: nua le démon: la mort vient d'entrer dans ce bel hôtel à main gauche; il va s'y passer la plus triste scène que l'on puisse voir sur le théâtre du monde arrêtez vos yeux sur ce déplorable spectacle. Effectivement, dit don Cleophas, j'aperçois une dame qui s'arrache les cheveux, et se débat entre les bras de ses femmes. Pourquoi paraît-elle si affligée? Regardez dans l'appartement qui est vis-à-vis de celui-là, répondit le diable, vous en découvrirez la cause. Remarquez un homme étendu sur un lit magnifique c'est son mari qui expire; elle est inconsolable. Leur histoire est touchante, et mériterait d'être écrite : il me prend envie de vous la conter. Vous me ferez plaisir, répliqua Leandro, le pitoyable ne m'attendrit pas moins que le ridicule me réjouit. Elle est un peu longue, reprit Asmodée; mais elle est trop intéressante pour vous ennuyer. D'ailleurs, je vous l'avouerai, tout démon que je suis, je me lasse de suivre la mort; laissons-la chercher de nouvelles victimes. Je le veux bien, dit Zambullo, je suis plus curieux d'entendre l'histoire dont vous me faites fête que de voir périr tous les humains l'un après l'autre. Alors le boiteux en commença le récit en ces termes, après avoir transporté l'écolier sur une des plus hautes maisons de la rue d'Alcala. Un jeune cavalier de Tolède, suivi de son valet de chambre, s'éloignait à grandes journées du lieu de sa naissance pour éviter les suites d'une tragique aventure. Il était à deux petites lieues de la ville de Valence lorsqu'à l'entrée d'un bois il rencontra une dame qui descendait d'un carrosse avec précipitation: aucun voile ne couvrait son visage, qui était d'une éclatante beauté; et cette charmante personne paraissait si troublée que le cavalier, jugeant qu'elle avait besoin de secours, manqua pas de lui offrir celui de sa valeur. ne Généreux inconnu, lui dit la dame, je ne refuserai point l'offre que vous me faites: il semble que le ciel vous ait envoyé ici pour détourner le malheur que je crains. Deux cavaliers se sont donné rendez-vous dans ce bois; je viens de les y voir entrer tout à l'heure; ils vont se battre; suivez-moi, s'il vous plaît; venez m'aider à les séparer. En achevant ces mots elle s'avança dans le bois; et le Tolédan, après avoir laissé son cheval à son valet, se hâta de la joindre. A peine eurent-ils fait cent pas qu'ils enten dirent un bruit d'épées, et bientôt ils découvrirent entre les arbres deux hommes qui se battaient avec fureur. Le Tolédan courut à eux pour les séparer, et, en étant venu à bout par ses prières et par ses efforts, il leur demanda le sujet de leur différend. Brave inconnu, lui dit un des deux cavaliers, je m'appelle don Fadrique de Mendoce, et mon ennemi se nomme don Alvaro Ponce. Nous aimons dona Théodora, cette dame que vous accompagnez: elle a toujours fait peu d'attention à nos soins, et quelques galanteries que nous ayons pu imaginer pour lui plaire la cruelle ne nous en a pas mieux traités. Pour moi j'avais dessein de continuer à la servir malgré son indifférence; mais non rival, au lieu de prendre le même parti, s'est avisé de me faire un appel. Il est vrai, interrompit don Alvaro, que j'ai jugé à propos d'en user ainsi : je crois que, si je n'avais point de rival, dona Théodora pourrait m'écouter; je veux donc tâcher d'ôter la vie à don Fadrique, pour me défaire d'un homme qui s'oppose à mon bonheur. Seigneur cavalier, dit alors le Tolédan, je n'approuve point votre combat; il offense dona Théodora on saura bientôt dans le royaume de Valence que vous vous serez battus pour elle, l'honneur de votre dame vous doit être plus cher que votre repos et votre vie. D'ailleurs quel fruit le vainqueur peut-il attendre de sa victoire? Après avoir exposé la réputa tion de sa maîtresse, pense-t-il qu'elle le verra 1 d'un œil plus favorable? quel aveuglement ! Croyez moi, faites plutôt sur vous l'un et l'autre un effort plus digne des noms que vous portez rendez-vous maîtres de vos transports furieux, et par un serment inviolable engagez-vous tous deux à souscrire à l'accommodement que j'ai à vous proposer; votre querelle peut se terminer sans qu'il en coûte de sang. Et de quelle manière? s'écria don Alvaro. Il faut que cette dame se déclare, répliqua le Tolédan, qu'elle fasse choix de don Fadrique ou de vous, et que l'amant sacrifié, loin de s'armer contre son rival, lui laisse le champ libre. J'y consens, dit don Alvaro, et j'en jure par tout ce qu'il y a de plus sacré que dona Theodora se détermine, qu'elle me préfère si elle veut mon rival, cette préférence me sera moins insupportable que l'affreuse incertitude où je suis. Et moi, dit à son tour don Fadrique, j'en atteste le ciel: si ce divin objet que j'adore ne prononce point en ma faveur, je vais m'éloigner de ses charmes, et si je ne puis les oublier, du moins je ne les verrai plus. Alors le Tolédan se tournant vers dona Theodora, Madame, lui dit-il, c'est à vous de parler: vous pouvez d'un seul mot désarmer ces deux rivaux; vous n'avez qu'à nommer celui dont vous voulez récompenser la constance. Seigneur cavalier, répondit la dame, cherchez un autre tempérament pour les accorder. Pourquoi me rendre la victime de leur accommodement? J'estime, à la vérité, don Fadrique et don Alvaro, mais je ne les aime point; et il n'est pas juste que pour prévenir l'atteinte que leur combat pourrait porter à ma gloire je donne des espérances que mon cœur ne saurait avouer. La feinte n'est plus de saison, madame, reprit le Tolédan; il faut, s'il vous plaît, vous déclarer. Quoique ces deux cavaliers soient également bien faits, je suis assuré que vous avez plus d'inclination pour l'un que pour l'autre je m'en fie à la frayeur mortelle dont je vous ai vue agitée. Vous expliquez mal cette frayeur, repartit dona Theodora : la perte de l'un ou de l'autre de ces cavaliers me toucherait sans doute, et je me la reprocherais sans cesse, quoique je n'en fusse que la cause innocente; mais si je vous ai paru alarmée, sachez que le péril qui menace ma réputation a fait toute ma crainte. Don Alvaro Ponce, qui était naturellement brutal, perdit enfin patience: C'en est trop, dit-il d'un ton brusque; puisque madame refuse de terminer la chose à l'amiable, le sort des armes en va donc décider. Et, parlant de cette sorte, il se mit en devoir de pousser don Fadrique, qui de son côté se disposa à le bien recevoir. Alors la dame, plus effrayée par cette action déterminée que par son penchant, s'écria tout éperdue: Arrêtez, seigneurs cavaliers; je vais vous satisfaire. S'il n'y a pas d'autre moyen d'empêcher un combat qui intéresse mon honneur, je déclare que c'est à don Fadrique de Mendoce que je donne la préférence. Elle n'eut pas achevé ces paroles que le dis |