que ces paroles: Malheur, malheur à moi. Pardon, pardon, Seigneur, mifericorde. Faitesnous grace s'il eft poffible. Vous en auriez vu la langue brûlante hors de la bouche : les uns qui s'expofoient au foleil le plus ardent, les autres au plus grand froid de la nuit. Après avoir goûté un peu d'eau, pour ne pas perir de foif, ils s'arrêtoient. Après avoir pris un peu de pain, ils jettoient bien loin le refte: fe jugeant indignes de la nourriture des hommes, puifqu'ils avoient agi contre la raison. Comment y. auroit-il place chez eux pour les ris ou les paroles oifeufes, ou la colere, ou la contradiction, ou la confiance, ou la joie, ou la vaine gloire? Ils ne s'avifoient pas de juger personne : & n'étoient occupez ni du foin de leur corps, ni d'aucune chose de cette vie: on n'y entendoit que des prieres.

Ils avoient toûjours la mort devant les yeux,' & difoient : Que deviendrons-nous ? quelle fera la fentence? quelle fera nôtre fin? Y a-t-il encore quelque efperance de pardon? nôtre priere a-t-elle pû être admise devant Dieu, ou a-t-elle été rejettée comme elle merite? quelle force peut-elle avoir en fortant de lévres fi impures! Nos Anges gardiens fe font-ils raprochez de nous, pour prefenter nos prieres? Puis ils fe deman-> doient l'un à l'autre: Mes freres, avançons-nous quelque chofe? obtiendrons-nous ce que nous demandons ? que fçavons-nous fi Dieu ne fe laiffera point fléchir? Faifons toûjours nôtre devoir, & frapons à la porte, jufques à la fin de notre vie. Courons, mes freres, il faut courir & de grande force n'épargnons point cette malheureuse chair, de peur qu'elle ne nous donne la mort. Ainfi par ces faints penitens.

'urcis, les yeux creux, 'armes, & toutefois

Ils avoient les g les joues enflamées de leu. les vifages pâles, la poitrine meurtrie de coups;

&

& quelquefois ils en crachoient du fang. Ils ne connoiffoient ni l'usage des lits, ni la propreté dans leurs habits: ils ne portoient que des haillons déchirez, fales, pleins de vermine. Ils reffembloient à des criminels dans les cachots, ou à des poffedez. Quelquefois ils prioient l'Abbé de leur mettre des fers au col & aux mains, & des entraves aux pieds ; & ne les en tirer qu'à la mort. Quand ils fe croioient prêts de mourir, ils le conjuroient de ne leur point donner de fepulture mais de les jetter comme des bêtes. Ce qu'il leur accordoit quelquefois, les privant même du chant des pfeaumes, & de tout honneur funebre. Ce recit de faint Jean Climaque, nous apprend combien la difcipline monaftique & l'efprit de penitence étoient encore en vigueur à la fin du fixiéme fiecle. Saint XII. epift. Gregoire étant Pape, lui écrivit pour se recommander à fes prieres, & lui envoia des garnitures de lits pour un hôpital voifin. La lettre eft au plûtôt de l'an 600., & Jean étoit encore alors Abbé. Il quita cette charge sur la fin de fes jours, & aiant mis à fa place George fon frere, il fe retira dans la folitude où il mou

16.

X X V.

Mar.

rut.

Les Lombards étant établis en Italie, entrerent Saint Hof- auffi dans les Gaules fous trois de leurs Ducs, pice reclus. Greg. IV. Amo, Zaban & Rodan. Amo prit le chemin hift. c. 39. d'Embrun, Zaban vint par Die jufques à Valence, Rodan campa près de Grenoble. Ils furent Avent. long-tems logez dans le monaftere d'Agaune ou de faint Maurice; & ils firent cette irruption la huitiéme année après le conf 'at de l'Empereur Juftin, indiction feptié

Chr.

547. mais ils furent

par les François. A

province d'Arles

ce.

eft-à-dire, l'an

ment repouffez gât dans toute la appellons Proven

Saint Hofpice y demeuroit près de Nice, re- Greg. VI. clus depuis plufieurs années dans une tour, ой собо il n'y avoit point de porte: mais feulement une fenêtre, par laquelle il fe montroit. Il portoit des chaînes de fer fur la chair, & un cilice pardeffus, & ne fe nourriffoit que de pain & de quelques dattes. Le Carême il ne vivoit que de racines d'Egypte, que les marchands lui apportoient. Il predit la venue des Lombards en Gaule, pour punir les pechez du peuple ; & confeilla aux habitans de mettre leurs biens à couvert dans les villes fermées, & fe fortifier dans les lieux les plus feurs. Puis il dit aux Moines : Retirez-vous auffi, & emportez avec vous ce que vous avez car la nation que j'ai dite approche. Ils répondirent: Très-faint Pere, nous ne vous laifferons point. Ne craignez point pour moi, répondit-il ils me maltraiteront, mais ils ne me feront pas mourir.

fa

Les Moines fe retirerent, les Lombards vinrent, & faifant le dégât de tous côtez, ils trouverent la demeure du Saint. Il fe montra par fenêtre, & comme en tournoiant, ils ne trouverent point d'entrée à la tour, deux monterent fur le toit & le découvrirent. Voiant cet homme chargé de chaînes, ils dirent : C'est quelque meurtrier; & aiant appellé leur interprete, ils lui firent demander quel crime il avoit commis. Il confeffa qu'il étoit homicide, & coupable de toutes fortes de crimes. Un des Lombards tira fon épée pour lui en fendre la tête : mais le bras demeura étendu, fans qu'il le pût ramener : fon épée lui échapa, fes camarades firent un grand cri, & demanderent à S. Hofpice ce qu'ils devoient faire. Il guerit avec le figne de la croix le bras du Lombard qui l'avoit voulu tuer; & qui fe convertit fi bien, qu'il fe fit couper les cheveux, & fe rendit moine au même lieu. Tome VII.

