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fait fouffrir de maux. Mais achevez mon bonheur, ma chère Marcelle, faitesmoi parler à la divine Léonor. Je veux lui donner ma foi, & lui jurer devant vous que je ne ferai jamais qu'à elle.

A ce difcours, poursuivit la Gouvernante, il en a ajouté d'autres encore plus touchans. Enfin, ma Fille, il m'a priée d'une manière fi preffante, de lui procurer un entretien fecret avec vous, que je n'ai pu me défendre dè le lui promettre. Eh! pourquoi lui avezvous fait cette promeffe, s'écria Léonor avec quelque émotion? Une fille fage, vous me l'avez dit cent fois, doit abfolument éviter ces conversations, qui ne fauroient être que dangereufes. Je demeure d'accord de vous l'avoir dit, repliqua la Duègne, & c'est une très bonne maxime. Mais il vous est permis de ne la pas fuivre dans cette occafion, puifque vous pouvez regarder le Comte comme votre mari. II ne l'elt point encore, repartit Léono; & je ne le dois pas voir, que mon père n'ait agréé fa recherche.

La Dame Marcelle, en ce moment, fe repentit d'avoir fi bien élevé une fille, dont elle avoit tant de peine à vaincre la retenue. Voulant toutefois en C.5.

venir

venir à bout, à quelque prix que ce fût. Ma chère Léonor, reprit-elle, je m'aplaudis de vous voir fi réfervée. Heureux fruit de mes foins! Vous avez mis à profit toutes les leçons que je vous ai données. Je fuis charmée de mon ouvrage. Mais, ma Fille, vous avez enchéri fur ce que je vous ai enfeigné, vous outreż ma morale, je trouve votre vertu un peu trop fauvage. De quelque févérité que je me pique, je n'aprouve point une farouche fageffe, qui s'arme indifféremment contre le crime & l'innocence. Une fille ne ceffe pas d'être vertueufe, pour éCouter un Amant, quand elle connoit la pureté de fes défirs; & alors, elle n'eft pas plus criminelle de répondre à fa paffion, que d'y être fenfible. Repofez-vous fur moi, Léonor. J'ai trop d'expérience, & je fuis trop dans vos intérêts, pour vous faire faire un pas qui puiffe vous nuire.

Eh? dans quel lieu voulez-vous que je parle au Comte, dit Léonor? Dans votre appartement, repartit la Duègne, c'est l'endroit le plus für. Je l'introduirai ici demain, pendant la nuit. Vous n'y penfez pas, ma Bonne, repliqua Léonor! Quoi je fouffrirai

qu'un

qu'un homme.... Oui, vous le fouffrirez, interrompit la Gouvernante; ce n'eft pas une chofe fi extraordinaire que vous-vous l'imaginez. Cela arrive tous les jours; & plût au Ciel, que tou tes les filles qui reçoivent de pareilles vifites, eûffent des intentions auffi bonnes que les vôtres! D'ailleurs, qu'avez-vous à craindre, ne ferai-je pas avec vous? Si mon père venoit nous furprendre, reprit Léonor? Soyez encore en repos là-deffus, repartit la Daine Marcelle. Votre père a l'efprit tranquile fur votre conduite, il con noit ma fidèlité, il a une entière con fiance en moi. Léonor, fi vivement pouffée par la Duègne, & preffée en fecret par fon amour, ne put résister plus longtems, elle confentit à ce qu'on lui popofoit.

Le Comte en fut bientôt informé. Il en eut tant de jole, qu'il donna fur le champ à fon Agente cinq-cens piftoles, avec une bague de pareille valeur, La Dame Marcelle, voyant qu'il tenoit fi bien fa parole, ne voulut pas être moins exacte à tenir la fienne. Dès la nuit fuivante, quand elle jugea que tour le monde repofoit au logis, elle atta cha à un balcon une échelle de foie, C. 6. que

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que le Comte lui avoit donnée, & fit entrer par-là ce Seigneut dans l'appartement de fa Maîtreffe.

Cependant, cette jeune Perfonne s'abandonnoit à des réflexions qui l'agitoient vivement. Quelque panchant qu'elle eùt pour Belflor, & malgré tout ce que pouvoit lui dire fa Gouvernante, elle fe reprochoit d'avoir eu la facilité de confentir à une vifite qui bleffoit fon devoir. La Pureté de fes intentions ne la raffuroit point. Recevoir la nuit dans fa chambre un homme qui n'avoit pas l'aveu de fon père, & dont elle ignoroit même les véritables fentimens, lui paroîffoit une démarche, non feulement criminelle, mais digne encore des mépris de fon Amant. Cette dernière pensée faifoit fa plus grande peine, & elle en étoit fort occupée, lorfque le Comte entra.

Il fe jetta d'abord à fes genoux, pour la remercier de la faveur qu'elle lui faifoit. Il parut pénétré d'amour & de reconnoiffance, & il l'affura qu'il étoit dans le deffein de l'époufer. Néanmoins, comme il ne s'étendoit pas làdeffus autant qu'elle l'auroit fouhaité: Comte, lui dit-elle, je veux bien croire que vouz n'avez pas d'autres vue que

celles

celles-là: mais quelques affurances que vous m'en puiffiez donner, elles me feront toujours fufpectes, jufqu'à ce qu'elles foient autorifées du confentement de mon père. Madame, répondit Belflor, il y a longtems que je l'aurois demandé, fi je n'eûffe pas craint de l'obtenir aux dépens de votre repos. Je ne vous reproche point de n'avoir pas encore fait cette démarche, reprit Léonor, j'aprouve même fur cela votre délicateffe: mais rien ne vous retient plus, & il faut que vous parliez au-plutôt à Don Luis, ou bien résolvez-vous à ne me revoir jamais.

Hé pourquoi, repliqua-t-il, ne vous verrois-je plus, belle Léonor? Que vous êtes peu fenfible aux douceurs de l'amour! Si vous saviez aussi bien aimer que moi, vous-vous feriez un plaifir de recevoir fecrettement mes foins, & d'en dérober, du moins pour quelque tems, la connoiffance à votre père. Que ce commerce mistérieux a de charmes pour deux cœurs étroitement liés! Il en pourroit avoir pour vous, dit Léonor, mais il n'auroit pour moi que des peines. Ce rafinement de tendreffe ne convient point à une fille qui a de la vertu. Ne me C 7

van

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