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M. Newton raisonne toûjours fur une faufle fuppofition. Nous verrons fi, même fur cette fauffe fuppofition, il raifonne jufte.

V

Il met de la différence entre régne & génération, & prétend que felon le cours de la nature un régne doit bien moins durer qu'une génération. Mais les Royaumes dont il s'agit étant héréditaires, on ne voit pas trop pourquoi ni comment ces régnes diffèrent d'une génération felon le cours de la nature. La nature n'étoit-elle pas la même pour les Rois que pour les particuliers, & fur tout pour les anciens Rois dont il s'agit?

Enfin M. Newton le veut, il faut réduire le régne à près de la moitié d'une génération, & de ce que les Anciens y ont donné. C'eft beaucoup que la moitié ; mais ne craignons rien; M. Newton va nous raffûrer. En effet, il faut bien qu'il ne foit pas trop content luimême de cette réduction; car c'eft un préjugé contre lui qui vient d'abord à l'efprit; il femble que M. Newton ne fache à quoi s'en tenir; il n'eft ferme fur aucune des réductions qu'il a imaginées. Dans fa Préface il fixe le régne ou la fucceffion à 18. ans; dans le corps de fon ouvrage deux fois à 18. ou 20. ans. Dans la pratique il applique trois fois fa réduction à fa Chronologie; la prémière fois à l'an 937. où il donne 28. à 30. ans à châque fucceffion des Héraclides depuis l'expédition des Argonautes jufqu'à la guèrre du Péloponêfe. Car Efculape, dit-il, & Hercule étoient du nombre des Argonautes. Hypocrate étoit le 18e def cendant d'Hercule par les femmes au tems de la guèrre du Pelopontfe. Ces générations étoient marquées dans l'Hiftoire par les chefs de familles, & par conféquent le plus ordinairement par les fils ainez. AINSI ON NE PEUT LEUR DONNER MOINS de 28. à 30. ans depuis Hercule jufqu'à la guèrre du Péloponêse. Ainfi 17. générations par les pères & 18. par les mères ne feront qu'environ 507, ans qu'il fau dra compter en remontant avant la guèrre du Péloponéfe. Au contraire à l'an 825. pour les Rois de Sparte & les Héraclides qui regnèrent depuis leur retour jufqu'à la bataille des Thermopyles M. Newton ne donne (que 20. ans à châque régne. Depuis ce retour, dit-il, jusqu'à la prémière a

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année de la guèrre des Meffeniens il avoit régné dix Rois à Sparte dans une branche des Héraclides, & neuf dans l'autre branche. Voilà précisément, comme dans l'exemple précédent, une génération de plus d'un côté que de l'autre ; mais la réduction de M. Newton eft bien différente, & le cours de la nature va bien changer. En donnant, continuë-t-il, à chacun de ces régnes l'un portant l'autre environ 18. ou 20 ans, fuivant le cours de la nature, cela fait à pen près 200. ans, &c. Enfin pour les Rois de Rome il réduit le régne à 15. ans & demi, ne leur donnant à tous les fept

que 109. ans.

C'eft bien pis pour les Archontes pèrpétuels. Depuis la mort de Codrus arrivée, felon M. Newton, l'an avant Jésus-Chrift

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jufqu'au prémier Archonte décennal qu'il place à l'an avant Jésus-Chrift

il n'y a que

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650.

153. ans

qui diftribuez à treize Archontes pèrpétuels ne font pas douze ans de Magiftrature pour châcun. Pourquoi tant de variations? Une bonne règle devroit être plus uniforme, & la nature n'eft point fi changeante.