Z

Saint

Saint Hofpice fit beaucoup d'autres miracles : il AN. 573. guerit un aveugle né, & un fourd & muet nommé Pir, Angevin de nation, de qui Gregoire

de Tours avoit appris ce qu'il en raconte. Saint Mart. R. Hofpice mourut quelques années après, & l'E21. Mai glife honore fa memoire le vingt-uniéme de Mai.

Tours.

XXVI. Gregoire étoit depuis peu Evêque de Tours, Gregoire du tems de cette irruption des Lombards. EuEvêque de phrone fon predeceffeur mourut la douzième Vita init, année du Roi Sigebert, 573. de JESUS-CHRIST, edit, 1699. le quatriéme Août, jour auquel l'Eglife honore Martyr. R. fa memoire. Le peuple de Tours s'étant affem4. Aug. blé pour élire un Evêque, Gregoire fut preferé à tous les autres, d'un commun confentement. On l'avoit vû fouvent en cette ville, où il étoit venu vifiter les Reliques de faint Martin; & on avoit appris plufieurs belles actions qu'il avoit faites. On connoiffoit la nobleffe de fa race, fa science, fa vertu, & qu'il étoit connu des Princes. Tous s'accorderent donc à le demander: le clergé, les nobles, le peuple de la ville & de la campagne. On envoia une députation au Roi Sigebert, à qui étoit la ville de Tours ; & heureufement Gregoire fe trouva auprès de lui. Il fit ce qu'il put pour éviter l'Epifcopat, mais enfin il ceda aux preffantes inftances du Roi & de la Reine Brunechilde fon époufe. De peur qu'il ne s'enfuît, on le fit facrer auffi-tôt par Gilles Archevêque de Reims ; & il fut reçu à Tours avec une extrême joie, le dix-huitième jour après la mort de S. Euphrone, c'est-à-dire, le 6. 12. vingt-deuxième d'Août 573. Gregoire avoit en.. viron trente ans, & par confequent, il étoit né vers l'an 544. Son païs étoit l'Auvergne, fon pere Florentius étoit frere de faint Gal Evêque de Clermont, fa mere Armentaria étoit petite fille de faint Gregoire Evêque de Langres. Son

frere

frere Pierre fut Diacre, fa niéce Juftine fut difciple de fainte Radegonde. Gregoire fut élevé auprès de faint Gal fon oncle. Il fse fit tonsurer & entra dans la clericature, pour accomplir un vœu qu'il avoit fait étant malade au tombeau de faint Alire. Après la mort de faint Gal, Avit Evêque de Clermont, fucceffeur de Cautin prit foin de l'inftruction du jeune Gregoire, & dans le tems reglé il fut ordonné Diacre. Il frequentoit les perfonnes de pieté, pour profiter de leurs exemples; & vifitoit les Eglifes des Saints, particulierement de faint Martin, où il recouvra la fanté dans une grande inaladie.

que

C.

faint Leo

Venart.

PP. 4. 11.

6.15.

Peu de tems après que Gregoire fut Evêque XXVII. de Tours, faint Senoch reclus le vint vifiter. Il S. Senoch. étoit de la nation des Teïfales peuple barbare, bard, faint qui étoit entré dans les Gaules avec les autres & dont le nom refte à Tifauge en Poitou: il Greg, Vit. s'étoit établi près de Tours en un Oratoire qu'il repara, & où l'on difoit faint Martin avoit gl.conf.c.. fait fes prieres. Senoch pria faint Eufrone alors V.hist.c.7. Evêque de Tours, d'en venir faire la benedi&tion; mais faint Eufrone après avoir confacré l'autel, l'ordonna Diacre lui-même; & il fut Prêtre enfuite. Il fervit Dieu quelque tems en ce lieu avec trois Moines, vivant dans une grande abftinence : en forte que pendant le Carême il ne prenoit par jour qu'une livre de pain & une livre d'eau. Il alloit nuds pieds, même l'hiver & portoit une chaîne de fer aux pieds, aux mains & au cou. Enfuite il fe retira feul dans une cellule où il prioit continuellement les fidéles lui apportoient de l'argent, qu'il diftribuoit aux pauvres, & l'on comptoit plus de deux cens perfonnes qu'il avoit rachetées, ou dont il avoit paié les dettes. 11. fortit donc de fa cellule pour venir voir l'Evêque Gregoire. Mais quelque tems après il fut tenté de vanité, & alla Z 2

vifiter