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de celles de Moliere. Enfin nous fouffrons plus volontiers le médiocre dans le genre Tragique que dans le genre Comique, qui femble n'avoir pas le même droit fur notre attention que le premier

habet Comedia tanto

Plus oneris, quanto venia minus.

difoit Horace. (a) Tous ceux qui travaillent pour notre théâtre parlent de même, & ils affurent qu'il eft moins dangereux de donner un rendez-vous au public pour le divertir en le faifant pleurer, que pour le divertir en le faifant rire.

Il femble cependant que la Comedie dût attacher les hommes plus que la Tragedie. Un Poëte Comique ne dé. peint pas aux fpectateurs des Heros, ou des caracteres qu'ils n'aïent jamais con+ nus que par les idées vagues que leur imagination peut en avoir formées fur le rapport des Hiftoriens: il n'entretient pas le parterre de conjurations contre l'Etat, d'oracles ni d'autres évenemens merveilleux, & tels que la plûpart des fpectateurs, qui jamais n'ont eu part à des avantures femblables, ne fçauroient bien connoître fi les circon(a) Lib. prim. Epipelâ primâ,

Cy

ftances & les fuites de ces avantures font expofées avec vrai-femblance. Au contraire le Poëte Comique dépeint nos amis, & les personnes avec qui nous vivons tous les jours. Le théâtre, fuivant Platon, (a) ne fubfiste, pour ainfi dire que des fautes où tombent les hommes, parce qu'ils ne se connoiffent pas bien eux-mêmes. Les uns s'imaginent être plus puiffans qu'ils ne font, d'autres plus éclairez, & d'autres enfin plus aimables.

Le Poëte Tragique nous expofe les inconveniens dont l'ignorance de foimême eft cause parmi les Souverains, & les autres perfonnes indépendantes qui peuvent fe vanger avec éclat, dont le reffentiment eft naturellement violent & dont les paffions propres à être traitées fur la fcene, peuvent donner lieu à de grands évenemens. Le Poëte Comi que nous expofe quelles font les fuites de cette ignorance de foi-même parmi le commun des hommes, dont le reffentiment eft affervi aux loix, & dont les paffions propres au théâtre ne fçauroient produire que des brouilleries, en un mot des projets & des évenemens ordi naires.

Le Poëte Comique nous entretient fa) In Phil. p. 48.

donc des avantures de nos égaux, & il nous présente des portraits dont nous voïons tous les jours les originaux. Qu'on me pardonne l'expreffion: il fait monter le parterre même fur la scene. Les hommes toujours avides de démêler le ridicule d'autrui, & naturellement défireux d'acquerir toutes les lumieres qui peuvent les autorifer à moins eftimer les autres, devroient donc trouver mieux leur compte avec Thalie qu'avec Melpomene: Thalie eft encore plus fertile que Melpoméne en leçons à notre ufage. Si la Comedie ne corrige pas tous les défauts qu'elle jouë, elle enfeigne du moins comment il faut vivre avec les hommes qui font fujets à ces défauts, & comment il faut s'y prendre pour éviter avec eux la dureté qui les irrite, & la baffe complaifance qui les flate. Au contraire la Tragedie repréfente des Heros à qui notre fituation ne nous permet guéres de vouloir reffembler, & fes leçons & fes exemples roulent fur des évenemens fi peu femblables à ceux qui nous peuvent arriver que les applications que nous en voudrions faire, feroient toujours bien vagues & bien imparfaites.

Mais la Comedie, fuivant la défini

tion d'Ariftote (a) eft l'imitation du ridicule des hommes: & la Tragedie, fuivant la fignification qu'on donnoit à ce mot, (b) eft l'imitation de la vie & du difcours des Heros, ou des hommes fujets par leur élevation aux paffions les plus violentes. Elle eft l'imitation des crimes & des malheurs des grands hommes; comme des vertus les plus fublimes dont ils foient capables. Le Poëte Tragique nous fait voir les hommes en proie aux paffions les plus emportées & dans les plus grandes agitations. Ce font des Dieux injuftes, mais tout-puiffans, qui demandent qu'on égorge aux pieds de leurs autels une jeune Princeffe innocente. C'est le grand Pompée, le vainqueur de tant de Nations, & la terreur des Rois de l'Orient, maffacré par de vils efclaves. Nous ne reconnoiffons pas nos amis dans les personnages du Poëte Tragique, mais leurs paffions font plus impétueufes ; & comme les loix ne font pour ces paffions qu'un frein trèsfoible, elles ont bien d'autres fuites que les paffions des perfonnages du Poete. Comique. Ainfi la terreur & la pitié, que la peinture des évenemens tragiques

(a) Poetic. chap. s.
(b) Vet. Etym, Gral.

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excite dans notre ame nous occupent plus que le rire & le mépris que les incidens des Comedies excitent en

no.s.

SECTION VIII.

Des differens genres de la Poëfie &

de leur caractere.

L en eft de même de tous les genres

I de Poefie, & chaque geme nous touche à proportion que l'objet, lequel i eft de fon effence de peindre & d'imiter, est capable de nous émouvoir. Voilà pourquoi le genre Elegiaque & le genre Bucolique ont plus d'attrait pour nous, que le genre Dogmatique. Ainfi les vers que foupiroit Tibulle & que l'amour lui dictoit, pour me fervir de l'expreffion de l'Auteur de l'Art poetique, nous plaisent infiniment toutes les fois que nous les relifons. Ovide nous charme dans' celles des fes Elegies où il n'a pas fubftitué fon efprit au langage de la nature. Perfonne ne quitta jamais par ce dégoût qui vient de fatieté la lecture des Eglogues de Virgile. Elles font encore un plaifir fenfible, quand elles n'ont plus rien de nouveau pour nous, & quand la

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