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doit s'entendre ici du genre même, c'est-à-dire, de la nature des objets qu'embrasse la critique. Sans négliger dans ses notes les points historiques, géographiques ou archéologiques, destinant son ouvrage, comme il le dit, plus particulièrement à la France, et à cette classe de lecteurs qui demandent à l'érudition de se rapprocher du goût de notre temps, où la politique se mêle volontiers aux recherches de l'antiquité, c'est dans Montesquieu et nos plus célèbres publicistes qu'il a puisé les sujets et les matériaux de ces commentaires. On pourrait donc donner à ce travail le nom de Tacite commenté par Montesquieu. Qui prendra la peine de le parcourir y trouvera réunis, d'une manière abrégée, tout au moins les élémens d'une multitude de connaissances éparses dans un fort grand nombre d'ouvrages, sur l'origine des nations modernes, et de leurs institutions passées et présentes, sur les sources de notre jurisprudence, de notre droit civil et politique, et sur beaucoup d'usages dont les traditions, en quelque sorte indélébiles, se perpétuent à notre insu, et forment cette chaîne inaperçue de rapports qui sont pour le philosophe les titres généalogiques les plus incontestables de chaque nation.

M. Panckoucke a donné un nouvel intérêt à son ouvrage en le terminant par un tableau chronologique des faits indiqués par Tacite, des guerres des peuples Germains, de leurs incursions, de leurs conquêtes, de leurs établissemens.

Deux index, l'un des noms et des choses, l'autre des termes de latinité employés par Tacite, suivis d'une table générale des matières, complètent le volume. C'est, pour tout dire d'un seul mot, un ouvrage véritablement fait en conscience.

N'oublions pas d'ajouter que M. Panckoucke a orné cet ouvrage d'un atlas contenant douze planches, y compris la carte géographique de la Germanie. Ces planches, fort bien gravées, présentent plus d'une sorte d'explications figurées du texte de Tacite, tirées soit des bas-reliefs antiques, soit de certaines analogies et ressemblances qu'on trouve entre les descriptions ou les récits de l'historien latin, et les relations des voyageurs modernes sur quelques peuplades, chez lesquelles on voit l'état de · leurs mœurs, de leurs habitans et de leurs institutions, au même point où cet état de choses était chez les anciens Germains au temps de Tacite (Journal des Savans du mois de septembre 1824.)

NOTICE

Par M. LAYA, membre de l'Académie française.

Cet ouvrage de Tacite, sur les mœurs des Germains, est à la fois historique, géographique et topographique. C'est la description de l'ancienne Germanie, qui se terminait au delà de l'Elbe; les Romains avaient passé ce fleuve sous la direction de Domitius-Enobarbus. La partie politique et philosophique de cet ouvrage en fait surtout l'intérêt.

La relation des mœurs des Germains, qui suivit de près la publication de la Vie d' Agricola, ne devait être, n'eût été, sous une autre plume que celle de Tacite, qu'un ouvrage de circonstance; mais le sceau de son génie marqué dans cette production, comme dans la première, dut la préserver du sort commun à beaucoup

de compositions, qui ne peuvent survivre à la circonstance qui les fit naître. C'est dans le moment même où Trajan luttait contre le courage des peuples de la Germanie que Tacite conçut l'heureuse idée de dessiner leur caractère. Ces peuples avaient donné tant d'inquiétude et de tourmens aux Romains, sous les règnes précédens, qu'après la mort de Domitien, c'est-à-dire, après que Rome eut été affranchie de l'ennemi domestique, on ne songea plus qu'à se délivrer d'un ennemi étranger, qui venait jusque sur les frontières braver l'orgueil du peuple-roi. Trajan se chargea de ce soin: tous les vœux étaient tournés vers la Germanie. A Rome on maudissait ces peuples qui retardaient le retour du héros, devenu l'espoir et les délices de l'empire; son absence était une calamité; son absence faisait qu'on ne s'entretenait plus à Rome que d'une guerre qui la prolongeait, et des peuples qui suscitaient cette guerre. Tacite ne pouvait donc, pour occuper les Romains d'une nation qui était déjà l'objet des entretiens de Rome, choisir un moment plus opportun que celui-là même où Trajan travaillait à la subjuguer. Il fit une chose agréable pour ses concitoyens, en même temps qu'il élevait un monument à sa gloire. Ce petit ouvrage est un double tableau de mœurs. Là Tacite n'a pas décrit pour décrire, ni pour satisfaire seulement la curiosité des oisifs de la capitale; il a saisi en grand moraliste cette occasion, peut-être unique, pour donner aux maîtres du monde des leçons dont ils pussent profiter; car c'est bien là son arrière-pensée, ou, si l'on veut, sa première pensée. Tacite, à l'époque où il écrivait, se trouvait placé entre les mœurs corrompues d'une grande nation, qui, dans le bien et dans le mal, avait épuisé toutes les mesures, et les mœurs neuves des peuplades qui n'avaient pas encore fait l'expérience de la civilisation, qui n'en avaient ni connu les vices, ni pratiqué les vertus.

