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La Germanie, Traduction nouvelle par .L.F. Panckoucke-Pl.12

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PAR

M. QUATREMÈRE DE QUINCY,

MEMBRE DE L'ACADÉMIE ROYALE DES INSCRIPTIONS ET BELLES LETTRES, SECRÉTAIRE PERPETUEL DE CELLE DES BEAUX ARTS, ETC., ETC.

LE morceau de Tacite sur la Germanie, ou sur les mœurs des Germains, est un de ses moindres ouvrages par le volume, mais non par la valeur, surtout pour nous. A notre égard, c'est un des plus importans, non-seulement de cet auteur, mais de toute l'antiquité. Tacite posséda plus qu'aucun autre l'art de renfermer beaucoup de choses en peu de mots. Ce talent d'exprimer ainsi les idées les plus étendues, il le porta de même dans la relation des faits les plus nombreux. Ce fut toutefois assez l'habitude des écrivains anciens. Si l'on considère le peu de volume que César a donné à ses mémoires, c'est-à-dire à l'histoire d'une guerre de dix ans, et si l'on compare, sous ce rapport, cette histoire, aux moindres relations qu'on nous donne aujourd'hui des moindres événemens, on se convaincra qu'en ce genre, comme en beaucoup d'autres, il y avait autrefois une manière de rassembler et de faire voir les choses en grandes masses, comme on a maintenant l'habitude de les décomposer et de les montrer en détail.

Il y aurait à indiquer, de cette différence, beaucoup de très-grandes causes. Je ne sais si l'on ne pourrait pas y en joindre une, plus petite sans doute, mais dont l'action n'en serait pas moins puissante; cette cause serait l'influence de l'imprimerie, qui, en facilitant la publication des écrits, a fait de leur composition un objet de commerce pour les auteurs, et de spéculation pour l'imprimeur et le libraire. Les choses en sont venues au point que la grosseur d'un volume est souvent une condition imposée à l'écrivain, de telle sorte que c'est moins l'imprimeur qui travaille pour l'auteur, que l'auteur pour l'imprimeur. De là cet art d'allonger ce qui pourrait être court, et de grossir, pour le débit mercantile, le volume matériel du livre, ce qui n'a souvent lieu que par l'effet de la redondance et de la prolixité.

Nous sommes fort loin de prétendre faire de ceci une application à l'ouvrage que publie M. Panckoucke. Étant lui-même tout à la fois l'auteur, l'imprimeur et le libraire, on comprend que le premier n'eut aucun ordre à recevoir des deux autres. Si donc le petit volume de Tacite s'est singulièrement grossi, et est parvenu à la forme de l'in-8°. et même de l'in-4°. sous la presse de l'imprimeur, c'est que l'auteur y a véritablement, comme traducteur et commentateur, comme historien, philosophe et philologue, réuni plusieurs ouvrages, dont nous allons donner l'idée dans l'ordre où ils sont placés.

M. Panckoucke a fait précéder le texte de Tacite et sa version, d'une introduction qui est à elle seule un ouvrage. Qu'on ne s'étonne pas s'il est plus long que l'original qui l'a inspiré. L'auteur s'y est proposé, d'abord, de faire connaître et le génie de Tacite, et l'esprit dans lequel il a tracé les contours de ce vaste conti

nent, dont les peuplades belliqueuses menaçaient, dès le temps où il écrivait, de renverser le colosse de la puissance romaine. Tacite semble avoir prévu cette catastrophe; et, en éclairant ses compatriotes sur les dangers que courait l'empire environné de hordes, barbares si l'on veut, mais guerrières, et que de continuelles hostilités aguerrissaient de plus en plus, il leur montrait encore ce qu'ils devaientredouter du contraste des mœurs dissolues de Rome, de la perte des mâles vertus qui avaient jadis fait sa force, avec l'âpreté et l'énergie d'un peuple qui, n'ayant rien à perdre par la guerre, n'avait aucune raison de désirer la paix.

Tel est, en effet, le résultat politique et moral que M. Panckoucke nous fait apercevoir, comme ayant été le véritable but de l'ouvrage de Tacite sur les mœurs des Germains, résultat toutefois si bien voilé et avec tant d'adresse, que le lecteur ne pouvait alors accuser que lui-même, des conséquences qu'il était obligé de tirer d'un parallèle aussi indirectement présenté.

M. Panckoucke nous apprend ensuite que, si ce fut la lecture de Tacite qui lui donna une haute idée de Montesquieu, il doit à celui-ci de lui avoir ouvert les yeux sur tout ce que l'ouvrage de la Germanie renferme de notions propres à nous faire connaître les principales sources de nos usages et de nos lois.

Mais, avant de parler de notre origine germanique, il a cru devoir jeter un simple coup d'œil sur l'état où se trouvaient ces peuples au temps de Tacite. On comprend que ce n'est guère que de Tacite lui-même et de César qu'il a pu tirer quelques renseignemens à cet égard; il nous montre que déjà, au temps de Trajan, d'assez grands changemens s'étaient introduits chez les peuples limitrophes de l'empire romain, et il fait voir que les Romains n'auraient pu se mettre à l'abri d'un voisin aussi dangereux, qu'en s'introduisant eux-mêmes dans le pays avec leurs mœurs et leurs institutions, au moyen de colonies. Mais ce qu'il faut entendre par la Germanie de Tacite, ce n'est pas une simple nation, c'est en quelque sorte un monde, aussi vaste que l'était celui de l'empire romain.