Il y a pourtant quelque chofe de plus fingulier encore. Ces Archontes pèrpétuels de moins de douze ans l'un portant l'autre, donnent de l'ombrage aux Athéniens. Ils diminuënt le tems de leur Magiftrature, & la réduifent, à quoi? A dix ans. Eh que ne laiffoient-ils faire la nature? Elle les fervoit affez à leur gré? Falloit-il la chicaner pour environ un an & demi Eft-ce le nom de pèrpétuels qui choquoit? Mais en leur accordant à châcun dix ans on les rendoit à peu près auffi pèrpétuels que les prémiers. Tout cela veut dire que fi les Archontes perpétuels n'avoient eu qu'onze ans quelques mois chacun, il eut été puérile de les réduire à dix par ombrage fur la trop longue durée de leur magiftrature, & qu'on ne l'eût point fait; qu'il faut donc qu'ils demeuraffent communément beaucoup plus en char ge & qu'on s'en doit tenir à ce qu'en difent les Hiftoriens. Je vois ce que l'on peut m'oppôfer, mais voici quelque

chofe de plus particulier encore, & où il y aura moins de replique. Au même tems que les Archontes de perpétuels qu'ils étoient deviennent décennaux, comme fi la nature étoit aux gages du peuple d'Athènes, elle change de nouveau fon cours quand celui-ci change la conftitution de l'Etat. Auparavant le cours de la nature étoit de 12. ans, il ne fera plus que de 5. Plufieurs de ces Archontes, dit M. Newton, DOIVENT (fans doute felon le cours de la na ture, car ce n'étoit pas felon la loy, puifquelle leur accordoit dix ans) Plufieurs de ces Archontes DOIVENT ESTRE MORTS AVANT LA FIN DES DIX ANS, ce qui en reftoit étoit rempli par le nouvel Archonte de forte que ces Sept Archontes décennaux n'auront occupé qu'environ 40. on 50. ans. On dit 40. ou so. ans pour adoucir au Lecteur cette réduction violente; mais au vrai on ne leur donne que 40. ans, puifqu'on les fait commencer l'an 650. avant Jéfus-Chrift, & finir l'an 610. Ces Archontes n'étoient-ils pas des hommes comme leurs prédéceffeurs, vivans fous le même climat, dans la même Ville, & peu de tems après; n'étoient-ils pas tirez des mêmes tirez des mêmes corps, élus de même, & au même âge à peu près ? Qu'y avoit-il de différent que le tems de la magiftrature? Ne devoient-ils donc pas l'un portant l'autre vivre autant que leurs prédéceffeurs, & à peu près douze ans après leur élection, & par conféquent remplir tous ou préfque tous les dix ans que la loy leur donnoit ? Qu'y avoit il de fi fatal dans la qualité de décennal qui renversât la nature, qui obligeât tout à coup la mort à précipiter fes pas & à venir pour eux l'un portant l'autre fept ans plûtôt que pour leurs prédéceffeurs? En un mot la nature avoit-elle en même tems, ou prèfque en même tems tant de cours différens, un pour les Héraclides, un autre pour les Pélopides, ou pour les Rois d'Athénes; un pour les Héraclides de la branche dont étoit Hippocrate, un autre pour une autre branche; un pour les Grecs, un pour les Romains, un pour les Rois d'Athènes, un autre pour les Archontes; un pour les Archontes pèrpétuels, un pour les décennaux ? Allons à la fource. M. Newton fur un faux calcul aftronomique a cru qu'il y avoit plus de 500. ans à retrancher au nombre des fiécles que les Hiftoriens

comptent avant Jésus-Chrift. M. Newton repartit cette fomme d'années le mieux qu'il peut fur differentes têtes, sur les Héraclidés fur les Rois, fur les Archontes

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&c. il taxe leurs vies, fi j'ofe ainfi parler, & prend à châcun environ la moitié de ce qu'il avoit de regne dans l'Hif

toire.

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Encore avec tout cela les événemens ne quadrent-ils pas toûjours trop juste dans le nouveau Syftême. Par exemple: Pour l'intèrval qu'il y a entre le retour des Héraclides & la bataille des Thermophiles, il faudroit à M. Newton 345. ans. Autrement le retour des Héraclides ne fera pas mais 85. ans après la prife de Troye. Cependant il n'a pû trouver que 340. ans, & au lieu de placer ce retour à l'an 820. comme il devroit felon fon propre calcul, il eft obligé de le mettre à l'an 825.

