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De Pattrait des Spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des Gladiateurs.

C

ETTE émotion naturelle qui s'excite en nous machinalement, quand nous voions nos femblables dans le danger ou dans le malheur, n'a d'autre attrait que celui d'être une paffion dont les mouvemens remuënt l'ame & la tiennent occupée; cependant cette émotion a des charmes capables de la faire rechercher, malgré les idées triftes & importunes qui l'accompagnent & qui la fuivent. Un mouvement que la raison réprime mal, fait courir bien des perfonnes après les objets les plus propres à déchirer le cœur. On va voir en foule un fpectacle des plus affreux que les hommes puiffent regarder, je veux dire le fupplice d'un autre homme qui fubit la rigueur des loix fur un échaffaut, & qu'on conduit à la mort par des tourmens effroïables on devroit prévoir néanmoins, fuppofé qu'on ne le sçût pas déja par fon experience, , que les circonftances du fupplice, que les gémil

femens de fon femblable feront fur lui, malgré lui-même, une impreffion durable qui le tourmentera long-tems avant que d'être pleinement effacée ; mais l'attrait de l'émotion eft plus fort pour bien des gens que les réflexions & que les confeils de l'experience. Lemonde dans tous les païs va voir en foule les fpectacles horribles dont je viens de parler.

C'est le même attrait qui fait aimer les inquietudes & les allarmes que caufent les périls, où l'on voit d'autres hommes expofez, fans avoir part à leurs dangers. Il est touchant, dit Lucrece, (a) de voir du rivage un vaiffeau luter contre les vagues qui le veulent engloutir comme de regarder une bataille d'une hauteur d'où l'on voit en sûreté la mêlée.

t

Suave mari magno turbantibus æquora ventis
E terra alterius magnum spectare laborem :
Suave etiam belli certamina magna tueri
Per campos inftructa tui fine parte pericli.

Plus les tours qu'un voltigeur témeraire fait fur la corde, font périlleux plus le commun des fpectateurs s'y rend attentif. Quand il fait un faut entre deux épées prêtes à le percer, fi dans la cha

(a) De Nat. Rer. lib. 2.

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leur du mouvement fon corps s'écartoít d'un point de la ligne qu'il doit décri

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il devient un objet digne de toute notre curiofité. Qu'on mette deux bâtons à la place des épées, que le vol tigeur faffe tendre fa corde à deux pieds de hauteur fur une prairie, il fera en vain les mêmes fauts & les mêmes tours ; on ne dédaignera plus le regarder; l'attention du fpectateur cefferoit avec le danger.

D'où venoit le plaifir extrême que les Romains trouvoient aux fpectacles de l'amphithéatre. On y faifoit déchirer des hommes vivans par des bêtes féroces. Les Gladiateurs s'entrégorgeoient par troupes fur l'aréne. On rafinoit même fur les inftrumens meurtriers que ces malheureux devoient mettre en œuvre pour s'entretuer. Ce n'étoit point au hazard qu'on avoit armé le Gladiateur Retiaire d'une façon, & le Mirmillon d'une autre; on avoit cherché entre les armes offenfives & les armes défenfives de ces Quadrilles une proportion qui rendît leurs combats plus longs & plus remplis d'évenemens. On vouloit que la mort y vînt à pas plus lents & plus affreux. D'autres Quadrilles combattoient avec d'autres armes. On vouloit

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diverfifier les genres de mort de ces hommes fouvent innocens. On les nourriffoit mêmes avec des pâtes & des alimens propres à les tenir dans l'embonpoint, afin que le fang s'écoulât plus lentement par les bleffures qu'ils recevroient, & que le fpectateur pût jouir ainfi plus long-tems des horreurs de leur agonie. La profeffion d'inftruire les Gladiateurs étoit devenue un art: le goût que les Romains avoient pour ces combats, leur avoit fait rechercher de la délicateffe, & introduire des agrémens dans un fpectacle que nous ne fçaurions imaginer aujourd'hui fans horreur. Il falloit que les Maîtres d'Efcrime (a) qui inftruifoient les Gladiateurs, leur montraffent non- feulement à fe bien fervir de leurs armes, mais il falloit encore qu'ils enfeignaffent à ces malheureuses victimes dans quelle attitude il falloit fe coucher, & quel maintien il falloit tenir, lorfqu'on étoit bleffé mortellement. Ces Maîtres leur apprenoient, pour ainfi dire à expirer de bonne

grace.

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Ce fpectacle ne s'introduifit point à Rome à la faveur de la groffierté des cinq premiers fiécles qui s'écoulerent im(a) Larifa.

médiatement après fa fondation. Quand les deux Brutus donnerent aux Romains le premier combat de Gladiateurs qu'ils euffent vu dans leur ville, les Romains étoient déja civilifez mais loin que l'humanité & la politeffe des fiécles fuivans aïent dégoûté les Romains des fpectacles barbares de l'amphithéatre, au contraire elles les en rendirent plus épris. Les Vierges Veftales avoient leur place marquée fur le premier dégré de l'amphithéatre dans les tems de la plus grande politeffe des Romains, & quand un homme paffoit pour barbare, S'il faifoit marquer d'un fer chaud fon efclave qui avoit volé le linge de table, (a) crime pour lequel les loix condamnent à mort dans la plupart des païs Chrétiens, nos domeftiques qui font des hommes d'une condition. libre. Mais les Romains fentoient à l'amphithéatre une émotion qu'ils ne trouvoient pas au cirque ni au théatre. Les combats de Gladiateurs ne cefferent à Rome qu'après que la religion Chrétienne y fut devenue la religion dominante, & que Conftantin le Grand les eut défendus par une loi expreffe. (b) Il y avoit déja cinq cens ans (c)

(a) Invenal. Sat. 14.

(b) Cod. Juft. lib. x. tit. 44 leg, unica. (c) Plin. hift. lib, trig, cap. 1.

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