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colère impétueuse et insolente de Luther que la froide amertume et la profonde malignité de Calvin. Celui-ci étoit un raisonneur plus exact, plus méthodique, un écrivain plus correct, plus précis, plus élégant, plus sage; il appartient à l'histoire littéraire de son siècle; Luther,étranger à toute littérature,ne peut être réclamé que par l'école. M. Bossuet lui trouve pourtant plus de génie, quelque chose de plus original et de plus vif; il croit que Calvin ne l'emporte sur lui que par l'étude, il doute que le génie de Calvin eût été aussi propre à échauffer les esprits et à émouvoir les peuples que celui de Luther. En effet, on doit reconnoître entre ces deux hommes la même différence qui se trouve dans tous les arts, soit libéraux soit mécaniques, entre le génie qui invente et le génie qui perfectionne. Le second plaît davantage, mais sans le premier il n'eût peut-être pas existé.

Quant aux mœurs et au caractère, le premier étoit plus aimable et avoit plus d'amis que le second; il cultivoit la société, il se permettoit la gaîté, il goûtoit les plaisirs, surtout ceux de la table; Calvin, toujours malade, chagrin, plein d'humeur, rongé de vapeurs, étoit sobre et chaste, vivoit retiré, ne connoissoit d'autre plaisir que d'écrire et de dominer. Sa religion sèche et sévère n'accordoit rien aux sens ni à la foiblesse ; sa vie austère et uniforme n'accordoit rien à la société; Genève, sous sa direction, étoit un grand séminaire où rien de libre ni de gai n'étoit admis; persécuteur atroce à l'égard de ses ennemis, précepteur toujours triste à l'égard de ses disciples, on put se piquer d'être de ses amis par vanité, on n'y fut jamais porté par aucun attrait. En comparant son aigreur sauvage, sa séche

resse caustique et atrabilaire avec la douceur affable et enjouée de Théodore de Bèze, son plus constant ami (1), on disoit qu'on aimeroit mieux être en enfer avec celui-ci, qu'en paradis avec Calvin. N'oublions pas d'observer que le désintéressement de Calvin égala au moins celui de Luther (2), et qu'on ne trouve guère cette vertu dans un pareil degré que chez les gens en qui l'ambition de dominer sur les esprits absorbe toutes les facultés, et anéantit tout autre désir.

Il y a peu d'apparence qu'un homme du caractère de Calvin ait jamais été voluptueux; ainsi, puisque le P. Maimbourg veut bien ne pas croire qu'il ait eu le fouet et la fleur de lis à Noyon, où il n'a presque point vécu, et cela pour un crime infâme que le P. Maimbourg n'ose nommer, ne le croyons pas non plus (3). Du reste, on peut choisir de croire, ou avec

(1) Il a écrit la vie de Calvin.

(2) Il n'eut jamais que cent écus de gages, et n'en voulut pas avoir plus. Lorsqu'il quitta Strasbourg pour retourner à Genève, ceux de Strasbourg voulurent lui conserver, avec le droit de bourgeoisie, le revenu d'une prébende qui lui avoit été assigné chez eux pour ses leçons; il le refusa et n'accepta que la continuation du droit de bourgeoisie. Béza, in vit. Calvini, pag. 570 ad annum

1541.

(3) Le cardinal de Richelieu, dans sa Méthode pour convertir ceux qui se sont séparés de l'Eglise, liv. 2, c. 10. pag. 319, a bien mal-à-propos adopté ce conte, inventé par Bolsec, qui cite pour tout garant un certain Bertelier, condamné à mort pour des crimes peut-être à la vérité un peu arbitraires ; c'étoit pour sédition et conspiration contre la religion de Genève, mais qu'entendoit-on à Genève, du temps de Calvin, par conspiration contre la religion? (Voy Bayl. art. Bertelier et art. Bolsec.) On a fait sur Théodore de Bèze le même conte à peu près que sur Calvin, et le cardinal de Richelieu l'a encore répété, Méthode, liv. 2, c. 10. La haine calomnie aisé

le protestant Théodore de Bèze, qui étoit à Genève, que Calvin expira paisiblement en louant Dieu, ou avec le catholique Florimond de Remond, qui étoit à Bordeaux, qu'il mourut désespéré, en blasphémant Dieu, en invoquant le diable, en se maudissant lui

même.

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Dogmes de Luther et de Calvin; leur conformité, leur différence.