8o. ans,

bien

On répondra fans doute ce que M. Newton dit dans fa Préface; que c'est peu de chofe; qu'il avouë qu'il peut s'être trompé en quelques endroits de s. ou de 10. ans, ou mê me quelquefois de 20. ans. mais qu'il ne pense pas que cela aille au delà. Et en faut-il davantage pour déconcerter & renvèrfer tout un Syftême chronologique, qui ne fubfifte que par la jufteffe des époques & le nombre des années par tout exactement gardé; ou plûtôt qui n'eft autre chofe que cette jufteffe & cette exactitude la même régulière ment observée dans toutes fes parties. Mais en fuivant par tout une régle uniforme, comme on le devroit, & donnant felon le nouveau Système 18. ou 20. ans à châque regne ou fucceffion, il y auroit fouvent bien plus de 10. & de 20. ans à dire. On trouveroit pour les Héraclides de la branche feminine 147. ans, 107. ans pour les Archontes pèrpétuels, 31. ans pour les Rois de Rome; & l'on n'évite tous ces mécomptes que par des irrégularitez tout à fait contraires, comme je l'ai montré, au nouveau Syftême, & au cours de la nature fur lequel on prétend le fonder.

l'un

Mais il y a de l'excès dans les Anciens, c'est trop donner à châque regne que de les faire d'environ ans 33. portant l'autre, comme la génération; le cours ordinaire de la nature demande qu'on les réduife à 18. ou 20. ans. La preuve en est aifee. Que l'on prenne l'histoire vérita

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ble, les fuites des Rois de l'Europe de ces derniers fiécles, dons nous connoiffons feurement les années; on trouvera qué châcun n'a regné l'un portant l'autre que 18. à 20. ans. Ainfi pour rendre la Chronologie ancienne des Rois d'Athènes, de Sparte, de Messene, de Rome, des Archontes, &c. conforme au cours de la nature, il n'y a qu'à faire, comme tant de Rois de France, d'Efpagne, d'Angleterre, &c.font à tant d'années pendant lefquelles ils ont regné,ainfi ont dû être tant d'Héraclides, tant de Rois d'Athènes ou de Sicyon, tant d'Archontes perpétuels, tant de Rois de Sparte, tant de Rois de Rome, &c. à autant de quatriêmes nombres qui exprimeront le tems que la domination de châcun de ces Princes aura duré. Les Hiftoriens les plus anciens & les moins fufpects, les monumens de l'Antiquité les plus vénérables auront beau dire le contraire, c'eft là le cours de la nature; la régle de proportion dément tous les Historiens & la Géométrie doit en être crue plûtôt qu'eux.

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Voilà une régle d'Hiftoire, de Chronologie & de Critique bien extraordinaire affurément & bien nouvelle. Il eft étonnant quel ufage, ou plûtôt quel abus bien des gens font de ces fortes de preuves. Parce qu'on a du génie pour la Géométrie, & qu'on en fait le principal de fes études, on l'applique à tout, on y réduit tout. Les effets de la nature les plus inconftans & les plus bizarres, l'histoire, la morale, la Religion même, des faits qui ne dépendent que de la volonté libre de Dieu ou de l'homme & fouvent d'une infinité de volontez différentes, tout fe mefure aux régles de proportion, tout s'y rapporte, il faut que tout s'y plie; Eft-il rien de moins raisonnable? Châque Science a fon diftrict & fon objet à part; & châque objet, c'est-àdire, châque vérité, n'est pas fufceptible des mêmes preuves. Les faits historiques ne fe prouvent que par des témoi gnages; ils ne font point de la compétence de la Géométrie, ni de l'Arithmétique, non plus que les problêmes de la Géométrie ne font point de la jurisdiction de l'Hif

toire.

Ce que nous venons de dire & les variations de la nature que nous venons de montrer par M. Newton lui-même, fuffisent pour détruire le nouveau theoreme & la nott

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