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1546.

homme célèbre, fut de ne le pas condamner sous son nom, mais sous la désignation injurieuse de quelques papistes ou scolastiques. En même temps Osiandre, du fond de la Prusse, où les persécutions de l'intérim l'avoient forcé de chercher un asyle, outrageoit Mélanchthon, car les persécutés même étoient persécuteurs, et les disputeurs sont souvent l'un et l'autre. Enfin David Chytré (1), plus zélé qu'eux tous, ne proposoit pas moins que de se défaire de Mélanchthon, à cause de son dangereux amour pour la paix, et Mélanchthon, réduit au silence et aux larmes, disoit : Je ne veux plus En 1560. disputer contre des gens si cruels. Il mourut incertain comme il avoit vécu; on a dit de lui qu'il avoit passé sa vie entière à chercher sa religion, sans avoir pu la trouver. On prétend qu'il changea quatorze fois de sentiment sur le péché originel et sur la prédestination. Il se consola de mourir, parce qu'il alloit, disoit-il, être délivré de deux grands maux, du péché et de la rage théologique.

Ce que Chytré n'avoit fait que projeter à l'égard de Mélanchthon, un frère l'exécuta contre son frère, par

le

Melchior

Adam, in vi

tis Philoso

phor. p. 202.

Maimb.

même esprit de religion, peu de temps après la mort de Luther. Un jeune Espagnol nommé Jean Diaz, en- Sleidanus, traîné par les nouveautés du temps, s'étoit attaché à lib. 17. Luther, puis à Calvin, enfin à Bucer, dont la douceur Luth. liv. 3. insinuante sut mieux l'attirer et le fixer. Bucer le mena en 1546 à la diète de Ratisbonne. Alphonse Diaz, son frère, zélé catholique, jugeant le nom de Diaz flétri par l'hérésie, et voulant effacer cette tache, prend la

(1) Son nom Allemand étoit Rocehase, Chytrous en grec signifie

Potier.

poste à Rome où il étoit alors, court à Ratisbonne, puis 1546. à Neubourg où son frère étoit allé ensuite, et l'y fait assassiner par un homme travesti en messager, qui lui présenta une lettre d'Alphonse, et lui fendit la tête d'un coup de hache, pendant qu'il la lisoit. Alphonse attendoit l'assassin à la porte avec deux chevaux; ils fuient ensemble, ils sont pris, les protestans demandent justice de ce fratricide, il ne paroît pas qu'ils l'aient obtenue.

Tels étoient les troubles que causoit le lutheranisme dans les lieux témoins de sa naissance ou de ses premiers progrès; il nous reste à voir quels furent ses succès en France, sous le règne de François I.

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LES

CHAPITRE IV.

Du lutheranisme en France.

Es dispositions générales où étoit l'Europe lorsque Luther parut, ces dispositions si contraires à la cour de Rome et si favorables à la réforme, sembloient devoir être encore plus fortes en France que partout ailleurs. Cet état avoit plus souffert qu'aucun autre des perfidies d'Alexandre VI et des fureurs de Jules II. Le doux, le modéré Louis XII s'étoit vu contraint d'éclater contre Jules et de convoquer un concile à Pise, pour le faire déposer; il avoit fait frapper une médaille où on lisoit cette inscription, que Luther eût adoptée : Mézerai, Perdam Babylonis nomen. Sous François I, l'affaire du Abr. Chro- concordat avoit aigri le clergé, le parlement, l'univer

nolog.

sité, tous les corps dont les sentimens forment les dispositions publiques. François I, malgré la condescendance qu'il avoit eue pour les papes dans cette affaire, eut presque toujours pour ennemis Léon X et Adrien VI. Peut-être si Luther eût vécu en France, ces conjonctures lui auroient procuré dans ce royaume les mêmes succès qu'en Allemagne; mais le foyer de la réforme s'alluma trop loin de la France; les violentes déclamations de Luther, ses cris éloquens, s'ils l'étoient, y parvenoient trop affoiblis pour faire une grande impression; ses ouvrages, qui n'étoient point lus du peuple, révoltoient les théologiens François par les erreurs dont ils étoient remplis ; les considérations. personnelles, les liaisons, les intrigues, tous les motifs d'intérêt, de crainte ou d'amitié disparoissoient à cette distance; on n'étoit point entraîné, on jugeoit mieux; on vit d'abord que cette réforme n'avoit, ni dans ses principes ni dans ses effets, les caractères qui auroient pu la rendre utile à l'Eglise. Les théologiens l'ayant rejetée, il auroit fallu des raisons de politique bien fortes pour qu'elle fût adoptée par le gouvernement; les sujets de plainte que le Saint-Siège donnoit quelquefois à la France ne suffisoient pas pour cela; il n'étoit pas juste de se séparer de la communion Romaine parce que les papes craignoient d'avoir les François pour voisins en Italie. D'ailleurs ces papes, en les combattant, il les falloit ménager. Leur politique souffroit des accommodemens. En général, ils eussent voulu chasser de l'Italie tous les étrangers, surtout les grandes puissances; avoir un duc particulier à Milan et un roi foible à Naples; et l'on ne peut nier que ce ne fût l'intérêt de l'Italie entière, mais ce projet trop vaste n'étant qu'une

