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CHAPITRE V.

Suite & Conclufion des Amours du Comte de Belflor.

DON Luis fortit de bon matin, &

fe rendit chez le Comte, qui, ne croyant pas avoir été découvert, fut furpris de cette vifite. Il alla au-devant du Vieillard, & après l'avoir accablé d'embraffades: Que j'ai de joie, dit-il, de voir ici le Seigneur Don Luis! Viendroit-il m'offrir l'occafion de le fervir? Seigneur, lui répondit Don Luis, ordonnez, s'il vous plaît, que nous foyons feuls.

Belflor fit ce qu'il fouhaittoit. Ils s'affirent tous deux, & le Vieillard prenant la parole: Seigneur, dit-il, mon bonheur & mon repos ont befoin d'un éclairciffement que je viens vous demander. Je vous ai vu ce matin fortir de l'appartement de Léonor. Elle m'a tout avoué, elle m'a dit.... Elle vous a dit que je l'aime, interrompit le Comte, pour éluder un difcours pu'il ne vouloit pas entendre: inais elle ne vous

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que foiblement exprimé tout ce que je fens pour elle. J'en fuis enchanté c'eft une fille toute adorable. Efprit, beauté, vertu, rien ne lui manque. On m'a dit que vous avez auffi un fils, qui achève fès études à Alcala. Reffemble-t il à fa foeur? S'il en a la beauté, & pour peu qu'il tienne de vous d'ailleurs, ce doit être un Cavalier parfait. Je meurs d'envie de le voir, & je vous offre tout mon crédit pour lui.

Je vous fuis redevable de cette offre, dit gravement Don Luis; mais venons à ce que... Il faut le mettre inceffamment dans le Service, interrompit encore le Comte. Je me charge de fa fortune. Il ne vieillira point dans la foule des Officiers fubalternes, c'ett de quoi je puis vous affurer, Répondez moi, Comte, reprit brufquement le Vieillard, & ceffez de me couper la parole. Avez-vous deffein, ou non, de tenir la promeffe....? Oui, fans doute, interrompit Belfor pour la troisième fois, je tiendrai la promeffe que je vous fais, d'appuyer votre fils de toute ma faveur. Comptez fur moi, je fuis homme réel. C'en eft trop, Comte, s'écria Cefpèdes en fe levant.. Après avoir féduit ma fille, vous ôfez encore m'infulter.

Mais je fuis noble. & l'offence que vous me faites ne demeurera pas impunic. En achevant ces mots, il fe retira chez lui, le cœur plein de reffentiment, & roulant dans fon efprit mille projets de vengeance.

Dès-qu'il y fut arrivé, il dit avec beaucoup d'agitation à Léonor & à la Dame Marcelle. Ce n'étoit pas fans raifon que le Comte m'étoit fufpet, c'est un traître dont je veux me venger. Pour vous, dès- demain vous entrerez toutes deux dans un Couvent; vous n'avez qu'à vous y préparer; & rendez grace au Ciel, que ma colère fe borne à ce châtiment. En difant cela, il alla s'enfermer dans fon cabinet, pour penser mûrement au parti qu'il avoit à prendre dans une conjoncture fidélicate.

Quelle fut la douleur de Léonor, quand elle eut entendu dire que Belflor étoit perfide! Elle demeura quelque tems immobile. Une pâleur mortelle fe répandit fur fón vifage. Ses efprits l'abandonnèrent, & elle tomba fans mouvement entre les bras de fa Gouvernante, qui crut qu'elle alloit expirer. Cette Duègne apportatous fes foins pour la faire revenir de fan évaD 4 nouïf

nouïffement. Elle y réuffit. Léonor reprit l'ufage de fes fens, ouvrit les yeux, & voyant fa Gouvernante empreffée à la fecourir. Que vous êtes barbare, lui dit-elle en pouffant un profond foupir! Pourquoi m'avez vous tirée de l'heureux état où j'étois? Je ne fentois pas l'horreur de ma deftinée. Que ne me laiffiez-vous mourir? Vous qui favez toutes les peines qui doivent troubler le repos de ma vie, pourquoi me la voulez-vous conferver?.

Marcelle effaya de la confoler, mais elle ne fit que l'aigrir davantage. Tous vos difcours font fuperflus, s'écria la fille de Don Luis. Je ne veux rien écouter. Ne perdez pas le tems à coinbattre mon defefpoir. Vous devriez plutôt l'irriter, vous qui n'avez plon gée dans l'abîme affreux où je fuis. C'est vous qui m'avez répondu de la fincérité du Comte. Sans vous, je ne me ferois pas livrée à l'inclination que j'avois pour lui;j'en aurois infenfiblement triomphé; il n'en auroit jamais, dumoins, tiré le moindre avantage. Mais je ne veux pas, poursuivit-elle, vous imputer mon malheur, & je n'en accuse que moi. Je ne devois pas fuivre vos confeils, en recevant la foi d'un hom

me

me fans la participation de mon père. Quelque glorieufe que fût pour moi la recherche du Comte de Belflor, il faloit le mépriser, plutôt que de le ménager aux dépens de mon honneur. Enfin, je devois me défier de lui, de vous, & de moi. Après avoir été affez foible pour me rendre à fes fermens perfides, après l'affliction que je caufe au malheureux Don Luis, & le deshonneur que je fais à ma famille, je me déteste moi-même ; & loin de craindre la retraite dont on me inenace, je voudrois aller cacher ma honte dans le plus horrible féjour.

En parlant de cette forte, elle ne fe contentoit pas de pleurer abondamment, elle déchiroit fes habits, & s'en prenoit à fes beaux cheveux, de l'injustice de fon Amant. La Duègne, pour fe conformer à la douleur de fa Maîtreffe. n'épargna pas les grimaces. Elle laiffa couler quelques pleurs de commande, fit mille imprécations contre les hommes en general, & en particulier contre Belflor. Eft-il poffible, s'écria-telle, que le Comte, qui m'a paru plein de droiture & de probité, foit affez fcélérat pour nous avoir trompé toutes deux? Je ne puis revenir de ma furDS prife

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