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préfentez, n'auroient obtenu de nous qu'une attention très - legere. Il n'est rien dans l'action d'une fete de village ou dans les divertiffemens ordinaires d'un corps de garde qui puiffe nous émouvoir. Il s'enfuit donc que l'imitation de ces objets peut bien nous amufer durant quelques momens, qu'elle peut bien nous faire applaudir aux talens que l'ouvrier avoit pour l'imitation, mais elle ne fçauroit nous toucher. Nous louons l'art du Peintre à bien imiter, mais nous le blâmons d'avoir choisi pour l'objet de fon travail des fujets qui nous intereffent fi peu.

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Le plus beau païfage, fût-il du Titien & du Carrache, ne nous intereffe pas plus que le feroit la vue d'un canton de pais affreux ou riant: il n'eft rien dans un pareil tableau qui nous entretienne pour ainfi dire; & comme il ne nous touche gueres, il ne nous attache pas beaucoup. Les Peintres intelligens ont fi bien connu, ils ont fi bien fenti cette verité, que rarement ils ont fait des paifages déferts & fans figures. Ils les ont peuplez, ils ont introduit dans ces tableaux un fujet compofé de plufieurs perfonnages dont l'action fût capable de nous émouvoir & par conféquent de

nous attacher. C'est ainfi qu'en ont ufé le Pouffin, Rubens & d'autres grands Maîtres, qui ne fe font pas contentez de mettre dans leurs païfages un homme qui paffe fon chemin, ou bien une femme qui porte des fruits au marché. Ils y placent ordinairement des figures qui penfent, afin de nous donner lieu de penfer; ils y mettent des hommes agitez de paffions, afin de réveiller les nôtres, & de nous attacher par cette agi tation. En effet on parle plus fouvent des figures de ces tableaux que de leurs terrailes & de leurs arbres. Le païfage que le Pouffin a peint plufieurs fois, & qui s'appelle communément l'Arcadie ne feroit pas fi vanté, s'il étoit fans figures.

Qui n'a point entendu parler de cette fameufe contrée qu'on imagine avoir été durant un tems le féjour des habitans les plus heureux qu'aucune terre ait jamais portez ? hommes toujours occupez de leurs plaifirs, & qui ne connoiffoient d'autres inquiétudes, ni d'autres malheurs que ceux qu'effuient dans les Romans ces Bergers chimeriques dont on veut nous faire envier la condition. Le tableau dont je parle, repréfente le païfage d'une contrée riante.

Au milieu l'on voit le monument d'une jeune fille morte à la fleur de fon âge: c'eft ce qu'on connoît par la ftatue de cette fille couchée fur le tombeau, à la maniere des anciens. L'infcription_sépulcrale n'eft que de quatre mots La tins: Je vivois cependant en Arcadie, Et in Arcadia ego. Mais cette infcription fi courte fait faire les plus férieufes réflexions à deux jeunes garçons & à deux jeunes filles parées de guirlandes de fleurs, & qui paroiffent avoir rencontré ce monument fi trifte en des lieux où l'on devine bien qu'ils ne cherchoient pas un objet affligeant. Un d'entre eux fait remarquer aux autres cette infcription en la montrant du doigt, & l'on ne voit plus fur leurs vifages, à travers l'affliction qui s'en empare, que les reftes d'une joïe expirante. On s'imagine entendre les réflexions de ces jeunes perfonnes fur la mort qui n'épargne ni l'âge, ni la beauté, & contre laquelle les plus heureux climats n'ont point d'azile. On fe figure ce qu'elles vont fe dire de touchant, lorfqu'elles feront revenues de la premiere furprife, & l'on l'applique à foi-même & à ceux à qui l'on s'intereffe.

Il en eft de la Poëfie comme de la

Peinture, & les imitations que la Poë fie fait de la nature, nous touchent feulement à proportion de l'impreffion que la chofe imitée feroit fur nous, fi nous la voïions véritablement. Un conte en vers dont le fujet ne feroit point plaifant par lui-même, ne feroit rire perfonne, quel que bien verfifié qu'il pût être. Quand une Satire ne met pas dans un beau jour quelque verité dont j'avois déja un fentiment confus, quand elle ne contient pas de ces maximes dignes de paffer inceffamment en proverbes, à cause du grand fens qu'elles renferment en abregé, je puis tout au plus la louer d'être bien écrite; mais je n'en retiens rien & j'ai auffi peu d'envie de la vanter que de la relire. Si le trait de l'Epi gramme n'eft pas vif, fi le fujet n'en est pas tel qu'on l'écoutât avec plaisir quand même il feroit raconté en profe, l'Epigramme, quoique bien verftfiée & rimée richement, ne fera rete nuë de perfonne. Un Poëte Dramati que qui met fes perfonnages en des fituations qui font fi peu intereffantes que j'y verrois réellement des perfonnes de ma connoiffance, fans être bien ému, ne m'émeut gueres en faveur de fes perfonnages. Comment la copie me

toucheroit-elle fi l'original n'eft pables de me toucher ?

SECTION VII.

pas ex

Que la Tragedie nous affecte plus que la Comedie, à caufe de la nature des fujets que la Tragedie

traite.

Q

UAND on à fait réflexion que lá Tragedie affecte, qu'elle occupe plus une grande partie des hommes que la Comedie, il n'est plus permis de douter que les imitations ne nous intereffent qu'à proportion de l'impreffion plus ou moins grande que l'objet imité auroit faite fur nous. Or il eft certain que les hommes en géneral ne font pas autant émus par l'action théâtrale, qu'ils ne font pas auffi livrez au fpectacle durant les représentations des Comedies, que durant celles des Tragedies. Ceux qui font leur amufement de la Poëfie Dramatique, parlent plus fouvent & avec plus d'affection des Tragedies que des Comedies qu'ils ont vûës; ils fçavent un plus grand nombre de vers des pieces de Corneille & de Racine, que

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