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mille personnes furent massacrées; il en périt encore un plus grand nombre dans les forêts, où on leur avoit coupé les vivres de toutes parts. Privés de leurs femmes, de leurs enfans, de tout asyle, de toute subsistance, ces malheureux ne pouvoient plus qu'implorer la mort.

On se lassa enfin du carnage, parce qu'on se lasse de tout. Il restoit environ mille prisonniers dont on ne savoit que faire, mais qu'il n'y avoit pas moyen d'épargner, puisque l'arrêt ne le vouloit pas ; on en pendit environ trois cents pour varier cette scène d'horreurs, et on envoya les sept cents autres aux galères.

Quand on voit de pareils crimes commis par esprit de justice et de religion, inspirés par des évêques, commandés, exécutés par des magistrats, autorisés par un roi qui vouloit être humain, dans un pays déjà poli, dans un siècle qui n'étoit plus barbare ; quand on songe qu'il ne tient qu'à un petit degré d'erreur et d'effervescence que tout cela ne se renouvelle, le sang s'aigrit, la tête s'échauffe, le cœur bondit, on pleure d'indignation et de pitié, l'homme devient à l'homme un objet d'horreur et d'effroi, et la tentation dont une ame sensible a le plus à se défendre, est celle de haïr les humains à force d'aimer l'humanité.

La dame de Cental, dont les terres avoient été ravagées et les vassaux égorgés, demanda justice à François I de ces violences, et voulut lui montrer la vérité; mais le président La Font, qui fut député par le parlement d'Aix, pour rendre compte à la cour de cette expédition, calomnia si hautement les malheureux qu'on avoit opprimés, que François I, qui étoit en

core dans toute la force du préjugé et qui en croyoit trop le cardinal de Tournon, approuva par des lettres patentes la conduite du parlement d'Aix, et lui Du 18 août ordonna de continuer la poursuite des hérétiques.

Cependant depuis cette expédition, les chagrins, la maladie, et sans doute les remords consumèrent lentement ce roi trompé. On assure qu'à sa mort il chargea son fils devant Dieu d'examiner de nouveau cette affaire, qu'il eût fallu examiner davantage avant de l'entreprendre. De tous les avis de François I à Henri II, celui-là fut le seul suivi, ce qui pourroit faire douter qu'il ait été donné; et, ce qui pourroit en faire douter encore, c'est la faveur où le cardinal de Tournon et le baron de La Garde étoient encore auprès de François I, à sa mort (1). Ce prince, en expirant, crut devoir un témoignage authentique aux vertus du cardinal de Tournon; mais qu'importe à la France que cet homme ait eu des vertus de prélat, puisqu'il a fait tant de mal comme ministre? Quoi qu'il en soit, le cardinal de Tournon ayant été éloigné des affaires sous Henri II, celle de Cabrières et de Mérindol fut soumise à l'examen du parlement de Paris, où elle tint cinquante audiences. Sans doute la cause de l'humanité y fut foiblement défendue. Le président d'Oppède plaida lui-même la sienne, il parla en fanatique comme il avoit agi, il prit un texte, et ce fut ce verset du psaume : Judica me, Deus, et discerne causam meam de gente non sanctá. Il prouva qu'il avoit fallu égorger tous les vaudois, parce que Dieu avoit ordonné à Saül d'exterminer tous les Ama

(1) Voir le chap. 10 du livre 6 de cette histoire.

1545.

De Thou,

liv. 5.

lécites. Ses raisons furent apparemment jugées bonnes; du moins il fut renvoyé absous, et continua d'exercer sa charge; il mourut de la pierre en 1558. Les protestans disent que ce fut une vengeance divine, les catholiques que ce fut une vengeance humaine, et qu'un chirurgien protestant lui causa cette mort douloureuse, en le sondant avec une sonde empoisonnée.

Le baron de La Garde, pour la part qu'il avoit eue à l'expédition de Cabrières et de Mérindol, garda la prison pendant quelques mois; l'avocat duRoi, Guérin, paya pour tous, il fut pendu en 1554; encore dit-on que ce fut pour des faussetés et des concussions étrangères à l'affaire de Mérindol, car les plus grands attentats contre la nature sont quelquefois les moins punis.

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CHAPITRE VIII.

Établissement des Jésuites.

