côté n'était pas sans défiance; et jugeant que son maître, après s'être défait de don Kimen, pourrait bien le sacrifier aussi à sa sûreté, conçut le dessein de se sauver une belle nuit avec tout ce qu'il y avait dans la maison de plus facile à emporter. Voilà ce que ces deux honnêtes gens méditaient chacun en son particulier forsqu'un jour ils furent surpris l'un et l'autre à cent pas du château par quinze ou vingt archers de la Sainte-Hermandad, qui les environnèrent tout à coup en criant: De par le roi et la justice. A cette vue don Guillem pålit et se troubla; néanmoins faisant bonne contenance il demanda au commandant à qui il en voulait. A vous-même, lui répondit l'officier on vous accuse d'avoir enlevé don Kimen de Lizana; je suis chargé de faire dans ce château une exacte recherche de ce cavalier, et de m'assurer même de votre personne. Stephani par cette réponse, persuadé qu'il était perdu, devint furieux; il tira de ses poches deux pistolets, dit qu'il ne souffrirait point qu'on visitat sa maison, et qu'il allait casser la tête au commandant s'il ne se retirait promptement avec sa troupe. Le chef de la sainte confrérie, méprisant la menace, s'avança sur le Sicilien, qui lui lâcha un coup de pistolet et le blessa au visage; mais cette blessure coûta bientôt la vie au téméraire qui l'avait faite; car deux ou trois archers firent feu sur lui dans le moment, et le jetèrent par terre raide mort, pour venger leur officier. A l'égard de Julio, il se laissa prendre sans ré sistance; et il ne fut pas besoin de l'interroger pour savoir de lui si don Kimen était dans le château ce valet avoua tout, mais voyant son maître sans vie il le chargea de toute l'iniquité. Enfin il mena le commandant et ses archers à la cave, où ils trouvèrent Lizana couché sur la paille, bien lié et garrotté. Ce malheureux cavalier, qui vivait dans une attente continuelle de la mort, crut que tant de gens armés n'entraient dans sa prison que pour le faire mourir; et il fut agréablement surpris d'apprendre que ceux qu'il prenait pour ses bourréaux étaient ses liberateurs. Après qu'ils l'eurent délié et tiré de la cave il les remercia de sa délivrance, et leur demanda comment ils avaient su qu'il était prisonnier dans ce château. C'est, lui dit le commandant, ce que je vais vous conter en peu de mots. La nuit de votre enlèvement, poursuivit-il, un de vos ravisseurs, qui avait une amie à deux pas de chez don Guillem, étant allé lui dire adieu avant son départ pour la campagne, eut l'indiscrétion de lui révéler le projet de Stephani. Cette femme garda le secret pendant deux ou trois jours; mais comme le bruit de l'incendie arrivé à Miedes se répandit dans la ville de Seguença, et qu'il parut étrange à tout le monde que les domestiques du Sicilien eussent tous péri dans ce malheur, elle se mit dans l'esprit que cet embrasement devait être l'ouvrage de don Guillem. Ainsi pour venger son amant elle alla trouver le seigneur don Félix, votre père, et lui dit tout ce qu'elle sa vait. Don Felix, effrayé de vous voir à la merci d'un homme capable de tout, mena la femme chez le corregidor, qui après l'avoir écoutée ne douta point que Stephani n'eût envie de vous faire souffrir de longs et cruels tourmens et ne fût le diabolique auteur de l'incendie; ce que voulant approfondir, ce juge m'a ce matin envoyé ordre à Retortillo, où je fais ma demeure, de monter à cheval et de me rendre avec ma brigade à ce château, de vous y chercher, et de prendre don Guillem mort ou vif. Je me suis heureusement acquitté de ma commission pour ce qui vous regarde; mais je šuis faché de ne pouvoir conduire à Siguença le coupable vivant. Il nous a mis par sa résistance dans la nécessité de