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confus elle eut honte de s'être déclarée à un homme qu'elle n'avait pu retenir; mais, ne pouvant douter qu'il ne fût fortement épris, et que le seul intérêt d'un ami ne lui fît refuser la main qu'elle lui offrait, elle fut assez raisonnable pour admirer un si rare effort d'amitié, au lieu de s'en offenser. Néanmoins, comme on ne saurait s'empêcher de s'affliger quand les choses n'ont pas le succès que l'on désire, elle résolut d'aller dès le lendemain à la campagne pour dissiper ses chagrins, ou plutôt pour les augmenter, car la solitude est plus propre à förtifier l'amour qu'à l'affaiblir. Don Juan, de son côté, n'ayant pas trouvé Mendoce au logis, s'était enfermé dans son appartement pour s'abandonner en liberté à sa douleur; après ce qu'il avait fait en faveur d'un ami, il crut qu'il lui était permis du moins d'en soupirer; mais don Fadrique vint bientôt interrompre sa rêverie; et jugeant å son visage qu'il était indisposé, il en témoigna tant d'inquiétude, que don Juan, pour le rassurer, fut obligé de lui dire qu'il n'avait besoin que de repos. Mendoce sortit aussitôt pour le laisser reposer; mais il sortit d'un air si triste que le Tolédan en sentit plus vivement son infortune: « O ciel! dit-il en luimême, pourquoi faut-il que la plus tendre amitié du monde fasse tout le malheur de ma vie?» Le jour suivant, don Fadrique n'était pas encore levé qu'on le vint avertir que doña

Theodora était partie, avec tout son domestique, pour son château de Villaréal, et qu'il y avait apparence qu'elle n'en reviendrait pas de sitôt. Cette nouvelle le chagrina moins à cause des peines que fait souffrir l'éloignement d'un objet aimé que parce qu'on lui avait fait mystère de ce départ. Sans savoir ce qu'il en devait penser, il en conçut un funeste présage. Il se leva pour aller voir son ami, tant pour l'entretenir là-dessus que pour apprendre l'état de sa santé. Mais comme il achevait de s'habiller, don Juan entra dans sa chambre en lui disant :

-Je viens dissiper l'inquiétude que je vous cause; je me porte assez bien aujourd'hui. Cette bonne nouvelle, répondit Mendoce, me console un peu de la mauvaise que j'ai reçue.

Le Tolédan demanda quelle était cette mauvaise nouvelle, et don Fadrique, après avoir fait sortir ses gens, lui dit :

-

Doña Theodora est partie ce matin pour la campagne, où l'on croit qu'elle sera longtemps. Ce départ m'étorne. Pourquoi me l'at-on caché? Qu'en pensez-vous, don Juan ? N'ai-je pas raison d'être alarmé ?

Zarate se garda bien de lui dire sur cela sa pensée, et tâcha de lui persuader que doña Theodora pouvait être allée à la campagne sans qu'il eût sujet de s'en effrayer. Mais Mendoce, peu content des raisons que son

ami employait pour le rassurer, l'interrompit:

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Tous ces discours, dit-il, ne sauraient dissiper le soupçon que j'ai conçu; j'aurai fait peut-être imprudemment quelque chose qui aura déplu à doña Theodora. Pour m'en punir, elle me quitte, sans daigner seulement m'apprendre mon crime. Quoi qu'il en soit, je ne puis demeurer plus longtemps dans l'incertitude. Allons, don Juan, allons la trouver. Je vais faire préparer des chevaux.

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Je vous conseille, lui dit le Tolédan, de ne mener personne avec vous; cet éclaircissement se doit faire sans témoins.

Don Juan ne saurait être de trop, reprit don Fadrique; doña Theodora n'ignore point que vous savez tout ce qui se passe dans mon cœur; elle vous estime, et, loin de m'embarrasser, vous m'aiderez à l'apaiser en ma fa

veur.

Non, non, Fadrique, répliqua-t-il, ma présence ne peut vous être utile. Partez tout seul, je vous en conjure.

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Non, mon cher don Juan, repartit Mendoce, nous irons ensemble; j'attends cette complaisance de votre amitié.

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Quelle tyrannie! s'écria le Tolédan d'un air chagrin; pourquoi exigez-vous de mon amitié ce qu'elle ne doit pas vous accorder?

Ces paro es, que don Fadrique ne comprenait pas, et le ton brusque dont elles avaient

été prononcées, le surprirent étrangement. II regarda son ami avec attention :

Don Juan, lui dit-il, que signifie ce que je viens d'entendre? Quel affreux soupçon naît dans mon esprit! Ah! c'est trop vous contraindre et me gêner; parlez. Qui cause cette répugnance que vous marquez à m'accompagner?

Je voulais vous la cacher, répondit le Tolédan; mais puisque vous m'avez forcé vous-même à la laisser paraître, il ne faut plus que je dissimule: cessons, mon cher don Fadrique, de nous applaudir de la conformité de nos affections, elle n'est que trop parfaite; les traits qui vous ont blessé n'ont point épargné votre ami. Doña Theodora...

--

Vous seriez mon rival! interrompit Mendoce en pâlissant.

Dès que j'ai connu mon amour, repartit don Juan, je l'ai combattu. J'ai fui constamment la veuve de Cifuentes, vous le savez; vous m'en avez vous-même fait reproche; je triomphais du moins de ma passion, si je ne pouvais la détruire. Mais hier cette dame me fit dire qu'elle souhaitait de me parler chez elle. Je m'y rendis. Elle me demanda pourquoi je semblais vouloir l'éviter. J'inventai des excuses; elle les rejeta. Enfin, je fus obligé de lui en découvrir la véritable cause. Je crus qu'après cette déclaration elle approuverait le dessein que j'avais de la fuir;

mais, par un bizarre effet de mon étoile, vous le dirai-je? oui, Mendoce, je dois vous le lire, je trouvai Theodora prévenue pour moi.

Quoique don Fadrique eût l'esprit du monde le plus doux et le plus raisonnable, il fut saisi d'un mouvement de fureur à ce discours, et, interrompant encore son ami en cet endroit :

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Arrêtez, don Juan, lui dit-il, percez-moi plutôt le sein que de poursuivre ce fatal récit. Vous ne vous contentez pas de m'avouer que vous êtes mon rival, vous m'apprenez encore qu'on vous aime! Juste ciel ! quelle confidence vous m'osez faire! Vous mettez notre amitié à une épreuve trop rude. Mais, que dis-je, notre amitié? vous l'avez violée en conservant les sentiments perfides que vous me déclarez. Quelle était mon erreur! Je vous croyais généreux, magnanime, et vous n'êtes qu'un faux ami, puisque vous avez été capable de concevoir un amour qui m'outrage. Je suis accablé de ce coup imprévu : je le sens d'autant plus vivement qu'il m'est porté par une main...

- Rendez-moi plus de justice, interrompit à son tour le Tolédan; donnez-vous un moment de patience; je ne suis rien moins qu'un faux ami. Ecoutez-moi, et vous vous repentirez de m'avoir appelé de ce nom odieux.

Alors, il lui raconta ce qui s'était passé entre la veuve de Cifuentes et lui, le tendre aveu qu'elle lui avait fait, et les discours qu'elle lui avait tenus pour l'engager à se li

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