SANS

ANS entrer ici dans des détails théologiques qui seroient infinis, nous ne prétendons que marquer succinctement les différences principales et caractéristiques qui se trouvent, soit entre l'église catholique et l'église réformée, soit entre les deux partis de cette dernière église, c'est-à-dire, entre Luther et Calvin. Les opinions que nous allons rapporter sont jugées depuis long-temps, ou elles ne le seront jamais. Nous ne ferons sur cela qu'une observation générale. L'esprit humain reconnoît deux arbitres, la raison et l'autorité. Une des plus nobles fonctions de la raison est d'apercevoir elle-même ses bornes, et d'avouer le besoin qu'elle a souvent de l'autorité. En matière de religion, la raison seule n'iroit point au delà de la religion naturelle, les mystères sont au-dessus d'elle, et la raison

ment, et le faux zèle croit aisément les calomnies. Observons que, si Bolsec mérite peu d'être cru sur Calvin et Théodore de Bèze ses ennemis, Théodore de Bèze ne doit être cru qu'avec précaution sur Bolsec et Bertelier.

ne les admet que comme des objets de foi décidés par une autorité divine. La raison nous conduit à cette autorité, en nous prouvant, 1°. qu'elle est nécessaire, 2°. qu'elle doit avoir des caractères visibles, auxquels on puisse la reconnoître, auxquels même on ne puisse pas la méconnoître. Remis ainsi par la raison même entre les mains de l'autorité, avec ce guide infaillible, nous pénétrons dans les dogmes et dans les mystères, nous entrons sous l'empire de la foi. Si l'incrédule rejette ces dogmes et ces mystères, uniquement parce qu'il ne les comprend pas, je ne vois en lui qu'un téméraire, qui, ayant besoin de deux guides, s'obstine à n'en prendre qu'un, quoique ce guide l'avertisse lui-même d'en prendre un plus sûr; il s'égare, parce qu'il donne trop à la raison, en ne reconnoissant rien au delà du domaine de cette raison bornée, mais il n'est ni absurde ni inconséquent. Il ne l'est pas du moins au même degré que le théologien raisonneur, qui, avouant l'insuffisance de la raison et le besoin de l'autorité, qui, recevant des dogmes, des mystères, combat cette autorité, altère ces dogmes, modifie ces mystères, de manière qu'ils restent toujours mystères, mais qu'ils cessent d'être appuyés sur une autorité suffisante. Il faut opter. Si l'on ne doit rien admettre au delà de la raison, s'il n'est pas vrai qu'elle nous avertisse elle-même de nous soumettre à l'autorité, il faut rej ter entièrement les dogmes, les mystères, et donner gain de cause à l'incrédule; s'il faut admettre l'autorité, il n'est pas permis de toucher à ses oracles, il faut adorer les mystères sans restriction, sans modification, l'homme ne peut toucher à l'ouvrage de Dieu. Quand Luther me propose de substituer la consubstantiation à la trans

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que

substantiation, à quel tribunal me renvoie-t-il? Est-ce à celui de l'autorité? Elle lui est contraire. Est-ce à celui de la raison? En quoi ma raison comprend-elle mieux la consubstantiation que la transsubstantiation? Quand un autre raisonneur me dit que Jésus-Christ n'est présent dans l'eucharistie que par la foi, qu'est-ce c'est qu'une présence par la foi? Il est présent ou il ne l'est pas. S'il ne l'est pas, ma foi ne peut pas le rendre présent, et j'ai tort de le croire présent. S'il est réellement présent, ma foi ne fait rien à cela, et il est également présent, soit que j'aie la foi, soit que je ne l'aie pas. Que prétendez-vous donc? Si vous n'affranchissez point ma raison, si vous la laissez sous le joug, que ce soit donc sous un joug sacré, non sous votre joug profane. Mystère pour mystère, je ne puis croire que celui qui m'est proposé par une autorité légitime. Vous entreprenez trop et trop peu. Ou ne retranchez rien, ou retranchez tout ce que la raison ne comprend pas, si la raison elle-même peut y consentir. Les incrédules s'éloignent plus que vous de la voie du salut, mais ils sont plus près d'y rentrer : ils raisonnent déjà mieux; et, dès qu'ils sentiront le besoin de l'autorité, ils s'y soumettront entièrement, sans toutes vos ridicules réserves.

Voilà sous quel point de vue nous envisageons les idées vagues des hérétiques et ces changemens si peu philosophiques qu'il a plu à Luther, à Calvin et à leurs disciples d'apporter à la doctrine de l'Eglise..

Il semble que le nombre des erreurs soit borné comme celui des vérités; c'est que l'esprit humain l'est extrêmement, même dans le mal; les modernes répètent les anciens sur les hérésies comme sur toute

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