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plus en lui qu'un homme qui méritait sa piété, Ah! Mendoce, lui répondit-elle emportée par un transport généreux, souffrez que l'on panse votre blessure; elle n'est peut-être pas plus considérable que celle de votre ami. Prêtez-vous au soin que l'on veut avoir de vos jours: vivez; si je ne puis vous rendre heureux, du moins je ne ferai pas le bonheur d'un autre. Par compassion et par amitié pour vous je retiendrai la main que je voulais donner à don Juan; je vous fais le même sacrifice qu'il vous a fait.

Don Fadrique allait répliquer; mais le chirurgien, qui craignait qu'en parlant il n'irritât son mal, l'obligea de se taire et visita sa plaie. Elle lui parut mortelle, attendu que l'épée avait pénétré dans la partie supérieure du poumon; ce qu'il jugeait par une hémorrhagie ou perte de sang dont la suite était à craindre. D'abord qu'il eut mis le premier appareil il laissa reposer les cavaliers dans la chambre de poupe, sur deux petits lits l'un auprès de l'autre, et emmena ailleurs Theodora, dont il jugea que la présence pouvait être nuisible.

Malgré toutes ces précautions la fièvre prità Mendoce, et sur la fin de la journée l'hémorrhagie augmenta. Le chirurgien lui déclara alors que le mal était sans remède, et l'avertit que s'il avait quelque chose à dire à son ami ou à dona Theodora il n'avait point de temps à perdre.. Cette nouvelle causa une étrange émotion au Tolédan: pour don Fadrique il la reçut avec in-différence. Il fit appeler la veuve de Cifuentes,,

qui se rendit auprès de lui dans un état plus aisé à concevoir qu'à représenter.

Elle avait le visage couvert de pleurs, et elle sanglotait avec tant de violence que Mendoce en fut agité: Madame, lui dit-il, je ne vaux pas ces précieuses larmes que vous répandez; arrêtez-les de grâce pour m'écouter un moment. Je vous fais la même prière, mon cher Zarate, ajouta-t-il en remarquant la vive douleur que son ami faisait éclater; je sais bien que cette séparation vous doit être rude; votre amitié m'est trop connue pour en douter mais attendez l'un et l'autre que ma mort soit arrivée pour l'honorer de tant de marques de tendresse et de pitié.

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Suspendez jusque là votre affliction; je la sens plus que la perte de ma vie. Apprenez par quels chemins le sort qui me poursuit a su cette nuit me conduire sur le fatal rivage que j'ai teint du sang de mon ami et du mien. Vous devez être en peine de savoir comment j'ai pu prendre don Juan pour don Alvaro : je vais vous en instruire si le peu de temps qui me reste encore à vivre me permet de vous donner ce triste éclaircissement.

Quelques heures après que le vaisseau où j'étais eut quitté celui où j'avais laissé don Juan, nous rencontrâmes un corsaire français, qui nous attaqua: il se rendit maître du vaisseau de Tunis, et nous mit à terre auprès d'Alicante. Je ne fus pas sitôt libre que je songeai à racheter mon ami. Pour cet effet je me rendis à Valence, où je fis de l'argent comptant; et sur l'avis qu'on me donna qu'à Barcelone. il y avait des frères de la

rédemption qui se préparaient à faire voile vers Alger, je m'y rendis; mais avant que de sortir de Valence je priai le gouverneur don Francisco de Mendoce, mon oncle, d'employer tout le crédit qu'il peut avoir à la cour d'Espagne pour obtenir la grâce de Zarate, que j'avais dessein de ramener avec moi et de faire rentrer dans ses biens, qui ont été confisqués depuis la mort du duc de Naxera.

Sitôt que nous fùmes arrivés à Alger j'allai dans les lieux que fréquentent les esclaves; mais j'avais beau les parcourir tous, je n'y trouvais point ce que je cherchais. Je rencontrai le renégat catalan à qui ce navire appartient : je le reconnus pour un homme qui avait autrefois servi mon oncle. Je lui dis le motif de mon voyage, et le priai de vouloir faire une exacte recherche de mon ami. Je suis faché, me répondit-il, de ne pouvoir vous être utile: je dois partir d'Alger cette nuit avec une dame de Valence, qui est esclave du dey. Et comment appelez-vous cette dame? lui dis-je. Il repartit qu'elle se nommait Theodora.

