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actions, et qu'ils n'oseraient désobéir à leurs maîtresses.

Madame, répondit le Tolédan, je conviens que ma conduite doit vous étonner; mais, de grâce, ne souhaitez pas que je me justifie : contentez-vous d'apprendre que j'ai raison de vous éviter.

Quelle que puisse être cette raison, reprit doña Theodora toute émue, je veux que vous me la disiez.

Eh bien ! madame, repartit don Juan, il faut vous obéir; mais ne vous plaignez pas si vous en entendez plus què vous n'en voulez savoir. Don Fadrique, poursuivit-il, vous a raconté l'aventure qui m'a fait quitter la Castille. En m'éloignant de Tolède, le cœur plein de ressentiment contre les femmes, je les défiais toutes de me jamais surprendre. Dans cette fière disposition, je m'approchai de Valence; je vous rencontrai, et, ce que personne encore n'a pu faire peut-être, je soutins vos premiers regards sans en être troublé. Je vous ai revue même depuis impunément; mais, hélas ! que j'ai payé cher quelques jours de fierté! Vous avez enfin vaincu ma résistance: votre beauté, votre esprit, tous vos charmes se sont exercés sur un rebelle; en un mot, j'ai pour vous tout l'amour que vous êtes capable d'inspirer. Voilà, madame, ce qui m'écarte de vous. La personne dont on vous a dit que j'étais occupé n'est

qu'une dame imaginaire: c'est une fausse confidence que j'ai faite à Mendoce, pour prévenir les soupçons que j'aurais pu lui donner en refusant toujours de vous venir voir avec lui.

Ce discours, à quoi doña Theodora ne s'était point attendue, lui causa une si grande joie, qu'elle ne put l'empêcher de paraître. Il est vrai qu'elle ne se mit point en peine de la cacher, et qu'au lieu d'armer ses yeux de quelque rigueur, elle regarda le Tolédan d'un air assez tendre, et lui dit:

Vous m'avez appris votre secret, don Juan, je veux aussi vous découvrir le mien. Écoutez-moi. Insensible aux soupirs d'Alvaro Ponce, peu touchée de l'attachement de Mendoce, je menais une vie douce et tranquille, lorsque le hasard vous fit passer près du bois où nous nous rencontrâmes. Malgré l'agitation où j'étais, je ne laissai pas de remarquer que vous m'offriez votre secours de très bonne grâce; et la manière avec laquelle vous sûtes séparer deux rivaux furieux me fit concevoir une opinion fort avantageuse de votre adresse et de votre valeur. Le moyen que vous proposâtes pour les accorder me déplut: je ne pouvais, sans beaucoup de peine, me résoudre à choisir l'un où l'autre; mais, pour ne vous rien déguiser, je crois que vous avier un peu de part à ma répugnance; car, dans le moment même que, forcée par la nécessité,

ma bouche nomma don Fadrique, je sentis que mon cœur se déclarait pour l'inconnu. Depuis ce jour, que je dois appeler heureux, après l'aveu que vous m'avez fait, votre mérite a augmenté l'estime que j'avais pour vous. Je ne vous fais pas, continua-t-elle, un mystère de mes sentiments; je vous les déclare avec la même franchise que j'ai dit à Mendoce que je ne l'aimais point. Une femme qui a le malheur de se sentir du penchant pour un amant qui ne saurait être à elle a raison de se contraindre, et de se venger du moins de sa faiblesse par un silence éternel; mais je crois que l'on peut, sans scrupule, découvrir une tendresse innocente à un homme qui n'a que des vues légitimes. Oui, je suis ravie que yous m'aimiez, et j'en rends grâces au ciel, qui nous a sans doute destinés l'un pour l'autre.

Après ce discours, la dame se tut pour laisser parler dan Juan, et lui donner lieu de faire éclater tous les transports de joie et de reconnaissance qu'elle croyait lui avoir inspirés; nais, au lieu de paraître enchanté des choses qu'il venait d'entendre, il demeura triste et rêveur.

— Que vois-je, don Juan? lui dit-elle. Quand, pour vous faire un sort qu'un autre que vous pourrait trouver digne d'envie, j'oublie la fierté de mon sexe, et vous montre une âme charmée, vous résistez à la,ioie que doit vous

causer une déclaration si obligeante! vous gardez un silence glacé! je vois même de la douleur dans vos yeux. Ah! d`n Juan, quel étrange effet produisent en vous mes bontés!

- Hé! quel autre effet, madame, répondit tristement le Tolédan, peuvent-elles faire sur un cœur comme le mien? Je suis d'autant plus misérable que vous me témoignez plus d'inclination. Vous n'ignorez pas ce que Mendoce fait pour moi, vous savez quelle tendre amitié nous lie; pourrais-je établir mon bonheur sur la ruine de ses plus douces espérances?

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Vous avez trop de délicatesse, dit doña Theodora, je n'ai rien promis à don Fadrique, je puis vous offrir ma foi sans mériter ses reproches, et vous pouvez la recevoir sans lui faire un larcin. J'avoue que l'idée d'un ami malheureux doit vous causer quelque peine; mais, don Juan, est-elle capable de balancer l'heureux destin qui vous attend?

Oui, madame, répliqua-t-il d'un ton ferme, un ami tel que Mendoce a plus de pouvoir sur moi que vous ne pensez. S'il vous était possible de concevoir toute la tendresse, toute la force de notre amitié, que vous me trouveriez à plaindre! Don Fadrique n'a rien de caché pour moi, mes intérêts sont devenus les siens; les moindres choses qui me regardent ne sauraient échapper à son attention, ou, pour tout dire en un mot, je partage son

âme avec vous. Ah! si vous vouliez que je profitasse de vos bontés, il fallait me les laisser voir avant que j'eusse formé les nœuds d'une amitié si forte. Charmé du bonheur de vous plaire, je n'aurais alors regardé Mendoce que comme un rival; mon cœur, en garde contre l'affection qu'il me marquait, n'y aurait pas répondu, et je ne lui devrais pas aujourd'hui tout ce que je lui dois; mais, madame, il n'est plus temps, j'ai reçu tous les services qu'il a voulu me rendre; j'ai suivi le penchant que j'avais pour lui, la reconnaissance et l'inclination me lient et me réduisent enfin à la cruelle nécessité de renoncer au sort glorieux que vous me présentez.

En cet endroit, Theodora, qui avait les yeux couverts de larmes, prit son mouchoir pour s'essuyer. Cette action troubla le Tolédan; il sentit chanceler sa constance, il commençait à ne répondre plus de rien.

Adieu, madame, continua-t-il d'une voix entrecoupée de soupirs, adieu; il faut vous fuir pour sauver ma vertu ; je ne puis soutenir vos pleurs, ils vous rendent trop redoutable. Je vais m'éloigner de vous pour jamais, et pleurer la perte de tant de charmes, que mon inexorable amitié veut que je lui sacrifie.

En achevant ces paroles il se retira avec un reste de fermeté qu'il n'avait pas peu de peine à conserver. Après son départ, la veuve de Cifuentes fut agitée de mille mouvements

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