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Quoique je me fois propofé d'éviter dans cet Ouvrage toutes les recherches qui n'ont pour bafe que des conjectures, on me permettra d'expofer ici en peu de mots ce que peut foupçonner de plus raisonnable fur l'origine des Huns ou Tartares.

l'on

Lorfque les premieres Colonies commencerent à quitter les plaines de Sennaar, il y a beaucoup d'apparence qu'une partie, après avoir peuplé la Perfe & la Bactriane s'avança jufqu'à cette gorge formée par les montagnes qui font fituées près de l'endroit où l'on a bâti dans la fuite la ville de Kafchgar dans la petite Bukharie. Ce pays eft environné au Nord & au Sud par de grandes chaînes de montagnes. Le milieu eft un vafte défert prefque impratiquable à caufe de la quantité des fables & de la ftérilité du terrain. En cotoyant le pied des montagnes qui font dans la partie Septentrionale,on trouve une fuite de terres fertiles, où dans les tems poftérieurs on a conftruit plufieurs villes & villages qui forment une route par laquelle on parvient à la Chine. C'est probablement celle que les premieres Colonies Chinoises ont tenue, celle par laquelle elles font entrées dans la province de Chen-fi, qui, felon le récit des Hiftoriens de la Chine, paroît avoir été la premiere habitée, & où les plus anciens Empereurs faifoient leur réfidence.

Ces Colonies ne femblent avoir rien de commun avec celles de la Tartarie. Ces dernieres,en partant des plainės de Sennaar, ont tourné au Nord & fe font enfoncées dans les vallées étroites que forment les montagnes inacceffibles de l'Arménie & de la Géorgie. De-là elles ont pénétré dans les plaines qui font entre les deux grands fler ves, le Volga & le Tanaïs, d'où elles fe font répandues enfuite à droite & à gauche & ont formé du côté de l'Occident les Nations Européennes, du côté de l'Orient les Nations Tartares.

Le chemin inpratiquable qu'il falloit tenir à travers les montagnes de la Georgie & du détroit de Derbend, a empêché que ces Colonies ayent été fuivies par une foule d'autres; & le petit nombre de celles qui s'y font

engagées y ont contracté une humeur féroce, caractere ordinaire de ceux qui vivent dans les montagnes. Ces peuples fe font moins appliqués que les autres à inventer ou à connoître les arts qui avoient été inventés, & ils ont eu moins d'occasion d'être policés par la fréquentation & l'arrivée des nouvelles Colonies. Ceux de la Chine, au contraire, où il étoit facile de pénétrer en fuivant une route prefque toujours fertile & unie, ont reçu plus fouvent & plus facilement les arts inventés ou confervés par les peuples qui étoient reftés aux environs de Babilone. Les Tartares qui n'ont que de vaftes pâturages, garderent dans leurs plaines leur ancienne maniere de vivre. Les Chinois qui trouverent par- tout des rivieres, des champs fertiles en grains & en arbres fruitiers, s'adonnerent à l'agriculture, furent obligés d'arrêter par des digues l'impétuofité des rivieres, de creufer des canaux pour en difperfer les eaux ou les diftribuer plus avantageufement: ils cultiverent les fciences, d'abord les plus néceffaires, & pafferent enfuite à celles qui ne font que d'agrément, pendant que la Tartarie, qui ne fourniffoit que des pâturages pour nourrir des troupeaux, força fes habitans à fe borner à la vie champêtre & à n'être que des Pastres.

Les Tartares ont négligé de tranfmettre à la poftérité l'hiftoire de leurs ancêtres. Plufieurs même n'ont pas connu l'art d'écrire, & nous ne pourrions parvenir à donner quelque chofe d'éxact, fi les Chinois, avec lefquels ils ont eu des guerres prefque continuelles, n'en euffent parlé fréquemment dans leurs Annales (a). Il s'eft cependant confervé parmi eux quelques traditions, qui, fuivant les apparences, font l'ouvrage des Ecrivains poftérieurs. Dans une collection générale des événemens qui regardent l'Hiftoire des Huns, je ne puis me difpenfer de les rapporter. Quelle eft en effet la Nation dont l'histoire, fi nous en exceptons les écrits de Moyfe, ne débute pas par

(a) Le principal Hiftorien dont j'emprunte toutes ces traditions eft Aboulgazi Bahadur Khan, Sultan de Kharisme, qui nous a donné une Hiftoire gé

néalogique des Tatars. Mir-kond s'est auffi fort étendu fur l'Hiftoire de cette

Nation. Beidawi en dit peu de choses, mais il eft plus éxact,

'des fables? Comme parmi ces traditions incertaines ou mé-
me fabuleuses, il s'en trouve plufieurs qui femblent avoir
rapport à quelques événemens dont je parlerai dans la fuite,
& qu'elles nous font connoître le fentiment de cette Na-
tion fur fon origine; j'ai crû devoir les réunir toutes à la
tête de ce volume, me réservant à les expliquer à mesure
que
l'Hiftoire m'en fournira d'elle-même les occafions &
les moyens.

