Imágenes de páginas
PDF
EPUB

bare entouré des troupes qu'il menoit faccager Rome. Mais dans le tableau dont je parle, Attila représente fi naïvement un Scythe épouvanté, le Pape Leon qui lui explique cette vifion, montre une affurance fi noble & un maintien fi conforme à fa dignité; tous les affiftans ressemblent fi bien à des hommes qui fe rencontreroient chacun dans la même circonftance où Raphaël a fuppofé fes differens perfonnages, les chevaux même concourent fi bien à l'action principale; l'imitation eft fi vrai-semblable, qu'elle fait fur les fpectateurs une grande partie de l'impreffion que l'évenement auroit pû faire fur eux.

On raconte (a) un grand nombre d'histoires d'animaux, d'enfans, & même d'hommes faits qui s'en font laiffé impofer par des tableaux, au point de les avoir pris pour les objets dont ils n'étoient qu'une imitation. Toutes ces perfonnes dira-t'on, font tombées dans l'illufion que vous regardez comme impoffible. On ajoutera que plufieurs oifeaux fe font froiffé la tête contre la perfpective de Ruel, trompez par fon ciel fi bien imité qu'ils ont cru pouvoir prendre l'effort à travers. Des hommes ont fou

(a) Plin. lib. 3. cap. 10%

vent adreffé la parole à des portraits, croïant parler à d'autres hommes. Tout le monde fçait l'histoire du portrait de la fervante de Rembrandt. Il l'avoit expofé à une fenêtre où cette fille fe tenoit quelquefois, & les voifins y vinrent tour à tour pour faire converfation avec la toile.

Je veux bien tomber d'accord de tous ces faits, qui prouvent feulement que les tableaux peuvent bien quelquefois nous faire tomber en illufion, mais non pas

que

l'illufion foit la fource du plaifir que nous font les imitations Poëtiques ou Pittorefques. La preuve eft que le plaifir continue, quand il n'y a plus de lieu à la furprise. Les tableaux plaifent fans le fecours de cette illufion, qui n'eft qu'un incident du plaifir qu'ils nous donnent & même un incident affez rare. Les tableaux plaifent, quoiqu'on ait préfent à l'efprit qu'ils ne font qu'une toile fur laquelle on a placé des couleurs avec art. Une Tragedie touche ceux qui connoiffent le plus diftinctement tous les refforts que le génie du Poëte, & le talent du Comedien mettent en œuvre pour les émouvoir.

Le plaifir que les tableaux & les poëmes dramatiques excellens nous peuvent

faire, eft même plus grand, lorfque tous les voïons pour la feconde fois, & quand' il n'y a plus lieu à l'illufion. La premiere fois qu'on les voit, on eft ébloui de leurs beautez. Notre efprit trop inquiet & trop en mouvement pour fe fixer fur rien de particulier, ne jouit véritablement de rien. Pour vouloir parcourir tout & voir tout, nous ne voïons rien diftinctement. Il n'est perfonne qui n'ait experimenté ce que j'avance, fi jamais il lui est tombé dans les mains quelque livre qu'il souhaitât avec beaucoup d'impatience de lire. Avant que d'en pouvoir lire les premieres pages avec une attention entiere, il lui a fallu parcourir fon livre d'un bout à l'autre. Ainfi quand nous voïons une belle Tragedie, ou bien un beau tableau pour la feconde fois, notre efprit eft plus capable de s'arrêter fur les parties d'un objet qu'il a découvert & parcouru en entier. L'idée génerale de l'ouvrage a pris fon affiete, pour ainfi dire, dans P'imagination; car il faut qu'une telle idée y demeure quelque tems, avant que d'y bien prendre fa place. Alors l'efprit fe livre fans distraction à ce qui le touche. Un curieux d'Architecture n'examine une colonne, & il ne s'arrête fur aucune partie d'un Palais, qu'après avoir donné

le coup d'œil à toute la maffe du bâtiment, qu'après avoir bien placé dans fon ima gination l'idée diftincte de ce Palais.

SECTION

XLIV.

Que les Poëmes dramatiques purgent les paffions.

[ocr errors]

L fuffit de bien connoître les paffions violentes pour défirer férieufement de n'y jamais être affujetti, & pour prendre des réfolutions qui les empêchent du moins, de nous fubjuguer fi facilement. Un homme qui fçait quelles inquiétudes la paffion de l'amour eft capable de caufer: un homme qui fçait à quelles extravagances elle conduit les plus fages, & dans quels périls elle précipite les plus circonfpects, défirera très-férieufement de n'être jamais livré à cette yvreffe. Or les Poëfies dramatiques, en mettant fous nos yeux les égaremens où les paffions nous conduifent, nous en font connoître les fymptômes & la nature plus fenfiblement qu'un livre ne fçauroit le faire. Voilà pourquoi l'on a dit dans tous les tems que la Tragedie purgeoit les paffions. Les autres Poëmes peuvent bien faire

quelque effet approchant de celui de la Tragedie; mais comme l'impreffion qu'ils font fur nous, n'eft point à beaucoup près auffi grande que l'impreffion que la Tragedie fait à l'aide du théatre, ils ne font pas auffi efficaces que la Tragedie pour purger les paffions.

Les hommes avec qui nous vivons nous laiffent prefque toujours à deviner le véritable motif de leurs actions, & quel eft le fond de leur coeur. Ce qui s'en échappe au dehors, & ce qui ne paroît qu'une étincelle, vient fouvent d'un incendie qui fait des ravages affreux dans l'intérieur. Il arrive donc fouvent que nous nous trompons nous-mêmes

en

voulant deviner ce que penfent les hommes, & plus fouvent encore ils nous trompent eux-mêmes dans ce qu'ils nous difent de la fituation de leur coeur & de leur efprit. Les perfonnages de Tragedie quittent le mafque devant nous. Ils prennent tous les fpectateurs pour confidens de leurs véritables projets & de leurs fentimens les plus cachez. Ils ne laissent rien à deviner aux fpectateurs que ce qui peut être deviné sûrement & facilement. On peut dire la même chofe des Come-" dies.

D'ailleurs la profession du Poëte dra

[ocr errors]
« AnteriorContinuar »