M. Panckoucke a saisi, avec non moins de sagacité que de vérité, ce point philosophique, que plusieurs interprètes de Tacite n'avaient fait qu'entrevoir. Quelquesuns ont pensé que la relation de Tacite était écrite contre les Romains et non contre les Germains; les Germains lui fournissaient les traits dont il blessait ses compatriotes; et, perdant de vue la grande pensée morale qui avait conduit la plume de l'écrivain, ils n'ont plus voulu voir qu'une satire mordante et chagrine dans une composition qui est, pour me servir d'un mot familier, une excellente leçon de prince. Comme le remarque fort bien M. Panckoucke, Tacite aimait sa patrie; de plus, il jugeait combien l'esprit national avait à Rome de force et de ressources. Il n'en désespérait point : c'eût été calomnier son siècle.

Cette nuance n'a point échappé à M. Panckoucke, et l'on ne peut mieux se placer qu'il ne l'a fait dans le point d'optique où l'on doit être, pour juger convenablement et sûrement la position respective des Romains et des Germains, à l'époque où écrivit Tacite. C'est entre ces peuples un rapport d'opposition aussi frappant qu'il peut l'être, c'est presque le tableau des deux siècles les plus opposés de l'histoire fabuleuse, l'âge de fer et l'âge d'or. Tacite nous montre ces Germains qui rentrent dans l'oisiveté, état naturel des hommes dans l'enfance du monde, lorsqu'ils n'ont plus de guerres à soutenir. Il est tout simple, en effet, qu'ils se reposent, comme dit Tacite, puisque toute occupation cesse chez eux aussitôt que la guerre cesse. Ah! du moins, leur repos ne nuit ni aux autres ni à eux-mêmes. Les arts, enfans de la mollesse, tous ces amusemens voluptueux qui énervent l'âme, qui, faisant un besoin des richesses, poussent l'homme au crime; tous ces fruits de la civilisation, d'après les belles peintures de Tacite, sont inconnus à ces peuples simples et rustiques. Ils savent, pour toute science, défendre leurs Dieux, leurs foyers, leur

famille, leur liberté; mais quel courage dans les batailles! quelle infatigable ardeur! L'art ne règle point leur bravoure; en la réglant il pourrait la ralentir. Insensiblement, et à mesure qu'on suit les récits de l'historien, on voit s'établir des oppositions savantes, ingénieuses, profondes, que M. Panckoucke a su rendre avec toutes les variétés de style qu'elles devaient recevoir dans notre langue. Tacite, par ces contrastes habilement ménagés, n'a donc pas voulu satisfaire une vaine malignité en retraçant l'humiliation de Rome, il a voulu rappeler Rome aux vertus des temps antiques, à ces jours où les vases d'or et la vaisselle plate de Pyrrhus n'avaient pas fait disparaître encore l'argile grossière qui faisait l'ornement d'une table patricienne.

C'est aux mœurs de Rome, dans ces temps reculés, que se rapportent ces nouvelles mœurs qu'il décrit. Le but de Tacite est de prouver, par des inductions qui échappent aux esprits superficiels, que le luxe, en minant les fondemens de la liberté, mine les fondemens des empires.

Je ne dirai qu'un mot du mérite de la composition originale : elle est au dessus de tous les éloges; et ce n'est pas non plus un mérite vulgaire que d'avoir su rendre un texte aussi parfait. Ce n'est pas là une relation sèche, quoique ce soit une relation très-abrégée, quoique ce soit un ouvrage substantiel, où l'on n'attend rien au delà de la chose qui y est traitée. L'auteur ne s'est pas interdit d'orner tout ce qui était susceptible d'ornemens, mais non pas, à la vérité, d'ornemens superflus ou rattachés de manière à ce qu'on aperçoive cette intention de coquetterie. L'auteur a nourri son récit de pensées et de faits, liés avec tant d'artifices, qu'on n'y distingue plus ce qui est réflexion d'avec ce qui est narration. L'écrivain pense et vous fait penser, et vous croyez seulement qu'il raconte. C'est là le comble de l'art.