Hift. gé

Tatars.

Après que Noé fut forti de l'Arche, il partagea la terre à fes trois enfans. Kham fut envoyé dans les Indes, Sem néalog. des eut l'Yran, c'est-à-dire les pays qui font fitués au Sud de la riviere Oxus, entre l'Indus & le golphe Perfique (a).' Japhet habita dans les pays de Kuttup Schamach : c'eft ainfi que l'on appelle ces vaftes contrées que l'on voit au Nord, au Nord-Oueft de la mer Cafpienne, & au NordEft des Indes. Il campa aux environs des rivieres Etel ou de Volga & de Jaïk. Après y avoir demeuré pendant deux cent cinquante ans, il mourut laiffant huit fils (b) qui font Turk (c), Chars, Saklab, Ruff (d), Maninach, Zwin

(a) Selon les Orientaux fon pere lui donna en partage les pays qui font fitués au Nord & à l'Orient de l'Arménie. Avant que de partir pour habiter dans ces Contrées, Noé lui fit préfent d'une pierre que les Turcs Orientaux appellent GioudéTafch ou Giour-Tufch, & les Perfans Senk-Jede, fur laquelle étoit écrit le grand nom de Dieu. Les Arabes la nomment Hajr el Mathar, c'cft-à-dire pierre de la pluye: avec cette pierre on pouvoit faire defcendre la pluye du Ciel quand

on le vouloit.

Japhet fut appellé Aboul-Turk, c'està-dire le Pere des Turcs.

(b) D'Herbelot en nomme onze qui font Gin ou Tchin ou Sin, le même que Zwin le pere des Chinois, Seclab celui des Efclavons, Manfchouge le même que Maninack ou Mameluk pere des Gots ou Scithes appellés Yagiouge & Magiouge; Gomari, ou Camari le Gomer de la Genêfe, il porte encore le nom de Keimak; Turk le pere des Turcs; Khofar le même que Chars dont

defcendent les Khofariens, Rouff pere
des Ruffes ou Mofcovites, Souflan, ou
Sadenan, Gaz & Tarage les peres des
Turcomans. Japhet les maria tous à leurs
propres fœurs avant qu'ils fe difperfaf-
fent.

(c) Le nom de ce Patriarche a été don-
né à toute fa poftérité. Les Orientaux le
donnent aux Tartares, aux Mogols, aux
Ygours & aux Khataiers. D'Herbelot dit
que fa poftérité fut divifée en quatre
grandes Tribus qui font Erlat, Gelair
Caouchin & Berlas ou Perlas, qui fe
partagerent fous Ogouzkhan en vingt-
quatre peuples.

(4 Selon les Orientaux ce perfonnage eft le pere des Ruffes auxquels on a donné encore le nom de Benageca, d'où M. d'Herbelot croit que les Tartares de Budziak tirent leur origine. Rouff, à ce que l'on prétend, étoit d'un naturel inquiet & turbulent. Il fit fouvent la guerre à fon frere Khofar, & l'obligea à lui abandonner les lles qui font dans le Volga. Il fit femer le bled que nous appellons de

(a), Camari (b) & Taridge(c). Il choisit Turk, en qui il avoit reconnu un efprit fupérieur, pour chef de toute la nation. Turk avoit reçu de fon pere le furnom de Japhet-Oglan, c'est-à-dire fils de Japhet: il inventa quantité de chofes utiles, il fit des tentes, demeure ordinaire de ces peuples. Il pénétra plus avant du côté de l'Orient, & vint habiter dans les pays où fe trouve le lac Iffi-Kol (d) près du fleuve Ili & vers Harcas, qui eft aujourd'hui la réfidence du Khan des CalmouкS.

Turk eut quatre fils (e), Taunak,Zakale, Berzazar & Amlak. Le premier lui fuccéda & fut un grand & puiffant Prince, qui inventa le fel (ƒ) & en procura l'ufage à fes fujets. Il vécut deux cent quarante ans, & laiffa le Thrône à fon fils Eltchi-Khan (g). Celui-ci après un regne très

Turquie, & que les Turcs appellent Rouff & Borlgar. Il fit des loix injuftes & tyranniques. il ôta aux enfans mâles la fucceffion aux biens de leurs peres pour la donner aux filles, & introduifit la coûtume de mettre entre les mains des garçons une épée lorsqu'ils étoient en âge. de la porter. C'étoit tout leur héritage.