le tuer. L'officier, ayant parlé de cette sorte, dit don Kimen: Seigneur cavalier, je vais dresser un procès-verbal de tout ce qui vient de se passer ici, après quoi nous partirons pour satisfaire l'impatience que vous devez avoir de tirer votre famille de l'inquiétude que vous lui causez. Attendez, seigneur commandant, s'écria Julio dans cet endroit; je vais vous fournir une nouvelle matière pour grossir votre procèsverbal : vous avez encore une autre personne prisonnière à mettre en liberté. Dona Emerenciana est enfermée dans une chambre obscure, où une duègne impitoyabie lui tient sans cesse des discours mortifians, et ne la laisse pas un moment en repos. O ciel! dit Lizana, le cruel Stephani ne s'est donc pas contenté d'exercer sur moi sa barbarie: allons promptement déli vrer cette dame infortunée de la tyrannie de sa gouvernante. Là-dessus Julio mena le commandant et don Kimen, suivis de cinq ou six archers, à la chambre qui servait de prison à la fille de don Guillem ils frappèrent à la porte, et la duègne vint ouvrir. Vous concevez bien le plaisir que Lizana se faisait de revoir sa maîtresse après avoir désespéré de la posséder. Il sentait renaitre son espérance, ou plutôt il ne pouvait douter de son bonheur, puisque la seule personne qui était en droit de s'y opposer ne vivait plus, Dès qu'il aperçut Emerenciana il couru se jeter à ses pieds: mais qui pourrait assez exprimer la douleur dont il fut saisi lorsqu'au lieu de trouver son amante disposée à répondre à ses transports il ne vit qu'une dame hors de son bon sens? En effet elle avait tant été tourmentée par la duègne qu'elle en était devenue folle, Elle demeura quelque temps rêveuse; puis, s'imaginant tout à coup être la belle Angélique assiégée par les Tartares dans la forteresse d'Albraque, elle regarda tous les hommes qui étaient dans sa chambre comme autant de paladins qui venaient à son secours. Elle prit le chef de la sainte confrérie pour Roland, Lizana pour Brandimar, Julio pour Hubert du Lion et les archers pour Antifort, Clarion, Adrien et les deux fils du marquis Olivier. Elle les reçut avec beaucoup de politesse, et leur dit : Braves chevaliers, je ne crains plus à l'heure qu il est l'empereur Agrican ni la reine Marphise; votre va leur est capable de me défendre contre tous les guerriers de l'univers. A ce discours extravagant l'officier et ses archers ne purent s'empêcher de rire. Il n'en fat pas de même de don Kimen: vivement affligé de voir sa dame dans une si triste situation pour l'amour de lui, il pensa perdre à son tour le jugement; il ne laissa pas toutefois de se flatter qu'elle reprendrait l'usage de sa raison ; et dans cette espérance, Machère Emerenciana, lui dit-il tendrement, reconnaissez Lizana: rappelez votre esprit égaré; apprenez que nos malheurs sont finis le ciel ne veut pas que deux cœurs qu'il a joints soient séparés; et le père inhumain qui nous a si maltraités ne peut plus nous être contraire. La réponse que fit à ces paroles la fille du roi Galafron fut encore un discours adressé aux vaillans défenseurs d'Albraque, qui pour le coup n'en rirent point. Le commandant même, quoique très peu pitoyable de son naturel, sentit quelques mouvemens de compassion, et dit à don Kimen, qu'il voyait acc blé de douleur: Seigneur cavalier, ne désespérez point de la guérison de votre dame; vous avez à Siguença des docteurs en médecine qui pourront en venir à bout par leurs remèdes: mais ne nous arrêtons pas ici plus long-temps. Vous, seigneur Hubert du Lion, ajouta-t-il en parlant à Julio, vous qui savez où sont les écuries de ce chateau, menez y avec vous Antifort et les deux fils du marquis Olivier: choisissez les meilleurs coursiers et les |