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parties d'un Art qui font prefque incapables de nuire, lorfqu'il profcrit celles qui lui femblent trop dangereufes. C'est ainsi qu'en bannissant de fa République ceux des Modes de la Mufique ancienne, dont les chants mols & effeminez lui font fufpects, il y conferve d'autres Modes dont les chants ne lui paroiffent pas devoir être pernicieux.

On pourroit répondre à Platon, qu'un Art néceffaire & même fimplement utile dans la focieté, n'en doit pas être banni, parce qu'il peut devenir un Art nuifible entre les mains de ceux qui en abuferoient. On ne doit profcrire dans un Etat que les Arts fuperflus & dangereux en même tems, & fe contenter de prendre des précautions pour empêcher les Arts utiles d'y faire du dommage: Platon lui-même ne défend pas de cultiver la vigne fur les côteaux de fa République, quoique les excès du vin faffent commettre de grands défordres, & quoique les attraits de cette liqueur engagent fouvent d'en prendre au-delà du befoin.

Le bon ufage que plufieurs Poëtes ont fait dans tous les tems de l'invention & des imitations de la Poëfie, montre affez qu'elle n'est pas un Art inu

tile dans la focieté. Comme il eft auffi propre par fa nature à peindre les actions qui peuvent porter les hommes aux pensées vertueufes, que les actions qui peuvent fortifier les inclinations corrompues : il ne s'agit que d'en faire un bon usage. La peinture des actions vertueufes échauffe notre ame; elle l'é leve en quelque façon au-deffus d'elle même, & elle excite en nous des paffions louables, telles que font l'amour de la patrie & de la gloire. L'habitude de ces paffions nous rend capables de bien des efforts de vertu & de courage,

la raison seule ne pourroit pas nous que faire tenter. En effet le bien de la focieté exige fouvent des fervices fi difficiles, qu'il eft bon que les paffions viennent au fecours du devoir pour engager un citoïen à les rendre. Enfin un bon Poëte fçait difpofer de maniere les peintures qu'il fait des vices & des paffions, que fes Lecteurs en aiment davantage la fageffe & la vertu. En voilà fuffifamment à ce fujet, d'autant plus que les Poëfies Françoifes, comme nous le dirons dans la fuite, ne fçauroient prendre le même empire fur les hommes que celles dont Platon craignoit fi fort les effers. D'ailleurs notre naturel n'est pas

aufli vif, ni auffi fenfible que l'étoit celui des Atheniens.

Mais Platon fait encore une autre objection contre le mérite de la Poëfie. C'eft que les Poëtes ne font que les imitateurs & les copiftes des ouvrages & des productions des autres Artifans. Le Poëte (a) qui fait la description d'un Temple n'eft, felon lui, que le copiste de l'Architecte qui l'a fait élever ; j'en tombe d'accord, & que j'aimerois mieux être, par exemple, l'Architecte qui a fait bâtir l'Eglife de Saint Pierre de Rome, que le Poëte qui en auroit fait en vers une belle defcription. Je veux même qu'il y ait plus de mérite à trouver les proportions qui rendent un vaiffeau excellent voilier, qu'à décrire la rapidité de fon vol fur les vaftes plaines de la mer. Mais fouvent auffi le mérite eft moindre à être l'ouvrier qu'à être l'imitateur ? N'y a-t'il pas plus de mérite d'avoir peint un viel livre comme l'a fait Defpreaux, que de l'avoir relié, & imprimé fi l'on veut ?

A ces mots il faifit un gros Infortiar
Groffi des vifions d'Accurfe & d'Alciat
Inutile ramas de gothique écriture,

(a) De Rep. lib. 10.

Tome I.

C

Dont quatre ais mal unis formoient la couver

ture

Entourée à demi d'un viel parchemin noir
Où pendoit à trois clous un refte de fermoir.

Ici le Copifte vaut mieux que l'Ori ginal. D'ailleurs combien de chofes les Poëtes imitent-ils, lefquelles ne font pas l'ouvrage des hommes, comme le tonnerre & les autres météores, en un mot toute la nature, l'ouvrage du Créateur, Mais ce raifonnement deviendroit une difcuffion Philofophique qui nous meneroit trop loin; contentons-nous de dire que la focieté qui exclueroit de fon fein tous les citoïens dont l'art pourroit être nuifible, deviendroit bientôt le féjour de l'ennui.

SECTION VI.

De la nature des fujets que les Peintres & les Poëtes traitent. Qu'ils ne sçauroient les choisir trop inté reflans par eux-mêmes.

D

És que l'attrait principal de la Poëfie & de la Peinture, des que le pouvoir qu'elles ont pour nous émou voir & pour nous plaire, vient des imita

tions qu'elles fçavent faire des objets capables de nous intereffer la plus grande imprudence que le Peintre ou le Poëte puiffent faire, c'eft de prendre pour l'objet principal de leur imitation des chofes que nous regarderions avec indifference dans la nature: c'est d'emploïer leur Art à nous repréfenter des actions qui ne s'attireroient qu'une attention médiocre fi nous les voïions véritablement, Comment ferons-nous touchez par la copie d'un original incapable de nous affecter? Comment ferons-nous attachez par un tableau qui représente un villageois paffant fon chemin en conduifant deux bêtes de fomme, fi l'action que ce tableau imite ne peut pas nous attacher? Un conte en vers qui décrit une avanture que nous aurions vuë, fans y prendre beaucoup d'interêt, nous intereffera encore moins. L'imitation agit toujours plus foiblement que l'objet imité: (a) Quidquid alteri fimile eft, neceffe eft minus fit, eò quod imitatur. L'imitation ne fçauroit donc nous émouvoir, quand la chofe imitée n'eft point capable de le faire. Les fujets que Teniers, Wowermans & les autres Peintres de ce genre ont re(a) Quintil. Inftit. lib, 10, cap, 2.

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