Imágenes de páginas
PDF
EPUB

les grands et les prélats, ne fut guère plus favorable à la cour de Rome que le concile de Bâle; on y reçut les ambassadeurs de ce concile; ils présentèrent leurs canons; on les examina, on les adopta, on en forma cette ordonnance si chère aux François, si odieuse aux papes, l'ordonnance connue sous le nom de pragmatique-sanction (1).

Elle déclaroit le concile général, représentatif de l'église universelle, et par conséquent supérieur au pape; elle ordonnoit d'en convoquer un au bout de cinq ans, un autre sept ans après, et dans la suite un tous les dix ans; elle permettoit au pape d'avancer ce terme, elle lui défendoit de le reculer, et vouloit qu'à la fin de chaque concile on indiquât le lieu où se tiendroit le suivant ; elle abolissoit les réservations, les grâces expectatives, les annates, les évocations; conservoit aux églises le droit d'élire leurs évêques, aux monastères d'élire leurs abbés; faisoit enfin ou renouveloit beaucoup de réglemens pour le maintien de la discipline ecclésiastique.

Eugène IV et ses successeurs regardèrent toujours la pragmatique comme le plus grand attentat à leur autorité; les François n'y virent qu'un frein nécessaire aux vexations de la cour de Rome. Les anciens jurisconsultes appellent la pragmatique le palladium de l'église Gallicane. En général, les conciles de Constance et de Bâle sont regardés comme les fondemens des libertés de

(1) Quand on parle de la pragmatique, sans autre désignation, c'est celle-ci qu'on entend, et non celle de S. Louis; de même que par le nom de concordat, on entend celui que François I fit avec Léon X, et non celui du concile de Constance.

1515.

1515.

cette église; ce sont deux des conciles les plus respectés en France; le concile de Bâle ne l'est pourtant pas sans quelque restriction; la déposition d'Eugène IV n'est pas jugée régulière; Félix V, son rival, n'est pas compté dans la succession légitime des papes; la pragmatique, quoique formée des décrets du concile de Bâle, reconnoît partout Eugène IV pour souverain pontife, malgré la rupture qui avoit éclaté entre Eugène et le concile. Aux yeux de Rome, et cette déposition, et le concile de Bâle, et tous ses décrets, et la pragmatique, ne sont que des monumens de schisme; mais ce qui est assez singulier, c'est que la pragmatique, qui ne fait qu'adopter les décrets du concile de Bâle qui, tout au plus, en modifie quelques-uns avec beaucoup de circonspection, et uniquement pour les adoucir, ne put obtenir l'approbation du concile, du moins si l'on s'en rapporte aux instructions données en 1488 par le pape Innocent VIII à son nonce en France, pour faire révoquer la pragmatique, et au traité composé vers le même temps contre ce même décret par le cardinal de Bourdeille. Si le fait est vrai, ce n'étoit point aux papes à l'alléguer, car l'improbation du concile n'avoit sans doute d'autre cause que la conduite modérée des François à l'égard d'Eugène. Partout où il y a deux partis, tout acte impartial déplaît également à tous les deux.

OEnéas Sylvius Picolomini avoit été secrétaire du concile de Bâle; il en avoit défendu l'autorité par ses écrits, la cour de Rome le regardoit comme son plus redoutable adversaire; n'osant le combattre, elle essaya de le gagner, et elle y réussit; tout parti étoit indifférent à cet ambitieux; comblé des bienfaits

des papes, et voyant la route de la fortune plus aplanie de ce côté-là, il trahit la cause qu'il avoit soutenue avec tant de gloire, il écrivit contre le concile, le zèle qu'il fit éclater pour les intérêts de Rome l'éleva (1) au pontificat; alors il jura la ruine de la pragmatique; il trouva des conjonctures favorables, et il sut en profiter. Jean Joffrédy ou Godefroy, évêque d'Arras, s'élevoit sur ses traces aux honneurs et à la fortune; son esprit insinuant le rendoit propre aux négociations délicates, il possédoit l'art de persuader, l'art de séduire, son ambition aspiroit à tout, il briguoit alors le chapeau, et le faisoit solliciter par toutes les puissances. «< Pourquoi, dit le Pape, tant de vaines << sollicitations? Ce que vous demandez est en vos mains; vous aspirez aux honneurs de l'Eglise, et la pragmatique subsiste! Apportez-en la révocation, << la pourpre sera le prix de ce service, et vous ne la «< devrez qu'à vous. Joffrédy résolut de la mériter.»

