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dansle comique, je m'abaisserai à faire des tra gédies-Pour un composeur de farces, dit le poëte tragique, vous avez bien de la vanité.— Pour un versificateur qui ne doit sa réputation qu'à de faux brillants, dit l'auteur comique, vous vous en faites bien accroire.-Vous êtes un insolent, a répliqué l'autre. Si je n'étais pas chez vous, mon petit monsieur Calidas, la péripétie de cette aventure vous apprendrait à respecter le cothurne... Que cette consi

dération ne vous retienne pas, mon grand monsieur Giblet, a répondu Calidas: si vous avez envie de vous faire battre, je vous battrai aussi bien chez moi qu'ailleurs. » En même temps ils se sont tous deux pris à la gorge et aux cheveux, et les coups de poing et de pied n'ont pas été épargnés de part et d'autre. Un Italien, couché dans la chambre voisine, a entendu tout ce dialogue, et au bruit que les auteurs faisaient en se battant, il a jugé qu'ils étaient aux prises. Il s'est levé, et par compassion pour ces Français, quoique Italien, il a appelé du monde. Un Flamand et deux Allemands, qui sont ces personnes que vous voyez en robe de chambre, viennent avec l'Italien séparer les combattants.

Ce démêlé me paraît plaisant, dit don Cléophas. Mais, à ce que je vois, les auteurs tragiques, en France, s'imaginent être des personnages plus importants que ceux qui ne font que des comédies.

Sans doute, répondit Asmodée. Les pre-' miers se croient autant au-dessus des autres que les héros des tragédies sont au-dessus des valets des pièces comiques.

Et sur quoi fondent-ils leur orgueil ? répli→ qua l'écolier, Est-ce qu'il serait en effet plus difficile de faire une tragédie qu'une comédie?

La question que vous me faites, repartit le Diable, a cent fois été agitée, et l'est encore tous les jours. Pour moi, voici comment je la décide, n'en déplaise aux hommes qui ne sont pas de mon sentiment: Je dis qu'il n'est pas plus facile de composer une pièce comique qu'une tragique; car si la dernière était plus difficile que l'autre, il faudrait conclure de là qu'un faiseur de tragédies serait plus capable de faire une comédie que le meilleur auteur comique, ce qui ne s'accorderait pas avec l'expérience. Ces deux sortes de poemes demandent donc deux génies d'un caractère différent, mais d'une égale habileté. Il est temps, ajouta le boiteux, de finir la digression; je vais reprendre le fil de l'histoire que vous avez interrompue.

IV. — Suite et conclusion de l'histoire de la Ferce de lamitie.

Si les valets de doña Theodora n'avaient pu empêcher son enlèvement, ils s'y étaient du moins opposés avec courage, et leur résistance

avait été fatale à une partie des gens d'Alvaro Ponce. Ils en avaient, entre autres, blessé un si dangereusement que ses blessures ne lui ayant pas permis de suivre ses camarades, il était demeuré presque sans vie, étendu sur le sable. On reconnut ce malheureux pour un valet de don Alvaro; et comme on s'aperçut qu'il respirait encore, on le porta au château où l'on n'épargna rien pour lui faire reprendre ses esprits. On en vint à bout, quoique le sang qu'il avait perdu l'eût laissé dans une extrême faiblesse. Pour l'engager à parler, on lui promit d'avoir soin de ses jours, et de ne point le livrer à la rigueur de la justice, pourvu qu'il voulût dire où son maitre emmenait doña Theodora. Il fut flatté de cette promesse, bien qu'en l'état où il était il dût avoir peu d'espérance d'en profiter. Il rappela le peu de force qui lui restait, et, d'une voix faible, confirma l'avis que don Fadrique avait reçu. Il ajouta ensuite que don Alvaro avait dessein de conduire la veuve de Cifuentes à Sassari, dans l'île de Sardaigne, où il avait un parent dont la protection et l'autorité lui promettaient un sûr asile. Cette déposition soulagea le désespoir de Mendoce et du Tolédan; ils laissèrent le blessé dans le château où il mourut quelques heures après, et ils s'en retournèrent à Valence, en songeant au parti qu'ils avaient à prendre. Ils résolurent d'aller chercher leur ennemi commun

dans sa retraite : ils s'embarquèrent bientôt tous deux sans suite, à Denia, pour passer au Port-Mahon. ne doutant pas qu'ils n'y trouvassent une commodité pour aller à l'île de Sardaigne. Effectivement, ils ne furent pas plus tôt arrivés au Port-Mahon qu'ils apprirent qu'un vaisseau frété pour Cagliari devait incessamment mettre à la voñe; ils profitèrent de l'occasion. Le vaisseau partit avec un vent tel qu'ils le pouvaient souhaiter; mais cinq ou six heures après leur départ il survint un calme, et la nuit, le vent étant devenu contraire, ils furent obligés de louvoyer, dans l'espérance qu'il changerait. Ils naviguèrent de cette sorte pendant trois jours; le quatrième, sur les deux heures après-midi, ils découvrirent un vaisseau qui venait droit à eux les voiles tendues. Ils le prirent d'abord pour un vaisseau marchand; mais voyant qu'il s'avançait presque sous leur canon sans arborer aucun pavillon, ils ne doutèrent plus que ce fût un corsaire. Ils ne se trompaient pas : c'était un pirate de Tunis qui croyait que les chrétiens allaient se rendre sans combattre ; mais lorsqu'il s'aperçut qu'ils brouillaient les voiles et préparaient leur canon, il jugea que l'affaire serait plus sérieuse qu'il n'avait pensé ; c'est pourquoi il s'arrêta, brouilla aussi ses voiles, et se disposa au combat. Ils commencèrent de part et d'autre à se canonner, et les chré

tiens semblaient avoir quelque avantage; mais un corsaire d'Alger, avec un vaisseau plus grand et mieux armé que les deux autres, arivant au milieu de l'action, prit le parti du pirate de Tunis. Il s'approche du bâtiment espagnol à pleines voiles et de mit entre deux feux. Les chrétiens perdirent courage à cette vue, et, ne voulant pas continuer un combat qui devenait trop inégal, ils cessèrent de tirer. Alors il parut, sur la poupe du navire d'Alger, un esclave qui se mit à crier en espagnol aux gens du vaisseau (chrétien qu'ils eussent à se rendre pour Alger, s'ils voulaient qu'on leur fit quartier. Après ce (cri, un Turc, qui tenait une banderolle de taffetas vert parsemée de demi-lunes d'argent entrelacées, la fit flotter dans l'air. Les chrétiens, considórant que toute leur résistance ne pouvait être qu'inutile, ne songèrent plus à se défendre; ils se livrèrent à toute la douleur que l'idée de l'esclavage peut causer à des hommes libres, et le maître, craignant qu'un plus long retardement n'irritât des vainqueurs barbares, ôta la banderole de la poupe, se jeta dans l'esquif avec quelques-uns de ses matelots, et alla se rendre au corsaire d'Alger. Ce pirate envoya une partie de ses soldats visiter le bâtiment espagnol, c'est-à-dire per tout ce qu'il y avait dedans. Le corsaire de Tunis, de son côté, donna le même ordre à quelques uns de ses gens; de sorte que tous les passao

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