pour Cloches qui lui annonçoient deux heures après minuit Dans fa folitude du Fauxbourg Saint Jacques, il ne laiffoit pas de lier commerce avec plufieurs Sçavans, & des plus illuftres, tels que Meffieurs du Hamel, du Verney, de la Hire. M. du Verney lui demandoit affez fouvent des lumieres fur ce qu'il y a en Anatomie qui appartient à la Science des Mécaniques; ils examinoient enfemble des pofitions de Muscles, leurs points d'appui, leurs directions, & M. du Verney apprenoit beaucoup d'Anatomie à M. Varignon, qui l'en payoit par des raifonnemens mathématiques appliquez à l'Anatomie. Enfin en 1687. il fe fit connoître du Public par fon Projet d'une Nouvelle Mécanique dédié à l'Académie des Sciences. Elle étoit nouvelle en effet. Découvrir des veritez, & en découvrir les fources, ce font deux chofes qui peuvent d'abord paroître inféparables, & qui cependant font fouvent féparées, tant la Nature a été avare de connoiffances à notre égard. En Mécanique dont il s'agit ici, on démontroit bien la neceffité de l'Equilibre dans les cas où il arrive; mais on ne fçavoit pas précisément ce qui le caufoit. C'eft ce que M. Varignon apperçut par la Théorie des Mouvemens compofez, & c'eft ce qui fait tout le fujet de fon Livre. Les principes effentiels une fois trouvez, les veritez coulent avec une facilité délicieuse pour l'efprit, leur enchaînement eft plus fimple, & en même tems plus étroit, le fpectacle de leur generation, qui n'a plus rien de forcé, en eft plus agréable, & cette même generation plus légitime en quelque forte, eft auffi plus féconde. La Nouvelle Mécanique fut reçûë de tous les Géométres avec applaudiffement; & elle valut à fon Auteur deux places confiderables, l'une de Géométre dans cette Académie en 1688. l'autre de Profeffeur de Mathématiques au College Mazarin. On vouloit donner du relief à cette Chaire, qui n'avoit point encore été remplie, & il fut choifi. Il mit au jour en 1690. fes Nouvelles Conjectures fur la Pefanteur. Il conçoit une Pierre pofée dans l'Air, & il demande pourquoi elle tombe vers le centre de la Terre. L'Air est un Liquide, dont par confequent les differentes parties fe meuvent en tous les fens imaginables, & une direction quelconque étant déterminée, il n'eft pas poffible qu'il n'y en ait un grand nombre qui s'accordent à la fuivre. On peut imaginer toutes celles qui s'accordent dans une même direction, comme ne faifant qu'une même Colonne. La Pierre est donc frappée par des Colonnes qui la pouffent d'Orient en Occident, d'Occident en Orient, de bas en haut, de haut en bas. Les Colonnes qui la pouffent lateralement d'Orient en Occident, ou au contraire, font égales en longueur, & par confequent en force, & il n'en réfulte à la Pierre aucune impreffion. Mais celles qui la pouffent de haut en bas font beaucoup plus longues que celles qui la pouffent de bas en haut, & cela à quelque distance de la Terre où la Pierre ait jamais pû être portée ; elle fera donc pouffée avec plus de force de haut en bas, que de bas en haut, & elle tombera, & tombera vers le centre de la Terre ; ou, ce qui est le même, perpendiculairement 4 à fa furface, parce que les Colonnes laterales égales en force, l'empêchent de s'écarter, ni à droite, ni à gauche. Si la Pierre étoit à une égale distance & de la Terre, & de la derniere surface de l'Air, elle demeureroit en repos, plus loin elle monteroit. Ce qu'on a dit de l'Air, on le dira de même de la matiere fubtile, & de tout autre Liquide où des Corps feront pofez. Telle eft en general l'idée de M. Varignon fur la caufe de la Pefanteur. Plufieurs grands Hommes ont prouvé par l'inutilité de leurs efforts l'extrême difficulté de cette matiere; & j'avoue qu'il pourroit bien auffi l'avoir prouvée. Du moins ce Systême a-t'il eu peu de Sectateurs ; & quoique fimple, bien lié, bien suivi, il eft vrai qu'un Phyficien, même avant la difcuffion, ne fe fent point porté à le croire. L'Auteur l'auroit plus aisément défendu que perfuadé. Auffi ne l'a-t'il point donné avec cette confiance & cet air triomphant, qui ont accompagné