La surprise que je fis paraître à cette nouvelle apprit par avance au renégat que je m'intéressais pour cette dame. Il me découvrit le dessein qu'il avait formé pour la tirer de l'esclavage; et comme dans son récit il fit mention de l'esclave Alvaro, je ne doutai point que ce ne fût Alvaro Ponce lui-même. Servez mon ressentiment, dis-je avec transport au renégat: donnezmoi le moyen de me venger de mon ennemi. Vous serez bientôt satisfait, me répondit-il;

mais comptez-moi auparavant le sujet que vous avez de vous plaindre de cet Alvaro. Je lui appris toute notre histoire, et lorsqu'il l'eut entendue, C'est assez, reprit-il, vous n'aurez cette nuit qu'à m'accompagner on vous montrera votre rival, et après que vous l'aurez puni vous prendrez sa place et viendrez avec nous à Valence conduire dona Theodora.

Néanmoins mon impatience ne me fit point oublier don Juan : je laissai de l'argent pour sa rançon entre les mains d'un marchand italien nommé Francisco Capati, qui réside à Alger, et qui me promit de le racheter s'il venait à le découvrir. Enfin la nuit arriva, je me rendis chez le renégat, qui me mena sur le bord de la mer. Nous nous arretames devant une petite porte, d'où sortit un homme qui vint droit à nous et qui nous dit en nous montrant du doigt un homme et une femme qui marchaient sur ses pas, Voilà Alvaro et dona Theodora qui me suivent.

A cette vue je deviens furieux, je mets l'épée à la main, je cours au malheureux Alvaro; et, persuadé que c'est un rival odieux que je vais frapper, je perce cet ami fidèle que j'étais venu chercher. Mais, grâce au ciel, mon erreur ne lui coûtera pas la vie ni d'éternelles larmes à dona Theodora.

Ah! Mendoce, interrompit la dame, vous faites injure à mon affliction je ne me consolerai jamais de vous avoir perdu: quand même j'épouserais votre ami, ce ne serait que pour unir nos douleurs; votre amour, votre amitié, vos infortunes feraient tout notre entretien. C'en est

trop, madame, répliqua don Fadrique; je ne mérite pas que vous me regrettiez si long-temps: souffrez, je vous en conjure, que Zarate vous épouse après qu'il vous aura vengée d'Alvaro Ponce. Don Alvaro n'est plus, dit la veuve de Cifuentes le même jour qu'il m'enleva il fut tué par le corsaire qui me prit.

Madame, reprit Mendoce, cette nouvelle me fait plaisir; mon ami en sera plus tôt heureux : suivez sans contrainte votre penchant l'un et l'autre. Je vois wec joie approcher le moment qui va lever l'obstacle que votre compassion et sa générosité mettent à votre commun bonheur : puissent tous vos jours couler dans un profond repos, dans une union que la jalousie de la fortune n'ose troubler! Adieu, madame, adieu don Juan: souvenez-vous quelquefois tous deux d'un homme qui n'a rien tant aimé que vous.

Comme la dame et le Tolédan, au lieu de lui répondre, redoublaient leurs pleurs, don Fadrique, qui s'en aperçut, et qui se sentait très mal, poursuivit ainsi : Je me laisse trop attendrir; déjà la mort m'environne, et je ne songe pas à supplier la bonté divine de me pardonner d'avoir moi-même borné le cours d'une vie dont elle seule pouvait disposer. Après avoir achevé ces paroles il leva les yeux au ciel avec toutes les apparences d'un véritable repentir, et bientôt l'hémorrhagie causa une suffocation qui l'emporta.

Alors don Juan, possédé de son désespoir, porte la main sur sa plaie; il arrache l'appareil, il veut la rendre incurable; mais Francisque et

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