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1520.

de ne jamais retomber dans cette faute, et il tint assez bien parole.

Tel étoit Luther avec ses ennemis, tel il se montrera toujours dans le cours de cette histoire; on y verra aussi quel il étoit avec ses amis et ses disciples.

Nous sommes partis de l'époque de sa condamnation pour montrer le contraste de ses discours, l'inconstance de ses idées et surtout le défaut absolu de plan et de projet dans sa conduite; il fut toujours déterminé par des circonstances qu'il n'avoit pas prévues, et par les dispositions de son siècle qu'il n'avoit pas d'abord aperçues. Reprenons le fil des évènemens à cette époque de la bulle du 15 juin 1520.

En conséquence de cette bulle on avoit brûlé à Rome les écrits de Luther, Luther brûla par représailles à Vittemberg les lois pontificales et surtout la bulle qui l'avoit condamné; il donna la solennité d'un grand spectacle à cet acte d'insolence, il y invita toute la ville; il avoit fait dresser un grand bûcher hors des murailles, il parut entouré de docteurs et d'écoliers, tous enivrés d'une sainte fureur contre Rome; il mit le feu lui-même au bûcher, en criant d'une voix terrible : parce que tu as troublé le saint du Seigneur, que tu sois livré au feu éternel.

Cochl, de Cette farce a paru hardie; mais comme l'électeur act.et script. et le peuple favorisoient Luther, il est clair qu'elle .520. n'étoit qu'indécente; on y exprima le regret de n'avoir

Luth. Ann.

pu traiter le Pape en personne comme sa bulle; on y loua beaucoup l'éloquence que Luther avoit fait paroître dans cette mémorable journée, il avoit parlé (disoit-on, ou disoit-il, car c'étoit lui qui faisoit

rédiger ces actes) avec grand éclat de belles paroles et une heureuse élégance de sa langue maternelle.

1520.

nominat.Or

Voilà donc Luther devenu le saint du Seigneur, parce qu'il a été condamné par le Pape, mais le saint du Seigneur n'est qu'un titre métaphorique, il en falloit un plus simple pour son apostolat, il s'intitule : Martin Luther, par la gráce de Dieu, ecclésiaste de Ep. ad falso Vittemberg; il signifie aux faussement nommés évé- din.Episcop. ques, afin qu'ils n'en prétendent cause d'ignorance, t. 2. que c'est là sa nouvelle qualité, qu'il se donne luimême, avec un magnifique mépris d'eux et de Satan; qu'il pourroit à aussi bon titre s'appeler évangéliste par la grace de Dieu, et que très-certainement JésusChrist le nommoit ainsi, et le tenoit pour ecclésiastė.

Il veut bien avouer qu'il faut prouver par des miracles ces sortes de missions extraordinaires, et il donne pour preuves de la sienne ses succès même, qui en effet seroient miraculeux, s'ils ne s'expliquoient naturellement par cette disposition générale des esprits, par ce besoin de réforme que l'Eglise, loin de se le dissimuler, annonçoit elle-même depuis si longtemps.

lib. 14.

Voilà le nouvel ecclésiaste qui prêche, exhorte menace, visite, corrige, institue, destitue, règle et bouleverse tout dans l'Eglise; le voilà qui envahit l'évêché de Naümbourg et qui le confère à son ami Sleidanus, Nicolas Amsdorf; le voilà qui donne les biens des églises et des monastères en proie aux laïcs, ce qui augmente considérablement ses succès et en diminue le merveilleux; il notifie sa mission aux princes et aux peuples avec injonction et menaces; le duc George de Saxe étoit toujours rebelle, c'est-à-dire persévérant

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dans la foi catholique mes prières, lui dit Luther, Epist. ad. Georg. Duc. ne seront pas un foudre de Salmonée ni un vain murSaxon. l. 2. mure dans l'air. On n'arrête pas ainsi la voix de Lu

De vot. Monast. ad

ther, et je souhaite que votre altesse ne l'éprouve pas à son dam........... Ma prière est un rempart invincible, plus puissant que le diable même, sans elle il y a long-temps qu'on ne parleroit plus de Luther, et on ne s'étonnera pas d'un si grand miracle!

Si l'on demande comment les augustins ses confrères lui laissoient dire et faire tant de folies; c'est qu'ils s'étoient faits luthériens, c'est que Luther avoit pris sur eux cet ascendant que donne toujours la réputation, juste ou injuste, c'est qu'ils étoient flattés d'avoir parmi eux cet homme singulier qui commençoit à faire le destin de la religion et des empires. Ils abolirent les premiers, par son conseil, les messes privées; l'ordre entier devint suspect à Rome, et il s'en fallut peu que le Pape ne le détruisît.