On peut louer M. Panckoucke de ce qu'il a su rendre ce double effet dans sa version. C'est ce fond de philosophie inépuisable qu'on retrouve dans tout ce que dit Tacite, qui donne à ce qu'il dit une si grande valeur; et que serait, en effet, ce narré descriptif, sans les inductions (car il s'exprime plutôt par inductions que par réflexions); que serait, dis-je, sa relation des mœurs des Germains, sans les inductions ingénieuses, profondes, caractéristiques, qui donnent la vie, la rondeur et le coloris à un corps qui ne serait, sans tout cela, qu'un corps décharné, qu'un froid squelette? Mais le flambeau de Prométhée le frappe, et, vivifié par le feu créateur, il a pris ses belles formes, sa chaleur et son incarnat. J'emploie cette image, un peu ambitieuse, pour prouver qu'un traducteur qui ne saurait pas se pénétrer de l'inspiration de son modèle, se remplir de son feu sacré, ne serait rien qu'un froid copiste. On ne fera pas ce reproche à M. Panckoucke, qui a su reproduire, dans notre langue, le Tacite latin, avec ses traits originaux et caractéristiques.

On doit croire que Montesquieu avait beaucoup médité cette peinture des mœurs de la Germanie, avant de composer son bel ouvrage de la Grandeur et de la décadence des Romains. « Celui de tous les écrivains latins, dit Laharpe, qui a le plus de rapport avec Montesquieu, c'est Tacite, qui fut, comme lui, grand penseur et grand peintre, et qui nous a laissé un beau traité sur les mœurs des Germains.»

M. Panckoucke, qui déjà avait traduit la vie d'Agricola de manière à faire désirer qu'il s'exerçât sur les œuvres complètes de Tacite, nous a fait attendre bien long-temps les Moeurs des Germains; mais on n'a plus le courage de se plaindre de ses lenteurs quand on a parcouru le volume et l'atlas qu'il vient de publier. De

toutes les éditions faites jusqu'à ce jour de ce tableau de mœurs achevé, celle de M. Panckoucke me paraît être la plus digne du célèbre écrivain qui l'a tracé, soit qu'on le juge sous le rapport de la version, dans laquelle le texte reparaît sous les formes d'un style vif, précis et serré, le seul qui convienne à un auteur autant économe de mots qu'il est prodigue de pensées; soit qu'on l'apprécie sous le rapport des recherches sans nombre qu'elle a coûtées à l'interprète.

On s'attend bien (et c'est presque une remarque inutile à faire) que cette édition nouvelle a été imprimée avec ce soin, et l'on peut ajouter, ce luxe typographique qui fait reconnaître les livres sortis des presses de M. Panckoucke; mais on pouvait ne pas s'attendre à cette foule de renseignemens curieux et scientifiques qui éclaircissent et enrichissent, cette fois, le texte de Tacite. M. Panckoucke, qui ne cherche point à usurper un succès, a voulu que le public jugeât avec connaissance de cause, entre lui et les anciens interprètes de Tacite, pour fixer sa préférence; il a donc rapproché, de certains passages de sa version, les mêmes passages pris dans les autres traducteurs de Tacite, depuis Philippe V jusqu'à Dureau de Lamalle ses lecteurs peuvent prononcer aujourd'hui sur le vu des pièces, et donner la palme au plus méritant. On jugera, après avoir confronté ces morceaux, que la victoire est toujours du côté de M. Panckoucke, qui aura de cette manière travaillé avec désintéressement dans l'intérêt de son amour-propre.

Une savante dissertation qu'on lit en tête du volume, sous le titre d'introduction, renferme en peu de pages beaucoup de recherches précises, touchant l'état civil, politique et moral des peuples dont Tacite exécute en quelque sorte le tableau vivant. Nous retrouvons là le résumé substantiel du code des Germains et des Francs. Les aperçus du traducteur, qui sont pris de haut, préparent l'esprit à mieux goûter l'ouvrage dont ces intéressans prolégomènes font désirer la lecture. D'avance l'habile interprète nous fait faire connaissance avec ces peuples reculés qui nous sont déjà devenus moins étrangers lorsque l'auteur original nous introduit au milieu d'eux.

M. Panckoucke fait d'heureux rapprochemens entre l'ancienne et la nouvelle Allemagne. Nous voyons que celle d'autrefois revit dans celle d'aujourd'hui, moins ces nuances distinctives dont le temps se plaît à marquer la physionomie extérieure des siècles; mais le fond du caractère demeure, et rien ne change dans ce qui forme la physionomie morale des peuples. M. Panckoucke, en observant ces différences, a rapproché avec sagacité les traits primitifs qui ne se sont point effacés dans les Gaules. Les peuples qui habitent, de nos jours, ces heureuses contrées peuvent se reconnaître dans les peuplades qui autrefois les habitèrent ce qui prouve, et ce dont nous pouvons nous glorifier, que les peuples de cette partie de l'Europe ont un caractère en propre qu'ils n'ont jamais voulu soumettre au joug de l'imitation.

