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LETTRE

DE PIERRE CORNEILLE à M. d'Argenfon, Confeiller du Roi en fon Parlement de Norman-· die, & Intendant de fa Justice en Xaintonge. *

*.

MONSIEUR,

Votre Lettre m'a furpris de deux façons, l'une par les témoignages de votre fouvenir que je n'avois garde d'attendre, fçachant bren que je ne les méritois pas; l'autre par l'honneur que vous faites à nos Muses; je ne dirai pas de leur donner vos loisirs, car je fçai que vous n'en avez point; mais de dérober quelques heures aux grandes affaires qui vous ac-cablent, pour vous délaffer en leur converfation. Trouvez donc bon que je vous remercie très-humblement du premier, & me réjoüiffe infiniment de l'autre. Ce n'eft pas vous que j'en dois congratuler; c'eft le Parnaffe entier, que vous élevez au dernier point de fa gloire, par la dignité des chofes dont vous faites voir

*Cette Letrre fe trouve dans la feconde partie du Teme X. pag. 439. des Mémoires de Litterature & d'Hiftoire, imprimé à Paris en 1730

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qu'il eft capable. Il eft trop vrai que communément la Poëfie ne trouve pas bien fes graces dans les matiéres de dévotion; mais j'avois toujours crû que ce défaut provenoit plûtôt du peu d'application de notre efprit, que de fa propre infuffifance ; & m'étois perfuadé que d'autant plus que les paffions pour Dieu font plus élevées & plus juftes que celles qu'on prend pour les créatures, d'autant plus un efprit qui en feroit bien touché, pourroit faire des pensées plus hardies & plus enflammées en ce genre d'écrire. Je m'étois fortifié dans ce fentiment par la nature de la Poëfie même qui a les paffions pour fon principal objet n'étant pas vraisemblable que l'excellence de leur principe les doive faire languir. Mais qu'on puiffe apprivoifer avec elle la partie la plus fublime & la plus farouche de la Théologie; mettre faint Thomas en rimes, & trouver des termes éloquens & mcfurés, pour exprimer des idées que l'efprit a peine à concevoir que par abftraction, & en captivant ses: fens qui ne le peuvent fouffrir fans répugnance & fans rébellion; c'eft ce que je ne me ferois jamais imaginé faifable, & dont toutefois vous venez me détromper..

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Pour vous en dire mon fentiment en particulier, je vous confeffe que cet échantillons m'a jetté dans une admiration fi haute, que je ne rencontre point de paroles pour m'expliquer là-deffus qui me fatisfaffent. Tout ce que

je vous puis dire fincérement, c'eft que vous me laiffez dans une impatience d'en voir d'autres fragmens, puifque votre peu de loifir nous défend d'en efpérer autre chose. Je m'y promets dec ornemens d'autant plus grands, que vous étant débarraffé dans celui-ci de tout ce qu'il y a de plus épineux dans ce grand deffein, vous allez tomber dans de vaftes campagnes, où la Poëfie étant en pleine liberté, trouve lieu de fe parer de tous fes ornemens, & de nous étaler toutes fes graces. Cependant, pour ce premier chapitre que vous m'avez envoyé, je ne puis que foufcrire à tout ce que vous en aura dit M. de Balzac. Comme il a des connoiffances très-achevées, & une franchise incorruptible, je fçai qu'il vous en aura dit la vérité, & tout enfemble d'excellentes chofes. Il n'appartient qu'à lui de trouver des termes dignes des vertus & des perfections qui font hors du commun. Vous vous pouvez repofer fur fon témoi gnage, qui a été autrefois le plus ferme appui du Cid au milieu de fa perfécution, & dont avec une générosité qui lui eft toute particuliere, il a fait une illuftre Apologie, en faifant des complimens à for perfécuteur. Je n'ajoûterai donc rien à ce que je fçais qu'il vous en a dir, & me défendrai feulement, pour achever cette Lettre, des civilités par où vous commencez la vôtre. Je veux bien croire que Cinna & Polyeucte ont

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été affez heureux pour vous divertir; mais je ne m'abuferai jamais jufqu'à m'imaginer qu'ils ayent pû fervir de quelque modéle où à la force de vos Vers, où à la piété de vos fentimens. J'en rappelle derechef à M. de Bal-zac, je ne doute aucunement qu'il ne foutienne avec moi que le Plan de ce merveil leux Ouvrage eft dreffé par un Génie tout à vous, & qui n'empruntant rien de perfonne fe doit nommer à très-jufte citre αυτοδίδακτος. J'efpérerai que vous m'honorerez non-feulement de ce que vous ajoûterez à ce grand coup d'effai, mais auffi de cette paraphrafe de Jérémie, dont vous vous défiez injuftement, puifque M. de Balzac eft pour elle. Je vous la demande avec paffion, & demeure de tout

mon cœur,

MONSIEUR;

A Rouen ce 18.

Votre très-humble & très-obéiffant Serviteur, CORNEILLE..

de May 1446.

A MONSIEUR

DE BOISROBERT,

ABBE DE CHATILLON..

Q

SUR SES EPITRE S.

Ue tes entretiens font charmans,
Que leur douceur eft infinie !

Que la facilité de ton heureux génie

Fait de honte à l'éclat des plus beaux ornemens!
Leur grace naturelle aura plus d'idolatres,
Que n'en a jamais eu le faft de nos Théatres:
Le temps refpectera tant de naïveté;

Et

pour un feul endroit où tu me donnes place, Tu m'affûres bien mieux de l'immortalité, Que Cinna, Rodogune, & le Cid, & l'Horace.

* Ces Vers font au commencement de la premiere par tie des Epîtres de l'Abbé de Boifrobert, imprimée en 1647. in-4°

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