Il étoit étonnant que Luther conservât l'habit et le titre de moine, lui qui détruisoit l'état monastique et qui transformoit les couvents en hôpitaux, changement qui n'étoit pas ce qu'il y avoit de moins spécieux dans sa réforme; ce qui le retenoit dans ce reste d'observance des vœux qu'il proscrivoit, c'étoit la nécessité de ménager l'électeur de Saxe que ces grands changemens effarouchoient; Luther l'amena enfin à consentir qu'il vécût dans le siècle en habit séculier, sous le titre du docteur Martin Luther.

Vous avez voulu, écrivoit-il à son père, me tirer Joan. Luth, autrefois du monastère, Dieu m'en a bien tiré sans parent.suum vous. Je vous envoie un livre où vous verrez par combien de miracles et d'effets extraordinaires de sa puis

t. 2.

sance il m'a absous des vœux monastiques. Ce livre étoit un traité contre les vœux monastiques.

et Elect. t. 7.

Je n'ai fait mettre, dit-il ailleurs, le feu à aucun Frider. Duci monastère, mais presque tous les monastères sont ravagés par ma plume et par ma bouche, et on publie que, sans violence, j'ai moi seul fait plus de mal au n'auroit pu faire aucun roi avec toutes les

Pape, que
forces de son royaume.

nominat.Or

Le Pape l'accabloit de bulles et l'Empereur d'édits; Ep. ad falsò Luther s'en glorifioit, tant d'anathèmes, disoit-il, tant din.Episcop. de condamnations avoient effacé en lui le caractère de t. 2. la béte.

Tout son parti trouvoit dans ces bravades grossières une ardeur divine, un instinct céleste, et l'enthousiasme d'un cœur enflammé de la gloire de l'Evangile.

xon. liv. 10.

On n'étoit point éclairé alors, mais on commençoit Chytr. Saà vouloir devenir savant; on lisoit l'Ecriture Sainte que les réformés accusoient l'Eglise d'avoir trop négligée; on y trouvoit des prophéties, on trouvoit dans ces prophéties et dans les monumens de la poésie Hébraïque des tournures étrangères aux langues Européennes et des traits d'une hardiesse peu conforme à notre génie, on transportoit ces tournures et ces traits dans un idiome qui ne pouvoit les recevoir et où ils devenoient ridicules. De plus, puisqu'il y avoit eu des prophètes inspirés de Dieu, il convenoit que Luther fût prophète et inspiré; il se mit donc à prophétiser la destruction prochaine de tous ses ennemis. Le Turc, qu'il n'aimoit plus, alloit tomber; Luther avoit trouvé très-clairement dans l'Ecriture deux antechrists, le Grand-Turc et le Pape. Pour la papauté, il ne lui donnoit pas deux ans à vivre. L'estimable Slei

dan, un des réformés les moins enthousiastes, voyoit déjà l'accomplissement de beaucoup de prophéties de Sleid., Com- Luther, les autres étoient encore entre les mains de Dieu. Le sage Mélanchthon écrivoit à Erasme : vous Melanchth., savez qu'il faut éprouver et non pas mépriser les pro1.3. Ep. 65.

ment. 1. 4.

1521.

phètes.

On lisoit aussi les auteurs profanes; on y trouvoit des héros grossiers qui accabloient leurs ennemis d'injures et qui se combloient de louanges; on y trouvoit les Romains, peuple roi, à qui le sentiment de la supériorité en donnoit souvent le ton; il falloit donc injurier ses ennemis, cela s'appeloit sainte colère; il falloit se vanter, cela s'appeloit sainte ostentation, sainte jactance.

Telles étoient les sources du pédantisme de ces temps-là et les causes de son succès. C'étoit pour se montrer savant qu'on étoit impudent, c'étoit pour imiter les anciens qu'on fouloit aux pieds ces usages de bienséance et de modestie, introduits dans nos mœurs par le christianisme, ces usages qui ôɓligent à se mettre toujours au dernier rang, à parler peu de soi, à n'en parler jamais avec éloge, à prodiguer aux autres les témoignages de l'estime, à se les refuser tous; usages qui, nourrissant les vertus sociales, font le lien des cœurs et le charme de la vie.

Ces douceurs n'étoient pas faites pour Luther. Enseigner, disputer, dominer, écraser, tels étoient ses plaisirs. Ces goûts, joints à de grandes qualités, font les tyrans, joints à de petites, ils font les pédans. Luther fut un tyran pour son siècle, il n'est qu'un pédant pour le nôtre.

La diète de Vormes, tenue en 1521, fut la première

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