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C. S. nu, Vous avez, mon Pere, dit-il a CURION. Moine, attribué à Luther de terribles chofes ; mais en quel endroit les dit-il ? pouvez-vous me marquer le Livre où il ait enfeigné une telle doctrine? Celui-ci lui répondit qu'il ne pouvoit le lui marquer fur l'heure; mais qu'il n'avoit qu'à venir avec lui à Turin, & qu'il les lui feroit voir, avec d'autres encore plus mauvaifes. Et moi, dit Curion, je m'en vais vous faire voir le Livre l'endroit, où bien loin de dire ce que vous lui attribués, il enfeigne précifément le contraire. Là-deffus il tira de fa poche le Commentaire de Luther fur l'Epître aux Galates, & lut devant le peuple quelques endroits qui contredifoient les difcours du

Moine.

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Cette lecture fouleva alors tout le monde contre cet ignorant, qui s'étoit mêlé de parler de ce qu'il ne fçavoit pas, & caufa une émeute parmi la populace, qui s'étant jettée sur lui le chargea de coups, & l'auroit affommé, fans le Curé, qui lui facilita les moyens de fe fauver à Turin.

Il n'y fut pas plûtôt arrivé, qu'il porta fes plaintes à l'Inquifiteur, &

P'Evêque. Celui-ci envoya fur le C. S champ arrêter Curion, & on com- CURION.j mença à lui faire fon procès. On rap→ pella l'enlevement des Reliques de l'Abbaye de S. Benigne, & le deffein qu'il avoit eu de fe retirer en Allema gne, & il fembloit que rien ne pouvoit le fouftraire aux peines les plus rigoureufes. Cependant l'Evêque fcachant que les principaux de la Ville étoient portés pour lui, ne voulut point fe rendre refponfable de l'évenement, & alla à Rome dans le deffein d'en parler au Pape, afin de ne paroître agir en tout cela que par fes ordres.

Pendant fon abfence, celui qu'il avoit chargé de la garde de Curion voulant le mettre plus fûrement, & dans un lieu qui fut ignoré de tout le monde, le fit transporter de nuit dans une maifon particuliere, où il fut enfermé dans une chambre avec les fers aux pieds, & gardé à vûë.

Le lendemain Curion reconnut qu'il avoit demeuré dans fon enfance, dans la même maifon, & dans la la même chambre où il étoit; & cetcirconftance lui fit efperer qu'il

C. S. pourroit trouver les moyens de fe CURION fauver. Les fers dont il étoit chargé y étoient un obftacle, & il fallut le lever. Comme fes pieds s'enfloient confiderablement, il pria fes gardes de lui en laiffer un libre, afin qu'ils puffent fe défenfler l'un après l'au tre. L'ayant obtenu il fe forma une fauffe jambe, qu'il garnit de bas & de fouliers, & lorfqu'on vint pour lui tranfporter les fers d'un pied à un autre, il eut l'adreffe de les faire mettre à cette fauffe jambe. Se trouvant par-là entierement libre, il attendit la nuit que fes gardes fuffent endormis profondément. Il ouvrit alors la porte de la chambre & fauta par une fenêtre affez baffe dans la ruë. Ses gardes s'étant apperçus le lendemain de fon-évafion, publierent partout qu'elle s'étoit faite par magie; mais Curion découvrit la verité dans un Dialogue qu'il publia fous le titre de Probus.

Il ne fut plus alors question de fonger à la fucceffion paternelle, mais de s'écarter de ces lieux où il ne fai foit pas bon pour lui. Le plus fûr étoit de fortir entierement de l'Italie,

mais il y étoit trop attaché, pour fe C. S. déterminer fi facilement à le faire. I1 CURION. fe propofa d'abord d'y chercher un lieu de retraite, ou il pût vivre inconnu ; il crut l'avoir trouvé à Salo dans le Duché de Milan, & il s'y rendit avec fa femme & fes enfans.

Quelques Seigneurs de Milan & de Pavie, qui paffoient l'Eté dans leurs maifons de campagne, le déterrerent bien-tôt dans ce lieu, & l'engagerent comme malgré lui à aller à Pavie, & à y profeffer les Belles

Lettres.

Dès qu'on fçut qu'il étoit dans cette Ville, les Inquifiteurs eurent ordre de fe faifir de lui, mais ils furent trois ans entiers fans en pouvoir venir à bout, parce qu'il demeuroit chez un des plus qualifiés du Pays, où l'on ne pouvoit l'arrêter, & que fes Ecoliers venoient en foule le pren dre pour le conduire à fon Ecole, & le reconduifoient de même.

Enfin le Pape ayant ordonné fous peine d'excommunication au Sénat de Pavie de l'arrêter, on lui facilita les moyens de fortir de la Ville, & il fe retira à Venife. Comme le féjour

C. S. de cette Ville ne lui parut pas affez CURION. fûr, il paffa à Ferrare, où il vit la Ducheffe Renée de France, qui lui confeilla de s'en aller à Lucques.

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Il fut effectivement bien reçû dans cette Ville & on lui donna une Chaire de Profeffeur; mais il n'y a voit pas un an qu'il y étoit, lorfqu'il vint de la part du Pape des ordres au Sénat de le faire arrêter. Le Sénat ne jugea pas cependant à propos d'en ufer fi feverement, & fe contenta de lui faire dire de fe retirer.

Curion vit bien alors qu'il lui fal foit fortir pour toûjours de l'Italie. Ainfi ayant pris des Lettres de recommandation de la Ducheffe de Ferrare, il fe rendit en Suiffe, où il fut fait Principal du College de Laufanne.

Il avoit laiffé fa femme & fes en fans à Lucques, parce qu'il étoit incertain du lieu où il fe retireroit; mais ayant trouvé une demeure fixe. il jugea à propos de les aller cher cher. Il fe rendit pour cela à Pessa lieu voifin de Lucques, où il n'ofoit pas aller ; pendant qu'il les y attendoit, il vit durant fon dîner entrer

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