Les Germains devinrent donc bientôt les conquérans de ceux qui n'avaient pu les conquérir; et, au lieu de recevoir des moeurs étrangères, ils portèrent dans le reste de l'Europe et leurs mœurs et leurs lois.

Voilà ce que M. Panckoucke cherche à établir dans le reste de son introduction, qu'on pourrait appeler une paraphrase du texte de Tacite.

Après avoir trouvé, sous le rapport géographique, une ressemblance parfaite entre les notions de l'historien ancien et les données actuelles de ce pays, sur les noms des peuples, des rivières, des forêts, des localités, il nous fait parcourir la nombreuse suite de pratiques et d'usages conservés jusqu'à nos jours, chez les descendans des anciens Germains.

Ainsi il découvre chez ces peuples, d'après Tacite, l'origine de la chevalerie, celle des combats singuliers, de la fureur du duel, qui, inconnue aux Romains, s'est transmise de la Germanie dans les Gaules et s'y maintient encore, des jeux du carrousel, des cérémonies de réception de chevaliers, de leurs vœux bizarres, de leur passion pour la guerre, de leur horreur de l'oisiveté, de la fidélité à leurs

engagemens.

Mais une influence plus sensible encore de ces peuples barbares sur les nations modernes, se fait remarquer dans leur respect et leur culte pour les femmes, tradition qui a changé la destinée d'une moitié de l'espèce humaine. A Rome, les femmes étaient presque esclaves; dans le fond des forêts de la Germanie elles étaient adorées comme des divinités. Ainsi s'établit, sous quelques formes diffé

rentes, cet empire du beau sexe par la galantrie de nos mœurs chevaleresques, dont l'esprit existe encore parmi nous.

Après avoir dit quelques mots de l'origine des rois, des ducs, des comtes, telles que Tacite nous l'a si clairement fait connaître, notre auteur s'étend sur quelques usages particuliers que nous ont transmis les Germains comme les compositions, les fiefs, les serfs, les assemblées populaires.

Il serait impossible de rapporter ici, même en les abrégeant, tous les points de ressemblance que l'analyse de l'historien latin fait découvrir entre les mœurs de l'antique Germanie et les institutions de l'Europe moderne. Ce qui s'oppose à un pareil extrait, c'est que ces notions sont elles-mêmes tellement réduites par M. Panckoucke, et si habilement resserrées, qu'il ne resterait plus d'autre moyen de les abréger encore, que celui de la nomenclature d'une table de matières

Ayant maintenant à parler de la traduction, nous devons dire que le traducteur n'a négligé rien de ce qui peut garantir au lecteur la plus grande correction dans le texte latin. II a comparé toutes les leçons, examiné toutes les variantes, compulsé toutes les éditions, dont il donne une revue complète, depuis celle de Jean de Spire en 1468 jusqu'à celle de l'éditeur des classiques latins, sortie des presses

de M. Panckoucke.

De pareils soins sont déjà d'assez bons pronostics en faveur d'une traduction : mais quand il s'agit de faire passer en français le style de l'écrivain le plus rapide, le plus serré, le plus hardi de l'antiquité, il est tout simple qu'on doive beaucoup exiger d'un traducteur, qui surtout a l'avantage d'arriver après beaucoup d'autres, et qui a déjà été précédé par des hommes de beaucoup de talent. En avouant donc que les difficultés se trouvent réellement fort diminuées, et par ce qu'il y a de bon dans l'ouvrage des prédécesseurs, et peut-être encore par les fautes qu'ils ont commises, nous croirons aussi que la position du dernier venu a cela de pénible, qu'il est tenu de faire beaucoup mieux, pour qu'on lui sache quelque gré de la peine qu'il a prise.

M. Panckoucke ni ne s'est dissimulé ces obligations, ni n'a cherché à s'y soustraire, encore moins à dérober à ses lecteurs les points de comparaison qui peuvent le faire juger. Il avoue d'abord avec beaucoup de franchise qu'il a conféré les expressions des anciens traducteurs avec celles qu'il avait adoptées avant de les lire; il convient ensuite qu'il a tâché de réunir les expressions heureuses que lui a fournies sa propre inspiration, aux expressions heureuses de ses devanciers.

Pour nous convaincre de ce résultat, M. Panckoucke a mis sous nos yeux, non pas un petit nombre de passages choisis entre les anciennes traductions et la sienne, mais une collection nombreuse de phrases extraites de tous les chapitres, et de celles-là précisément que l'on connaît pour renfermer le plus de difficultés; et c'est en parallèle avec la version des trois plus célèbres traducteurs qu'il a placé la sienne. Nous laisserons au lecteur à prononcer par lui-même sur ce genre de concurrence: mais un point dont les yeux sont aussi appelés à être juges, nous a frappés; c'est que presque toujours la version du nouveau traducteur est celle qui, avec le moins de mots, a la tournure la plus française.

La vérité est qu'après d'habiles écrivains qui s'étaient distingués par ce genre de talent, il eût été fort honorable de ne pas leur être inférieur. Si, comme nous le croyons, le dernier traducteur l'emporte sur eux, il est probable que cette traduc. tion sera bien la dernière qu'on publiera.

M. Panckoucke l'a enrichie encore d'un commentaire nouveau. Le mot nouveau

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