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mémoire devance les yeux dans cette lec ture. Ces deux genres de Poëfie nous font entendre des hommes touchez, & qui nous rendroient très-sensibles à leurs peines comme à leurs plaifirs, s'ils nous entretenoient eux-mêmes.

Les Epigrammes, dont le mérite confifte en jeux de mots, ou dans une allufion ingénieuse, ne nous plaifent guéres que lorfqu'elles font nouvelles pour nous. C'est la premiere furprise qui nous frappe. Le trait est émouffé, dès que nous en avons retenu le fens: mais les Epigrammes qui peignent des objets capables de nous attendrir, ou de s'attirer une grande attention en quelque maniere que ce foit, font toujours impreffion fur nous. On les relit plufieurs fois, & bien des perfonnes les retiennent fans avoir jamais pensé à les apprendre. Pour ne point mettre en jeu les Poëtes, modernes, les Epigrammes de Martial, qu'on fçait communément ne font point celles où il a joué fur le mot, mais bien les Epigrammes où il a dépeint un objet capable de nous intereffer beaucoup. Telle eft l'Epigramme de Martial fur Arria la femme de Pétus.

Les Auteurs fenfez qui ont voulu compofer des Poëmes dogmatiques, & faire

fervir les vers à nous donner des leçons, fe font conduits fuivant le principe que, je viens d'expofer. Afin de foutenir l'attention du lecteur, ils ont femé leurs vers d'images qui peignent des objets touchans; car les objets, qui ne font propres qu'à fatisfaire notre curiofité ne nous attachent pas autant que les objets qui font capables de nous attendrir. S'il eft permis de parler ainfi, l'ef prit est d'un commerce plus difficile que

le cœur.

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Comment on rend les Sujets dogmatiques, intereffans.

UAND Virgile compofa fes Geor

Qgiques qui font un Poème dogmati

que, dont le titre nous promet des inAtructions fur l'agriculture & fur les occupations de la vie champêtre, il eut attention à le remplir d'imitations faites. d'après des objets qui nous auroient attachez dans la nature. Virgile ne s'eft pas même contenté de ces images répandues avec un art infini dans tout Pouvrage. Il place dans un de ces livres

une differtation faite à l'occafion des

préfages du foieil, & il y traite avec toute l'invention dont la Poefie eft capable, le meurtre de Jules Cefar, & les commencemens du regne d'Augufte. On ne pouvoit pas entretenir les Romains d'un fujet qui les intereffât davantage. Virgile met dans un autre livre, la Fable miraculeufe d'Ariftée, & la Peinture des effets de l'Amour. Dans un autre, c'est un tableau de la vie champêtre qui forme un païfage riant & rempli des figures les plus aimables. Enfin il infere dans cet ouvrage l'avanture tragique d'Orphée & d'Euridice, capable de faire fondre en larmes ceux qui la verroient véritablement. Il eft fi vrai que ce font ces images qui font caufe qu'on fe plaît tant à lire les Georgiques, que l'attention fe relâche fur les vers qui donnent les préceptes que le titre a promis. Suppofé même que l'objet, qu'un poëme dogmatique nous préfente, fût fi curieux qu'on le lût une fois avec plaifir, on ne le reliliroit pas avec la même fatisfaction qu'on relit une Eglogue. L'efprit ne fçauroit, jouir deux fois du plaifir d'apprendre la même chose; mais le cœur peut jouir deux fois du plaifir de fentir la même émotion. Le plaifir d'apprendre eft confommé par le plaifir de fçavoir.

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Les Poëmes dogmatiques, que leurs Auteurs ont dédaigné d'embellir par des tableaux pathétiques affez fréquens, ne font guéres entre les mains du commun des hommes. Quel que foit le mérite de ces poëmes, on en regarde la lecture comme une occupation férieufe, & non pas comme un plaifir. On les aime moins, & le public n'en retient guéres que les vers qui contiennent des tableaux pareils à ceux dont on loue Virgile d'avoir enrichi fes Georgiques. Il n'eft perfonne qui n'admire le génie & la verve de Lucrece, l'énergie de fes expreffions, la maniere hardie dont il peint des objets, pour lefquels le pinceau de la Poëfie ne paroiffoit point fait : enfin fa dexterité pour mettre en vers des chofes que Virgile lui-même auroit peut-êtrè défefperé de pouvoir dire en langage des Dieux: mais Lucrece eft bien plus admiré qu'il n'eft lû. Il y a plus à profi

ter dans fon Poëme De natura rerum tout rempli qu'il eft de mauvais raifonnemens, que dans l'Eneide de Virgile: cependant tout le monde lit & relit Virgile, & peu de perfonnes font de Lucrece leur livre favori. On ne lit fon ouvrage que de propos déliberé. Il n'eft point, comme l'Eneïde, un de ces

livres fur lefquels un attrait infenfible fait d'abord porter la main quand on veut lire une heure ou deux. Qu'on compare le nombre des traductions de 1 Lucrece avec le nombre des traductions de Virgile dans toutes les langues polies, & l'on trouvera quatre traductions de l'Eneide de Virgile contre une traduction du Poëme De natura rerum. Les hommes aimeront toujours mieux les li→ vres qui les toucheront que les livres qui les inftruiront. Comme l'ennui leur eft plus à charge que l'ignorance, ils préferent le plaifir d'être émus au plaifir d'ê tre inftruits.

SECTION X.

Objection tirée des Tableaux & faite pour montrer que l'art de limitation intereffe plus que le fujet même de limitation.

Obleaux où nous ne voions que l'iN pourroit objecter que des ta

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mitation de differens objets qui ne nous auroient point attachez fi nous les avions vus dans la nature, ne laiffent pas de fe faire regarder longtems. Nous donnons plus d'attention à des fruits &

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