C'EST en France, et c'est sous le règne de François I que s'est formé cet établissement, dont un des principaux objets étoit, dit-on, de combattre toutes les sectes qui s'élevoient alors contre l'Eglise. En effet beaucoup de jésuites ont disputé contre beaucoup de sectaires; mais Saint Ignace leur fondateur ne disputa contre personne, et empêcha ses disciples de disputer. C'étoit un gentilhomme, d'abord plus brave que pieux et instruit; il étoit né en 1491 au château de ses pères, nommé Loyola, dans la province de Guipuscoa en Espagne. Nous avons dit (chap. 2 du

livre 2 de cette histoire) comment sa valeur, admirée des François ses ennemis, lui attira en 1521 au siège de Pampelune deux blessures qui le mirent dans le plus grand danger. Le monde, la guerre, les plaisirs avoient jusque là partagé son ame dissipée, mais vertueuse. Trop soigneux de plaire, même aux yeux, et jaloux de conserver ses moindres avantages extérieurs, mais courageux jusque dans ces vaines recherches de coquetterie, on dit qu'il se fit casser une seconde fois sa jambe (1) déja cassée au siège de Pampelune, et qui, de la manière dont elle étoit remise, avoit quelque difformité; on dit qu'il se la faisoit tirer violemment avec une machine de fer, dans la crainte qu'elle ne restât plus courte que l'autre; on dit qu'il se fit scier un os qui avançoit désagréablement au-dessous du genou. Pendant sa convalescence, il voulut lire quelque roman pour se désennuyer, on n'en trouva pas sous la main; l'Imitation de Jésus et la Vie des Saints s'offrirent, il les lut, la grâce le toucha et le temps le guérit, il fit des pélerinages dans l'Espagne, à Rome, à la Terre-Sainte (2). Si ses historiens n'ont point

(1) Brantôme, Discours sur la beauté de la jambe, rapporte la même chose d'une belle femme qui vivoit du temps de François I, et on trouve, dans un des premiers Mercures galans, le trait d'un jeune homme si passionné pour la danse, qu'ayant la jambe un peu cagneuse, il se la fit casser, pour qu'en la remettant on corrigeât ce défaut, et qu'il pût danser de meilleure grâce.

(2) Le P. Le Brun, jésuite Breton du dix-septième siècle, a fait un Ovide chrétien et un Virgile chrétien. Le Virgile chrétien consiste dans des églogues spirituelles, des géorgiques aussi spirituelles qu'il appelle Psychurgiques, c'est-à-dire culture de l'ame, et pour poème héroïque, au licu de l'Enéide c'est l'Ignatiade, c'est-à-dire l'histoire du pélerinage de S. Ignace à Jérusalem et de la fondation de la société à Paris...

Ribadenei

ra, vit. Ignac.

cap. 1.

chargé le tableau de ses mortifications, il semble qu'on pourroit y trouver un peu d'excès ; ils disent que, pour expier sa première mollesse, il avoit passé à une recherche de malpropreté si dégoûtante, de difformité si effrayante, que les enfans le poursuivoient à coups de pierre; ils disent qu'il habitoit des cavernes, qu'il mendioit son pain, et se faisoit chasser partout comme un pauvre importun; ils disent qu'il fut de dessein formé sept jours sans boire ni manger; ils disent qu'il se déclara solennellement le chevalier de la Vierge; ce dernier trait pouvoit tenir aux mœurs de son pays et de son temps.

Ignace sentoit son ignorance, il voulut s'instruire, quoiqu'un peu tard. A trentre-trois ans il alla étudier la grammaire à Barcelone, puis la philosophie à Alcala; il eut dès lors quelques disciples, non pour les sciences, où, à trente-six ans, à peine étoit-il lui-même

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un disciple qu'on pût avouer, mais pour la piété, où Ribadenei- il étoit déjà un grand maître. Il dirigeoit aussi quelra,vit.Ignac. lib. 3, c. 14. ques dévotes; ces dévotes firent quelques folies, on s'en prit à Ignace et on l'enferma dans les prisons d'Alcala. Son innocence fut reconnue on le mit en liberté, il alla étudier à Salamanque. Là, comme il continuoit de prêcher et de diriger, quoique laïc et ignorant, on le poursuivit comme hérétique; on le mit au cachot, on le chargea de chaînes. Toutes ces persécutions (grande leçon pour ses disciples de ne persécuter jamais) lui firent quitter l'Espagne, il vint en France, il y fut volé et persécuté de nouveau, on le dénonça au prieur des jacobins, alors inquisiteur, qui l'interrogea, et fut content de sa foi.

1528.

Les études d'Espagne n'avoient fait que le rendre

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