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les fources où il a puifé: on ne nous apprend que ce qu'il avoit appris lui-même au Public en lui donnant le Cid, Cinna, Pompée. Dans les premieres éditions de fes Tragédies, il fit imprimer les endroits de Guillon de Caftro de Séneque & de Lucain, qu'il avoit copiés. Ces imitations ne font ni la dixième partie de ces Tragédies, ni ce qu'on y admire le plus. Qu'on nous dife d'après qui ce grand Poëte a copié Polyeucte, Rodogune, Heraclius, Nicoméde, Oedipe, Horace, Sertorius: jamais Auteur ne fut plus original, plus fécond, plus varié. Il fied mal aux Admirateurs de Racine, il fied mal à Defpreaux d'attaquer Corneille de ce côté. On lui reproche d'avoir eftimé Lucain, & fur cela on l'accufe d'avoir le goût peu fur, & de juger fottement. (a) Une déci→ fion fi magiftrale & fi noblement exprimée, foutenue encore de tant de traits lancés contre la belle traduction de la Pharfale en Vers François, où Brebeuf eft auffi Lucain que Lucain même, n'empêcheront pas un grand nombre de Connoiffeurs d'admirer dans Lucain & dans fon Traducteur, des penfées brillantes, fans être fauffes, des fentimens géné reux, une expreffion pleine de force, des peintures qui frappent, un vrai fublime.

Forcé d'admirer avec le Public certaines Piéces de Corneille, Boileau pour se dédom mager de cette contrainte, voulut du moins.

Tome I. in-4. P. 344.

b iij

immoler les dernieres à Racine fon idole. Qu'on fe garde de juger de l'Attila de Corneille par une Epigramme affez fade du Poëte Satyrique,& par une note où le Commentateur a prononcé que la décadence de l'efprit de Corneille fe fait fentir dans cette Piéce. Qu'on la life, on y reconnoîtra l'Auteur d'Héraclius & de Nicomede; on y reconnoîtra le feroce Attila, on y admirera cette force de politique & de raifonnement qui diftingue toujours Corneille; on y trouvera des caracteres nouveaux, grands, foutenus; le déclin de l'Empire Romain, les commencemens de l'Empire François, peints d'une grande maniere, & mis en contrafte; une intrigue conduite avec art, des fituations intéreffantes des Vers auffi heureux & plus travaillés que, dans les plus belles Piéces de Corneille; on apprendrà enfin à fe défier de la Critique de Boileau. L'Agefilas enveloppé dans la même Epigramme n'eft pas comparable aux chefd'œuvres de Corneille, ni même à fon Attila: mais c'eft fe jouer du Public que de traiter de pièce miférable une Tragédie où parmi des perfonnages d'un caractere fingulier Agefilas & Lyfander paroiffent tels que l'Hiftoire nous les fait connoître ; une Piece dont le dénouement eft un effort héroïque d'Agefilas, qui triomphe en même-temps de l'amour & de la vengeance: une Piéce où l'on

Tonic I. p. 102.

,

retrouve le grand Corneille en plus d'un endroit. J'en tranferirai un feul : c'eft Agefilas qui parle :

Il est beau de triompher de foi,

Quand on peut hautement donner à tous la loi;
Et que le jufte foin de combler notre gloire,
Demande notre cœur pour derniere victoire:
Un Roi né pour l'éclat des grandes actions,
Dompte jufqu'à fes paffions;

Et ne fe croit point Roi, s'il ne fait fur lui-même
Le plus illuftre effai de fon pouvoir fuprême.

Pour obfcurcir la réputation de Corneille on a voulu décrier non-feulement fon efprit, mais auffi fon cœur ; je me repofe fur le Public du choix de l'Epithéte qui convient à ce procédé.

Le Poëte Satyrique & fon Commentateur parlent de Corneille comme d'un homme intéreílé, moins avide de gloire que de gain. Corneille, qu'on fçait avoir porté l'indifference pour l'argent jufqu'à une infenfibilité blamable, qui n'a jamais tiré de fes Piéces que ce que les Comédiens lui donnoient fans compter avec eux; qui laiffa paffer un an fans remercier Monfieur Colbert du rétabliffement Tome I. p. 346.

de fa penfion; qui a vécu fans dépenfe, & mourut fans biens; Corneille, qui a eu le cœur auffi grand que l'efprit, les fentimens auffi nobles que les idées. Defprcaux a, fi on en croit fon Commentateur, réparé fes critiques indifcrettes par un beau trait de générofité envers Corneille; il fit rétablir fa penfion, qu'on avoit fupprimée. Ce fait, alTegué déja dans la vie de Monfieur Defpreaux, avoit été convaincu de faux dans nos mémoires; on se flatte ici de le rétablir, en changeant les circonftances. Ce n'eft plus après la mort de Monfieur Fouquet; ce n'eft plus par Monfieur Colbert, que la penfion a été fupprimée; c'eft, dit le Commentateur après la mort de Monfieur Colbert, par Monfieur de Louvoy. En vain réforme-t'on la Fable, on ne peut en faire une vérité à une fiction groffiere, on en fubftitue une mieux concertée, mais c'est toujours une fiction. La penfion de Corneille ne fut point retranchée par Monfieur de Louvov après la mort de Monfieur Colbert: on défie de donner la moindre preuve de ce fait. Ainfi Monfieur Boileau n'a pas été dans l'occafion de jouer le Rôle généreux qu'on lui attribuë de courir chez Madame de Montefpan, de parler au Roi avec chaleur. Pour les deux cent Louis envoyés par le Roi au grand Corneille peu de jours avant fa mort; le fait eft vrai, le Roi fçut du Pére de la Chaise

que l'argent manquoit à cet illuftre malade, fort éloigné de théfaurifer, & Sa Majesté lui envoya deux cent Louis. Je ne nie pas qu'ils: ayent pû être portés par Monfieur de la Chapelle, parent de Monfieur Boileau & homme illuftre. Le refte de la Fable eft mal imaginé; Monfieur Defpreaux ne put employer le credit de Madame de Montefpan qui n'en avoit aucun depuis quelques années. Defpreaux n'a donc point eu de part à cette libéralité de Louis le Grand, & on lui fait un faux honneur de cette interceffion; on lui fait un faux honneur du rétablissement de la penfion de Corneille. Quand la penfion fut fupprimée après la difgrace de Monfieur Fouquet; Boileau renfermé dans la Cour du Palais ne paroiffoit pas à Verfailles; Monfieur Colbert plus Mécéne que le Favori d'Augufte ne tarda pas à la rétablir; Corneille (comme je l'ai dit) laiffa paffer un an fans deman der le brevet & fans remercier, je le fçai de l'Abbé Gallois, à qui le Miniftre en avoit fait des reproches & qui conduifit Corneille à l'Hôtel Colbert. La penfion n'a pas été fupprimée après la mort de Monfieur Colbert; Monfieur l'Abbé de Louvoy jaloux de la gloire de Monfieur fon pére tira du Tréfor Royal des preuves qu'elle avoit été exactement payée.

Il eft néceffaire de prévenir le Public fur d'autres malignes impreffions que le Com

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