste d'une fille bourgeoise qui mourut à la fleur de son âge, et dont la beauté charmait tous les yeux? ce n'est plus que de la poussière : c'était, de son vivant, une personne si aimable, que son père avait de continuelles alarmes que quelque amant ne la lui enlevât; ce qui aurait bien pu arriver, si elle eût vécu plus longtemps. Trois cavaliers qui l'idolâtraient furent inconsolables de sa perte, et se donnèrent la mort pour signaler leur désespoir. Leur tragique histoire est gravée en lettres d'or sur cette table de marbre, avec trois petites figures qui représentent ces trois galants désespérés : ils sont prêts à se défaire euxmêmes ; l'un avale un verre de poison, l'autre se perce de son épée, et le troisième se passe au cou une ficelle pour se pendre.

Le démon, remarquant en cet endroit que l'écolier riait de tout son cœur, et trouvait fort plaisant qu'on eût orné de ces trois figures l'épitaphe de la bourgeoise, lui dit :

Puisque cette imagination vous réjouit, peu s'en faut qu'en cet instant je ne vous transporte sur les bords du Tage, pour vous montrer le monument qu'un auteur dramatique a fait construire dans l'église d'un village auprès d'Almaraz, où il s'était retiré après avoir mené à Madrid une longue et joyeuse vie. Cet auteur a donné au théâtre un grand nombre de comédies pleines de gravelures et de gros sel; mais il s'en est repenti avant sa mort; et, pour expier le scandale qu'elles ont causé, il a fait peindre sur son tombeau une espèce de bûcher composé de livres qui représentent quelques-unes de ses pièces, et l'on voit la Pudeur qui tient un flambeau allumé pour y mettre le feu... Outre les morts qui sont dans les mausolées que je viens de vous faire observer, il y en a une infinité d'autres qui ont été enterrés ici fort simplement. Je vois errer toutes leurs om-, bres elles se promènent, passent et repassent sans cesse les unes auprès des autres, sans troubler le profond repos qui règne dans ce lieu saint. Elles ne se parlent point; mais je lis dans leur silence toutes leurs pensées.

-

Que je suis mortifié, s'écria don Cléo

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