tant d'autres Systêmes; le titre modefte de Conjectures répondoit fincerement à fa pensée. Il ne croyoit point qu'en matiere de Physique, & principalement fur les premiers. principes de la Phyfique, on pût paffer la conjecture, & il fembloit être ravi que fa chere Géométrie eût feule la certitude en partage. Dans fes recherches mathématiques, fon génie le portoit toûjours à les rendre les plus generales qu'il fût poffible. Un Païfage dont on aura vû toutes les parties l'une après l'autre, n'a pourtant point été vû, il faut qu'il le foit d'un lieu affez élevé, où tous les objets auparavant difperfez, se raffemblent fous un feul coup d'œil. Il en va de même des veritez géométriques; on en peut voir un grand nombre difperfées çà & là, fans ordre entr'elles, fans liaison; mais pour les voir toutes ensemble, & d'un coup d'œil, on eft obligé de remonter bien haut, & cela demande de l'effort & de l'adreffe.. Les formules generales Algébriques font les lieux élevez où l'on fe place pour découvrir tout à la fois un grand Pays. Il n'y a peut-être pas eu de Géométre, ni qui ait Il ne pouvoit donc manquer de faifir avidement la Géométrie des Infiniment Petits, dès qu'elle parut ; elle s'éleve fans ceffe au plus haut point de vue poffible, à l'Infini, & de-là elle embraffe une étenduë infinie. Avec quel tranfport vit-il naître une nouvelle Géométrie, & de nouveaux plaifirs? Quand cette belle & fublime V. PHift. Méthode fut attaquée dans l'Académie même *, car il de 1701. P. falloit qu'elle fubît le fort de toutes les nouveautez, il en fut un des plus ardens Défenfeurs, & il força en fa faveur fon caractere naturel ennemi de toute conteftation. Il fe plaignit quelquefois à moi, que cette difpute l'avoit interrompu dans des recherches fur le Calcul Integral, dont il auroit de la peine à reprendre le fil. Il facrifia les Infiniment Petits à eux-mêmes, le plaifir & la gloire d'y faire des progrès au devoir plus preffant de les défendre. 89. & fuiv. 2de Edit.. Tous les Volumes que l'Académie a imprimez, ren- La certitude de la Géométrie n'eft nullement incompa mais cette defagréable surprise; il s'étudie à mettre tout dans le plus grand jour ; il ne s'épargne point, comme font quelquefois de grands hommes, le travail de l'arrangement, beaucoup moins flateur, & fouvent plus pénible que celui de la production même, il ne recherche point par des fouf-entendus hardis la gloire de paroître profond. Il poffedoit fort l'Hiftoire de la Géométrie. Il l'avoit apprise non pas tant précisément pour l'apprendre, que parce qu'il avoit voulu rassembler des lumieres de tous côtez. Cette connoiffance historique eft fans doute un ornement pour un Géométre ; mais de plus ce n'eft pas un ornement inutile. En general plus l'efprit a été tourné & retourné en differens fens fur une même matiere, plus il en devient fécond. Quoique la fanté de M. Varignon parût devoir être à toute épreuve, l'affiduité & la contention du travail lui cauferent en 1705. une grande maladie. On n'est. guéres fi habile impunément. Il fut fix mois en danger, & trois ans dans une langueur, qui étoit un épuifement d'efprits visibles. Il ma conté que quelquefois dans des accès de fievre, il fe croyoit au milieu d'une forêt, où il voyoit toutes les feuilles des arbres couvertes de Calculs algebriques. Condamné par fes Medecins, par fes amis, & par lui-même à fe priver de tout travail, il ne laiffoit pas, dès qu'il étoit feul dans fa chambre, de prendre un Livre de Mathématique, qu'il cachoit bien vâte, s'il entendoit venir quelqu'un. Il reprenoit la contenance d'un malade, & n'avoit pas befoin de jouer beau coup. Il est à remarquer, par rapport à fon caractere, que ce fut en ces tems-là qu'il parut de lui un Ecrit, où il reprenoit M. Wallis fur de certains Efpaces plus qu'Infinis, que ce grand Géométre attribuoit aux Hyperboles. Il foûtenoit au contraire qu'ils n'étoient que finis. * * v. l'Hift. La critique avoit tous les affaifonnemens poffibles d'hon- de 1706. p. nêteté; mais enfin c'étoit une critique: & il ne l'avoit 47. |