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ta fort attentivement; & lorfqu'elles furent arrivées au logis: Je vous avoue, ma Fille, lui dit-elle, que je fuis extrêmement mortifiée de ce que vous venez de m'apprendre. Comment ai je pu être la dupe de cette vieille femme? J'ai fait d'abord difficulté de la fuivre. Que n'ai-je continué ?Jedevois me défier de fon air doux & honnête. J'ai fait une fottife, qui n'eft pas pardonnable à une perfonne de inon expérience. Ah! que ne m'avez-vous découvert chez elle cet artifice ! Je l'aurois dévifagée, j'aurois accablé d'injures le Comte de Belflor, & arraché la 'barbe au faux Vieillard qui me contoit des fables. Mais je vai retourner fur mes pas, porter l'argent que j'ai reçu comme une véritable reftitution; & fi je les retrouve enfemble, ils ne perdront rien pour avoir attendu. En achevant ces mots, elle reprit fa mante, qu'elle avoit quittée, & fortit pour aller chez la Chichona.

Le Comte y étoit encore. Il fe desefpéroit du mauvais fuccès de fon fratagême. Un autre, en fa place, auroit abandonné la partie. Mais il ne Te rebuta point. Avec mille bonnes qualités, il en avoit une peu louable;

c'étoit

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c'étoit de fe laiffer trop entraîner au panchant qu'il avoit à l'amour. Quand il aimoit une Dame, il etoit trop ardent à la pourfuite de fes faveurs; &, quoique naturellement honnête-homme, il étoit capable alors de violer les droits les plus facrés, pour obtenir l'accompliffement de fes défirs. Il fit réflexion, qu'il ne pourroit parvenir au but qu'il fe propofoit, fans le fecours de la Dame Marcelle; & il réfolut de ne rien épargner, pour la mettre dans fes intérêts. I jugea, que cette Duègne, toute févère qu'elle paroiffoit, ne feroit point à l'épreuve d'un préfent confidérable; & il n'avoit pas tort de faire un pareil jugement. S'il y a des Gouvernantes fidèles, c'eft que les Galands ne font pas affez riches, ou affez libéraux.

D'abord que la Dame Marcelle fut arrivée, & qu'elle apperçut les trois perfonnes à qui elle en vouloit, il lui prit une fureur de langue: elle dit un million d'injures au Comte & à la Chichona, & fit voler la reftitution à la tête du valet de chambre. Le Comte effuya patiemment cet orage; & fe mettant à genoux devant la Duègne, pour rendre la fcène plus touchante, il la preffa

preffa de reprendre la bourfe qu'elle avoit jettée, & lui offrit mille piftoles de furcroît, en la conjurant d'avoir pitié de lui. Elle n'avoit jamais vu folliciter fi puiffamment fa compaffion, auffi ne fut-elle pas inexorable. Elle eut bientôt quitté les invectives; & comparant en elle-même la fomme propofée, avec la médiocre récompenfe qu'elle attendoit de Don Luis de Cefpèdes, elle trouva qu'il y avoit plus de profit à écarter Léonor de fon devoir, qu'à l'y maintenir. C'eft pourquoi, après quelques façons, elle reprit la bourse, accepta l'offre des mille piftoles, promit de fervir l'amour du Comte, & s'en alla fur le champ travailler à l'exécution de fa promeffe.

Comme elle connoiffoit Léonor pour une fille vertueuse, elle se garda bien de lui donner lieu de foupçonner fon intelligence avec le Comte, de peur qu'elle n'en avertit Don Luis fon père; & voulant la perdre adroitement, voi ci de quelle manière elle lui parla à fon retour. Léonor, je viens de fatisfaire mon efprit irrité, j'ai retrouvé nos trois fourbes, ils étoient encore tout étourdis de votre courageufe retraite. J'ai menacé la Chichona du reffentiment de Tom. I. C

votre

&

votre père, & de la rigueur de la Justice; & j'ai dit au Comte de Belflor toutes les injures que la colère a pu me fuggérer. J'espère que ce Seigneur ne formera plus de pareils attentats, que les galanteries cefferont deformais d'occuper ma vigilance. Je rens graces au Ciel que vous ayez, par votre fermèté, évité le piège qu'il vous avoit rendu. J'en pleure de joie. Je fuis ravie qu'il n'ait tiré aucun avantage de fon artifice, car les Grands Seigneurs fe font un jeu de féduire de jeunes perfonnes. La plupart même de ceux qui fe piquent le plus de probité, ne s'en font pas le moindre fcrupule; comme fi ce n'étoit pas une mauvaise action, que de deshonorer des familles. Je ne dis pas abfolument que le Comte foit de ce caractère, ni qu'il ait envie de vous tromper. Il ne faut pas toujours juger mal de fon prochain. Peut-être a-t-il des vues légitimes. Quoiqu'il foit d'un rang à prétendre aux prémiers partis de la Cour, votre beauté peut lui avoir fait prendre la réfolution de vous époufer. Je me fouviens même, que dans les réponses qu'il a faites à mes reproches, il m'a laiffé entrevoir cela. Que dites-vous, ma Bonne, inter

ronpit Léonor? S'il avoit formé ce deffein, il m'auroit déjà demandée à mon père, qui ne me refuferoit point à un Homme de fa condition. Ce que vous dites elt juste, reprit la Gouvernante, j'entre dans ce fentiment. La démarche du Comte est suspecte, ou plutôt les intentions ne fauroient être bonnes. Peu s'en faut que je ne retourne encore fur mes pas, pour lui dire de nouvelles injures. Non, ma Bonne, repartit Léonor, il vaut mieux oublier ce qui s'eft paffé, & nous venger par le mépris. Il elt vrai, dit la Dame Marcelle, je crois que c'eft le meilleur par ti, vous êtes plus raifonnable que moi. Mais, d'un autre côté, ne ju gerions nous point mal des fentimens du Comte? Que favons-nous s'il n'en ufe pas ainfi par délicateffe? Avant que d'obtenir l'aveu d'un père, il veut peutêtre vous rendre de longs fervices,mériter de vous plaire, s'affurer de votre coeur, afin que votre union ait plus de charmes. Si cela étoit, ma Fille, fem roit-ce un grand crime que de l'écou ter? Découvrez moi vote pensée, ma tendreffe vous eft connue. Vous fentez-vouz de l'inclination pour le ComCz

te,

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