Il suffisoit que la pragmatique fût l'ouvrage du ministère de Charles VII pour qu'elle fût peu agréable à louis XI. L'évêque d'Arras avoit dès long-tems profité de la retraite de ce prince dans les Pays-Bas, pendant la vie du roi son père, pour nourrir dans son esprit des dispositions contraires à ce décret. Pie II (c'est le nom qu'OEnéas Sylvius avoit pris en parvenant à la tiare) Pie II envoya l'évêque d'Arras en qualité de légat auprès de Louis XI. Cet adroit prélat sut persuader au Roi que la pragmatique étoit contraire à ses intérêts: il connoissoit la jalouse inquiétude

(1) Ce pape fut l'Ovide de Rome moderne. On a de lui un traité de l'Amour, un du remède contre l'Amour, et une histoire de deux

umans.

1515.

1515.

il

de ce prince à l'égard des grands de son royaume; lui représenta combien leurs intrigues influoient sur les élections, combien le peuple aveugle étoit aisément remué par ces ressorts qu'il n'apercevoit pas.

[ocr errors]

Laissez, lui dit-il, les nominations au Pape, elles << se feront toujours de concert avec vous, vous se<< rez seul arbitre du choix des sujets, et vous ne ver<< rez plus les dignités ecclésiastiques remplies au gré << d'un peuple indocile, guidé par des seigneurs fac<< tieux.» Louis XI fut ébloui de ces raisons ou il feignit de l'être; il consentit à l'abolition de la pragmatique; mais il voulut qu'on nommât un légat résidant en France, pour expédier les bulles des bénéfices dans le royaume, afin que l'argent n'en sortît pas. L'évêque ne balança pas à répondre du consentement du Pape; mais le Roi, toujours défiant, exigeoit des sûretés: Joffrédy lui fit entendre que le Pape ne pouvoit pas honnêtement paroître faire avec lui cette espèce de marché; mais qu'après la révocation de la pragmatique, il accorderoit tout, d'autant plus volontiers qu'il paroîtroit alors signaler librement sa reconnoissance, et non exécuter forcément une convention intéressée. Le Roi se rendit et remit l'original bre 1461. de la pragmatique à l'évêque d'Arras, qui le porta

27 Novem

aussitôt à Rome.

A cette nouvelle, le Pape fit éclater sa joie, et Rome la partagea; les feux furent allumés dans toutes les rues, la pragmatique y fut traînée avec opprobre comme un monument de la révolte des François étouffée par le Saint-Siège. Mais ce triomphe étoit prématuré, la victoire étoit encore imparfaite; les François n'avoient point changé d'esprit, la pragmatique étoit

écrite dans leurs cœurs ; les parlemens préparoient une résistance invincible. Le parlement de Paris, quoiqu'on eût choisi pour l'ébranler plus aisément, le temps des vacations, refusa constamment d'enregistrer l'édit de la révocation de la pragmatique (1); le cardinal Balue y porta les ordres du Roi, dont il demanda l'exécution avec beaucoup de hauteur; le procureur général de Saint-Romain lui répondit avec la fermeté d'un magistrat vertueux qu'aucune considération n'arrête quand il s'agit du bien public; il développa les avantages de la pragmatique, il exhorta le parlement à la défendre; le cardinal s'emporta, menaça, ne put rien obtenir. Saint-Romain perdit sa charge, mais il obtint l'estime du Roi et le respect des peuples; il fut rétabli dans la suite, et il reparut avec le même zèle. Le courage du parlement enflamma celui de l'université, elle envoya le recteur signifier au légat un appel de la bulle qui annuloit la pragmatique; le Roi ne s'offensa point de cette démarche, il contint même l'activité du cardinal Balue; il étoit mécontent du Pape, qui n'avoit rempli aucune des promesses de Joffrédy; le Roi avoit dû s'y attendre. L'institution d'un légat perpétuel en France, qui eût expédié les bulles de tous les bénéfices, et empêché le transport de l'argent, auroit privé les papes du principal fruit qu'ils attendoient de la révocation de la pragmatique.

Le Pape tint parole à Joffrédy, il le fit cardinal, mais Joffrédy ne trouvoit jamais ses services assez payés; l'archevêché de Besançon et l'évêché d'Albi étant

(1) Dupuy dit que le Châtelet l'enregistra sans contradiction. Hist. de la Pragmatique et des Concordats.

1515.

1467.

« AnteriorContinuar »