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fupportable. D'ailleurs la Poëfie manque d'expreffions propres à nous inftruire de la plus grande partie de ces circonstan→ ces. A peine la Phyfique viendroit-elle à bout, avec le fecours des termes qui lui font propres, de bien expliquer le temperament plus ou moins compofé, & le caractere de chaque fpectateur. Pour faire concevoir fans peine & diftinctement tous ces détails, il faut les expofer aux yeux.

Au contraire rien n'eft plus facile au Peintre intelligent que de nous faire connoître l'âge, le temperament, le fexe, la profeffion, & même la patrie de fes perfonnages, en fe fervant des habillemens, de la couleur des chairs, de celle de la barbe & des cheveux, de leur longueur & de leur épaiffeur, comme de leur tournure naturelle, de l'habitude du corps, de la contenance, de la figure de la tête, de la phyfionomie, du feu, du mouvement & de la couleur des yeux, & de plufieurs autres chofes qui rendent le caractere d'un perfonnage reconnoiffable par fentiment. La nature a mis en nous un instinct, pour faire le difcernement du caractere des hommes, qui va plus vite & plus loin que ne peuvent aller nos réflexions fur les indi

ces & fur les fignes fenfibles de ces caracteres. Or cette diverfité d'expreffion imite merveilleufement la nature qui, nonobftant fon uniformité, eft toujours marquée dans chaque fujet à un coin particulier. Où je ne trouve pas cette diverfité, je ne vois plus la nature & je reconnois l'Art. Le tableau dans lequel plufieurs têtes & plufieurs expreffions font les mêmes, ne fut jamais fait d'après la nature.

Le Peintre ne trouve donc aucune opposition du côté de la mécanique de fon Art à mettre dans chaque expreffion un caractere particulier. Il arrive même fouvent que le Peintre, en operant com→ me Poëte, fe fuggere à lui-même comme colorifte & comme deffinateur des beautez qu'il n'auroit point rencontrées s'il n'avoit point eu des idées Poëtiques à exprimer. Une invention en fait éclore une autre. Des exemples rendront encore notre réflexion plus facile à con

cevoir.

Tout le monde connoît le tableau de Raphaël, où Jefus-Chrift confirme à faint Pierre le pouvoir des clefs en préfence des autres Apôtres : c'eft une des pieces de tapifferies de la tenture des Actes des Apôtres que le Pape Leon X,

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fit faire pour la Chapelle de Sixte IV. & dont les cartons originaux fe conferyent dans la Galerie du Palais que Marie Stuard Princeffe d'Orange fit bâtir à Hamptoncourt. Saint Pierre tenant ces clefs, est à genouil devant Jefus-Christ, & il paroît pénetré d'une émotion conforme à fa fituation: fa reconnoiffance & fon zéle pour fon Maître paroiffent fenfiblement fur fon visage. Saint Jean l'Evangeliste représenté jeune comme il l'étoit, eft dépeint avec l'action d'un jeune homme il applaudit avec le mouvement de franchise fi naturel à fon âge, au digne choix que fait fon Maître, & qu'on croit appercevoir qu'il eut fait luimême, tant la vivacité de fon approbation eft bien marquée par un air de yifage & par un mouvement du corps très-empreffé. L'Apôtre qui eft auprès de lui, femble plus âgé, & montre la phyfionomie & la contenance d'un homme pofé: auffi, conformément à son caractere, applaudit-il par un fimple mouvement des bras & de la tête. On diftingue à l'extrêmité du grouppe un homme bilieux & fanguin : il a le vifage haut en couleur, la barbe tirante fur le roux, le front large, le nez quarré tous les traits d'un homme fourcil

leux. Il regarde donc avec dédain, & en fronçant le fourcil, une préferen→ ce qu'on devine bien qu'il trouve injufte. Les hommes de ce temperament croïent volontiers ne pas valoir moins que les autres. Près de lui eft placé un autre Apôtre embarraffé de fa contenance ; on le difcerne pour être d'un temperament mélancolique à la maigreur de fon visage livide, à fa barbe noire & plate, à l'habitude de fon corps, enfin à tous les traits que les naturalistes ont affignez à ce temperament. Il fe courbe, & les yeux fixement attachez fur Jefus-Chrift, il eft dévoré d'une jaloufie morne pour un choix dont il ne fe plaindra point, mais dont il confervera longtems un vif reffentiment: enfin on reconnoît là Judas auffi diftinctement qu'à le voir pendu au figuier une bourse renverfée au col,

Je n'ai point prêté d'efprit à Raphaël, & je doute même qu'il foit poffible de pouffer l'invention poëtique plus loin que ce grand Peintre l'a fait dans les tableaux de fon bon tems, Une autre piece de la même tenture repréfente faint Paul annonçant aux Atheniens ce Dieu auquel ils avoient dreffé un autel fans le connoître, & Raphaël a fait de

l'auditoire de cet Apôtre un chef-d'œu vre de Poëfie, en fe tenant dans les bornes de la vrai-semblance la plus exacte. Un Cynique appuïé fur fon bâton, & qu'on reconnoît pour tel à l'éfronterie & aux haillons qui faifoient le caractere de la Secte de Diogene, regarde faint Paul avec impudence. Un autre Philofophe qu'on juge à fon air de tête un homme ferme & même obftiné, a le menton fur la poitrine : il est absorbé dans des réflexions fur les merveilles qu'il entend, & l'on croit s'appercevoir qu'il paffe dans ce moment-là de l'ébranlement à la perfuafion. Un autre ą la tête panchée fur l'épaule droite, & il regarde l'Apôtre avec une admiration pure, qui ne paroît pas encore accompagnée d'aucun autre fentiment. Unautre porte le fecond doigt de fa main droite fur fon nez, & fait le gefte d'un homme qui vient d'être enfin éclairé fur des veritez dont il avoit depuis longtems une idée confufe. Le Peintre oppofe à ces Philofophes des jeunes gens & des femmes qui marquent leur étonnement & leur émotion par des ge ftes convenables à leur âge comme à leur fexe. Lechagrin est peint sur le vifage d'un homme vêtu comme le pou

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