M. Panckoucke a saisi et représenté, avec le talent d'un peintre habile, les principaux traits du nôtre, en montrant que nous avons religieusement observé ceux de nos aïeux des âges les plus éloignés. Ces peuples nous ont transmis beaucoup de leurs coutumes, de leurs lois. Nous leur devons quelques-unes de nos pratiques, quelques-uns de nos préjugés nationaux, par exemple le duel, né des combats singuliers usités chez les Germains; par exemple encore, le culte que nous rendons aux femmes : ces premières divinités des forêts de la Germanie ont continué d'être adorées dans nos villes.

« Le beau sexe ignore sans doute (dit M. Panckoucke) que c'est à des sauvages,

qui, semblables à des bêtes féroces, faisaient retentir les échos de leurs cris, se barhouillaient de noir et de rouge pour prendre un aspect infernal, qu'il doit cette puissance si habilement maintenue, ces adorations, ces priviléges; enfin, c'est aux usages transmis par ces barbares que Catherine dut le trône des Czars, et Élisabeth celui de la Grande-Bretagne. >>

En général, M. Panckoucke s'est proposé un grand but d'instruction, qui se ré vèle dans l'exécution de son travail. C'est dans un intérêt national, et par conséquent dans une intention toute patriotique, qu'il a importé chez nous l'œuvre admirable de Tacite, afin que nous puissions y remarquer et étudier les signes de notre droit public : ce qui fait que cette production peut devenir le livre du publiciste et de l'homme d'état. Le roi Philippe V y voyait un code d'enseignement pour tous les fils de France. La guerre antique de notre chevalerie, la première empreinte des mœurs de nos ancêtres et de leurs usages, se retrouvent dans les mœurs de ces peuples; et, de succession en succession, nous en avons reçu la contreépreuve. On peut ajouter que cette production est le premier monument qu'aient à consulter ceux qui veulent écrire l'histoire des plus anciens peuples du nord, pourvu qu'ils aient soin d'avance de dégager l'ouvrage de quelques méprises, que Tacite n'a pu prévenir, parce qu'il ne connaissait pas la langue des Teutons.

M. Panckoucke craint qu'on se plaigne du trop grand nombre de notes qui accompagnent sa traduction. Ses craintes seraient fondées, si ces notes avaient été jetées à la manière de tant de faiseurs de scolies qui veulent tout dire, ce qui est en effet un sûr moyen de trop dire. M. Panckoucke, dans ses notes, il est vrai multipliées, mais non prodiguées, n'a rien admis que d'intéressant, que ce qui éclaircit, que ce qui provoque dans l'esprit du lecteur d'utiles pensées, de sages réflexions, d'ingénieux rapports de ressemblance et de différence; que ce qui fait naître dans le cœur des pensées morales, philosophiques; que ce qui agrandit le cercle des connaissances, sans y rien mêler de confus ou de désordonné.

La lecture des Moeurs des Germains, je l'ai déjà fait entendre, pour être faite avec fruit, exige quelques notions indispensables. Tant de choses entrent dans ce cadre étroit qu'il faut que l'esprit qui veut s'y placer se soit par avance muni d'une érudition spéciale. On peut dire, en général, que, pour être digne de lire Tacite, il faut savoir trop pour savoir assez. Le commentaire de M. Panckoucke aidera les lecteurs auxquels manquent ces connaissances précieuses; et ceux qui les possèdent déjà éprouveront une sorte de satisfaction intérieure, en retrouvant ce qu'ils savent dans les notes de ce nouveau commentaire :

Et ament meminisse periti.

Ces notes sont historiques, géographiques, chronologiques; c'est Montesquieu, c'est Mably, c'est Robertson, etc., qui ont fourni la matière du commentaire, auquel M. Panckoucke a joint la traduction des meilleures variantes latines qu'il ait pu extraire des autres interprétations ou commentaires de Tacite.

Le volume se termine par un Tableau chronologique des faits, c'est-à-dire, des guerres des peuples germains, de leurs incursions, de leurs conquêtes, de leurs établissemens; par un index historique latin des noms et des choses, et par une table des matières faite avec la plus louable exactitude, et dans l'intention complaisante d'abréger le temps du lecteur, en facilitant ses recherches (Gazette de France du samedi 10 juillet 1824.)

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