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richard; il lui faut un meilleur parti 3 vous n'êtes point assez estropié pour être mon gendre, j'en veux un qui soit dans un état à faire pitié aux usuriers. Et ne suis-je pas, dit le soldat, dans une assez déplorable situation? Fi donc a reparti l'autre brusquement, vous n'êtes que manchot, et vous osez prétendre à ma fille! Savez-vous bien que je l'ai refusée à un cul-de-jatte?

J'aurais tort, continua le diable, de passer la maison qui joint l'hôtel de la comtesse, et où demeurent un vieux peintre ivrogne et un poète caustique Le peintre est sorti de chez lui ce matin à sept heures dans le dessein d'aller chercher un confesseur pour sa femme, malade à l'extrémité; mais il a rencontré un de ses amis, qui l'a entraîné au cabaret, et il n'est revenu au logis qu'à dix heures du soir. Le goète, qui a la réputation d'avoir eu quelquetois de tristes salaires pour ses vers mordans, disait tantôt d'un air fanfaron dans un café en parlant d'un homme qui n'y était pas : C'est un faquin à qui je veux donner cent coups de baton. Vous pouvez, a dit un railleur, les lui donner facilement; car vous êtes bien en fonds.

Je ne dois pas oublier une scène qui s'est passée aujourd'hui chez un banquier de cette rue, nouvellement établi dans cette ville il n'y a pas trois mois qu'il est revenu du Pérou avec de grandes richesses. Son père est un honnète zapareto (1) de Viejo de Mediona, gros village de la Castille vicille, auprès des mon(1) Savetier,

tagnes de Sierra d'Avila, où il vit très content de son état, avec une femme, de son âge, à dire de soixante ans.

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Il y avait un temps considérable que leur fils était sorti de chez eux pour aller aux Indes chercher une meilleure fortune que celle qu'ils lui pouvaient faire. Plus de vingt années s'étaient écoulées depuis qu'i's ne l'avaient vu. Ils parlaient souvent de lui; ils príaient le ciel tous les jours de ne le point abandonner, et ils ne manquaient pas, tous les dimanches, de le faire recommander au prône par le curé, qui était de leurs amis Le banquier de son côté me les mettait point en oubli. D'abord qu'il eut fixé son établissement il résolut de s'informer par lui-même de la situation où ils pouvaient etre. Pour cet effet, après avoir dit à ses domestiques de n'être pas en peine de lui, il partit iby à quinze jours, à cheval, sans que personne l'accompagnât, et se rendit au lieu de sa naissance.

Il était enváron dix heures du soir, et le bon savetier dormaît auprès de son épouse lorsqu ils se reveillèrent en sursaut au bruit que fit le banquier en frappant à la porte de leur petite maison. Ils demanderent qui frappait. Ouvrez, ouvrez, leur dit-il, c'est votre fils Francillo. A d'autres, répondit le bonhomme: passez votre chemin, voleurs; il n'y a rien à faire ici pour vous; Francillo est présentement aux Indes s'il n'est pas mort. Votre fils n'est plus aux Indes, répliqua le banquier; il est revena da Pérou c'est lui qui vous parle; ne

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lui refusez pas l'entrée de votre maison. Levons-nous, Jacques, dit alors la femme; je crois effectivement que c'est Francillo, il me semble le reconnaître à sa voix.

Ils se levèrent aussitôt tous deux : le père allume une chandelle, et la inère, après s'être habillée à la hâte, alla ouvrir la porte elle envisagea Francillo; et ne pouvant le méconnaître elle se jette à son cou, et le serre étroitement entre ses bras. Maitre Jacques, agité des mêmes mouvemens que sa femme, embrasse à son tour son fils; et ces trois personnes, charmées de se voir réunies après une si longue absence, ne peuvent se rassasier du plaisir de s'en donner des marques.

Après des transports si doux le banquier débrida son cheval, et le mit dans une étable où gitait une vache, mère nourrice de la maison; ens ite il rendit compte à ses parens de son voyage, et des biens qu'ils avait apportés du Pérou. Le détail fut un peu long et aurait pu ennuyer des auditeurs désintéressés; mais un fils qui s'épanche en racontant ses aventures ne saurait lasser l'attention d'un pere et d'une mêre il n'y a pas pour eux de circonstances indifferentes; ils l'écoutaient avec avidité, et les moindres choses qu'il disait faisaient sur eux une vive impression de douleur ou de joie.

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Dès qu'il eut achevé sa relation il leur dit qu'il venait leur offrir une partie de ses biens, et il pria son père de ne plus travailler. Non mon fils, lui dit maître Jacques, j'aime mon

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métier; je ne le quitterai point. Quoi donc! répliqua le banquier, n'est-il pas temps que vous vous reposiez? Je ne vous propose point de venir demeurer à Madrid avec moi; je sais bien que le séjour de la ville n'aurait pas de charmes pour vous je ne prétends pas troubler votre vie tranquille; mais du moins épargnez-vous un travail pénible, et vivez ici commodément, puisque vous le pouvez.

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La mère appuya le sentiment du fils, et maître Jacques se rendit. Eh bien, Francillo, dit-il, pour te satisfaire je ne travaillerai plus pour tous les habitans du village; je raccommoderai seulement mes souliers, et ceux de monsieur le curé, notre bon ami. Après cette convention le banquier avala deux œufs frais qu'on lui fit cuire, puis se coucha près de son père, et s endormit avec un plaisir que les enfans d'un excellent naturel sont seuls capables de s'imaginer.

Le lendemain matin Francillo leur laissa une bourse de trois cents pistoles, et revint à Madrid. Mais il a été bien étonné ce matin de voir tout à coup paraître chez lui maître Jacques. Quel sujet vous amène ici, mon père? lui a-t-il dit. Mon fils, a répondu le vieillard, je te rapporte ta bourse reprends ton argent je veux vivre de mon métier: je meurs d'ennui depuis que je ne travaille plus. Eh bien, mon père, a répliqué Francillo, retournez au village; continuez d'exercer votre profession; mais que ce soit seulement pour vous désennuyer. Remportez votre bourse et n'épargnez pas la mienne. Et que veux-tu que je fasse de tant d'argent? a re

pris maitre Jacques, Soulagez-en les pauvres, a reparti le banquier, faites-en l'usage que votre curé vous conseillera. Le savetier, content de cette réponse, s'en est retourné à Mediana.

Don Cléophas n'écouta pas sans plaisir l'histoire de Francillo, et il allait donner toutes les louanges dues au bon cœur de ce banquier si dans ce moment même des cris perçans n'eussent attiré son attention. Seigneur Asmodée, s'écria-t-il, quel bruit éclatant se fait entendre? Ces cris qui frappent les airs, répondit le diable, partent d'une maison où il y a des fous enfermés ils s'égosillent à force de crier et de chanter. Nous ne sommes pas bien éloignés de cette maison; allons voir ces fous tout à l'heure, répliqua Leandro. J'y consens, repartit le démon: je vais vous donner ce divertissement, et vous apprendre pourquoi ils ont perdu la raison. Il n'eut pas achevé ces paroles qu'il emporta l'écolier sur la casa de los locos.

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CHAPITRE IX.

Des fous enfermés.

Zambullo parcourut d'un air curieux toutes les loges; et après qu'il eut observé les folles et les fous qu'elles renfermaient le diable lui dit : Vous en voyez de toutes les façons; en voilà de l'un et de l'autre sexe; en voilà de tristes et de gaies, de jeunes et de vieux: il faut à présent que je vous dise pourquoi la tête leur a tourné ;

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