(a) Ce nom que l'on joint toujours à Magin défigne les Chinois Méridionaux, comme Yagiouge & Magiouge, ou Gog & Magog, défigne dans les Auteurs Orientaux les Chinois Septentrionnaux, quoique quelques-uns mettent les peuples de Yagiouge & Magiouge vers le l'ôle. Mais le voyage d'un Arabe nommé Salam, dans ce pays, Tous le Kalif Watheq, nous indique la Chine environnée de cette fameufe muraille, que les Arabes attribuent à Alexandre. Gin ou Tchin ou Sin étoit pere de Magin. Il enfeigna aux Chinois la peinture, la fculpture & l'art de préparer la foye.

(b) Camari ou Gomar, à ce que prétendent les Orientaux, vint habiter près du fleuve Etel ou Volga, où il eut deux enfans nommés Bulgar & Berhas, qui fonderent chacun une ville du même nom. Le premier fut le pere des Bulgares. La ville de Bulgar n'étoit pas de Saraï.

loin

(c) Les Ecrivains Orientaux donnent

encore à Japhet un fils nommé Ghaz qui après avoir été vaincu par Turk, fe retira fur les bords du fleuve Buigar ou Volga, & s'y établit.

(d) D'Herbelot par une tranfpofition de lettres prononce ce mot Silencai ou Silouck, & il dit que c'eft la premiere ville ou habitation du Turkeftan.

(e) D'Herbelot les nomme, Tontok ou Tontek, Gengthel, Barfegia ou Ba◄ regia, Ilak ou Imlak.

(f) D'Herbelot attribue cette invention a Ylak qu'il fait quatriéme fils de Turk, & qui eft le même qu'Amlak. C'eft en laiffant tomber un morceau de viande qu'il mangeoit & qu'il trouva d'un meilleur goût, qu'il découvrit le fel. Les Chinois donnent à cette invention la méme origine, & ils l'attribuent à Hoam-ti, un de leurs plus anciens Em

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long eut pour fucceffeur fon fils Dibbacoui - Khan: le Throne paffa enfuite à Kayouк-Khan (a), fils de Dibbacoui ; & de Kaiouk à fon fils Alinge-Khan.

Jufques alors, fi l'on peut ajouter foi à ces traditions les Turcs avoient perféveré dans la connoiffance du vrai Dieu, & dans la pratique de la véritable Religion. Sous le regne d'Alingé la paix & l'abondance leur firent oublier les maximes de leurs ancêtres. Uniquement occupés des objets qui leur étoient les plus chers, on vit un fils fe faire un Dieu de l'image de fon pere, un mari de celle de fa femme, un pere facrifier à fon fils, & une femme à fon mari. Le culte que l'on rendoit à ces figures d'abord tenu caché, ne tarda pas à devenir public.

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Alingé-Khan (b) eut deux fils jumaux, l'un appellé Tatar, & le fecond Mogul ou Mung'l,entre lefquels il partagea fes Etats. C'eft du premier de ces Princes que la Tribu des Tartares prétend être defcendue, de même que celle des Mogols rapporte fon origine au fecond. Voici le nom des Princes qui regnerent fur la Tribu des Tartares. (c)

Tatar-Khan.

(d) Bukha Khan, fils de Tatar,
(e) Yalenzé Khan, fils de Bukha.
(f) Ettelé-Khan, fils de Yalenzé.

(g) Attaifir-Khan, fils d'Ettelé. Celui-ci eut de longues & fanglantes guerres à foutenir. Ordou-Khan, fils d'Attaifir.

(h) Baidou-Khan, fils d'Ordou. Ce Prince fit la guerre à

Etats. Ces Loix réduites en Corps font appellées Jaffa.

«) D'Herbelot le nomme Gaïouk : il dit d'après Mir-khond, qu'il étoit fort libéral & qu'il aimoit la bonne chere; que les injuftices & fes violences firent regretter le regne de fon pere.

(b) On le nomme encore Jlingé. Mirkhond dans d'Herbelet eft conforme à l'Hiftorien Tartare.

(c) Cette Tribu eft une des plus anciennes & des plus fameufes de toute la Tartarie: elle étoit compofée de plus de foixante-dix mille familles, & n'avoit qu'un

feul Khan; elle fe partagea enfuite en
plufieurs branches, dont la principale alla
habiter fur les frontieres du Khataï dans
le pays de Biurnaver: elle fut reduite fous
l'obéiffance du Khatai avec lequel elle a
eu fouvent des guerres. Une autre bran-
che habita le long de la riviere Ikran-
Mouren ou Jenifea.

(d) On le nomme excore Youka,
(e) Ou Bilingé-Khan.
(f) Ou Jflali Khan.
(g) Ou Altour-Khan.

(b) D'Herbelot obmet ce Prince.

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