belle chimère, ils se bornoient à empêcher la réunion de Milan et de Naples dans une seule main; CharlesQuint et François I aspiroient l'un et l'autre à cette réunion, et les papes, toujours partagés entre ces deux princes, devoient toujours être ennemis de la puissance prépondérante. Les deux rivaux avoient donc évidemment un intérêt égal de rechercher l'amitié des papes, et tous deux sentoient que le titre d'hérétique eût beaucoup nui à leurs projets en Italie. De plus, nous avons observé combien l'esprit de la réforme étoit contraire au principe des monarchies, et sûrement François I n'avoit pas été moins frappé de cette réflexion que Charles-Quint. Il seroit inutile d'alléguer l'exemple du Danemarck et de la Suède; car, outre que les monarchies du nord sont moins absolues que celles du midi, Frédéric et Gustave avoient souffert l'oppression avec leurs peuples, et tous deux étoient redevables de leur couronne à l'esprit républicain; tous deux étoient plutôt des chefs choisis par leur nation que des rois gouvernant par le droit de leur naissance. Mais on ne vit ni on ne dut voir les souverains absolus, ni les états bien pénétrés de l'esprit monarchique, tels que la France, l'Espagne, le Portugal, Naples, admettre le lutheranisme; et Henri VIII, qui, même en Angleterre, eut l'esprit monarchique dans un degré excessif, ne se sépara de Rome qu'en s'arrogeant la suprématie, qui augmentoit encore sa puissance, mais il eût cru s'imposer un joug en recevant la réforme luthérienne. Ainsi toutes les raisons de politique, soit intérieure, soit extérieure, concouroient à éloigner François I du lutheranisme, et ce prince éclairé le sentit bien. D'ailleurs pourquoi refuserions-nous de faire honneur de

pour

son aversion pour les opinions nouvelles à son zèle
la foi de ses pères, zèle que les intérêts de l'humanité
nous feront quelquefois trouver aveugle et extrême,
mais que rien ne nous empêche de croire sincère, sans
qu'il soit besoin d'en rapporter pour preuve, avec les
auteurs de l'Histoire de l'église Gallicane, qu'après la
bataille de Marignan il bâtit une chapelle sous le titre
de Notre-Dame de la victoire, et qu'il fit à pied un
pélerinage à Chambéry.

1521.

Décret. Fa

ther.

1521, n. 5.

dicior. t. 1

De toutes les condamnations prononcées contre Luther, il n'y en eut point de plus célèbre que la cult. Paris. censure de Sorbonne, publiée le 15 avril 1521; ce fut advers. Lula première qui entra dans la discussion des proposi- Raynald. tions, et qui les condamna chacune en particulier sous Du Boulai, des qualifications propres. Le Pape et les universités t. 6, p. 116. D'Argentr. de Cologne et de Louvain n'avoient condamné que sous Collect. Judes qualifications générales et respectives; les théolo- part. 2, pag. giens catholiques vantent la justesse avec laquelle les 365 et seq. qualifications particulières sont appliquées dans la censure de l'université de Paris, mais nous sommes bien fâchés de trouver, dans le préambule de cette censure, qu'on doit plutôt employer les flammes que le raisonnement contre l'arrogance de Luther. Observons qu'on parle ainsi dès 1521, et qu'il ne s'agit que de l'arrogance des écrits de Luther, non de l'arrogance de sa conduite, qui, dans la suite, mérita sans doute des châtimens. Nous croirions que la faculté de théologie ne parloit de flammes que par rapport aux écrits, si le mot vinculis ne précédoit pas ceux d'ignibus et flammis, et si un long usage ou un long abus, formellement justifié alors par la Sorbonne, ne nous montroit les hérétiques presque toujours livrés au feu dans cette même France

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